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Ces experts militaires américains qui pensent que les Etats-Unis pourraient perdre une guerre avec la Chine
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Vives inquiétudes

Si une guerre éclatait avec la Chine, les États-Unis pourraient très bien perdre. Cette préoccupation émane de responsables de la défense et d'analystes militaires américains, selon Breaking Defence et The Atlantic. Lors d'une déclaration au Forum sur la sécurité d'Aspen, l'amiral Philip Davidson, qui supervise les forces militaires américaines en Asie, a qualifié la Chine de "plus grande menace stratégique à long terme pour les États-Unis".

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

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Atlantico.fr : Alors que le budget militaire américain pour 2020 est estimé à 718 milliards de dollars et qu'il reste supérieur à celui des autres pays de la planète réunis, la supériorité militaire américaine semble incontestable. Pour autant, la Chine augmente de manière impressionnante son budget de défense et se place comme potentiellement compétitive de l'hégémonie américaine sur le long-terme. La toute-puissance américaine pourrait-elle être contestée en cas de conflit ouvert ?Quelles seraient les doctrines respectives des Etats-Unis et de la Chine ?

Jean-Bernard Pinatel : Un budget militaire s’évalue en fonction des objectifs politiques qui le sous-tend. 

Pour les Etats-Unis l’objectif est clair. Ils veulent conserver la suprématie mondiale qu’ils ont acquise à la chute de l’URSS. On doit néanmoins se poser une question. Est-ce que ce montant de 718 milliards de dollars est nécessaire ? N’est-il pas,en partie,le résultat de l’influence qu’exerce le complexe militaro-industrielsur démocratie américaine et dontle Président Eisenhower avait déjà dénoncé le risque en avril 1953 à la fin de son second mandat?

En effet quand on lit la propagande récurrente sur la menace militaire Russe alimentée par les publications d’organisations financées par ce budget, comment ne pas penser que l’Etatamplifie sciemment les menaces pour justifier les sommes extravagantes qu’il prélève dans les poches des américains. 

L’exemple de la désinformation sur  les armes de destruction massive soi-disant possédées par Saddam Hussein pour justifier l’agression contre l’Irak y incite fortement. 

Un autrefait permet de crédibiliser cette hypothèse : le budget des 17 agences de renseignement américaines est supérieur au total du budget militaire russe qui est du même ordre de grandeur que celui de la France : environ le dixième du budget des Etats-Unis !

La motivation chinoise pour accroitre son budget militaire est d’une toute autre nature. 

La Chine est, en effet, dans une position de vulnérabilité croissante par rapport au risque que représente pour elle la puissance maritime des Etats-Unis et la propension de Washington à décréter unilatéralement un embargo sur le pétrole et à le faire respecter comme cela se passe actuellement avec le Venezuela et l’Iran.

En effet, malgré ses efforts,la dépendance énergétique nette de la Chine est de l’ordre de 15% en croissance constante avec une vulnérabilité particulière vis à vis du pétrole puisque les deux tiers du pétrole consommé en Chine sont aujourd’hui importés. Et 85% de ces importations transitent par la mer,avec un tonnage en croissance rapide comme le montrent le graphique et la liste des pays fournisseurs.

Ces chiffres expliquent la crainte dans laquelle vivent les dirigeants chinois vis-à-vis des Etats-Unis. Une fermeture du détroit d’Ormuz ou du détroit de Malacca plongerait l’économie et la société chinoises dans une crise profonde. Dans ce contexte de vulnérabilité, on assiste à une double évolution des dépenses militaires chinoises. D’une part elles augmentent fortement. La Chine a annoncé le 5 mars 2019 une croissance de 7,5% de son budget de défense le portant à 1,19 trillions de yuan soit 177,6 milliards de dollars. D’autre part, et c’est une évolution qui a commencée à la chute de l’URSS, la part de la marine s’accroit fortement.

François Géré : La montée en puissance militaire de la Chine constitue un phénomène récent datant d’une quinzaine d’années. Auparavant, l’Armée populaire de Libération était confinée à la protection du territoire national. Sous-équipée de matériels anciens, elle contribuait encore à des missions de mise en valeur du territoire (forestation), de lutte contre les catastrophes naturelles, d’aide aux récoltes, etc. La réduction des effectifs, la modernisation, la qualité de la formation ont été la conséquence de la croissance économique forte. Les dépenses militaires ont suivi la tendance et ont progressé en fonction d’un PIB en augmentation de 8à 9% pendant plusieurs années. L’armée a bénéficié des progrès technologiques dans les secteurs de pointe comme l’informatique, les télécommunications, (le fondateur de Huawei est un ancien colonel de l’APL), le spectre électro-magnétique, les lasers,  l’Intelligence artificielle et les nano technologies. Cette transformation accompagne la nouvelle posture diplomatique d’une Chine qui se hausse au rang de seconde puissance mondiale et se tourne résolument vers le grand large avec une marine moderne qui cherche à acquérir des bases comme à Djibouti depuis 2017, sur des points de passage stratégiquescorrespondant au tracé des « nouvelles routes de la soie » et vers l’espace exo atmosphérique où elle positionne ses satellites tout en développant des programmes anti satellites. La montée en puissance chinoise ne peut cependant prétendre rivaliser avec les capacités américaines (12 porte-avions et leur task force – la Chine en aura bientôt deux !-, une énorme supériorité en sous-marins, en bombardiers stratégiques, en avions de combats, en défense anti missiles). En outre dans l’ensemble de la zone Pacifique les Etats-Unis disposent d’alliés puissants comme le Japon,  la Corée du Sud, l’Australie. La Chine ne peut compter que sur elle-même. Dans ces conditions tout en poursuivant méthodiquement sa transformation l’APL n’envisage pas un affrontement général avant au moins une génération. Dans le domaine aéronaval et spatial la domination américaine interdit toute aventure.

Avant tout, il est essentiel de conserver à l’esprit que ces deux Etats sont des puissances nucléaires. Aujourd’hui en développant ses programmes de sous-marins lanceurs de missiles de longue portée (096, classe Tang, équipé du JL-3 crédité d’au moins 8000km, Pékin dispose d’une capacité de représailles invulnérable en cas de guerre nucléaire. Toutes les grandes villes américaines sont potentiellement menacées. Aussi, pas plus que Moscou et Washington durant la guerre froide n’ont voulu courir le risque d’une escalade aux extrêmes, la Chine et les Etats-Unis savent qu’ils doivent faire preuve de retenue en cas de crise grave et se limiter à l’emploi d’armes conventionnelles. Ceci posé, contrôler une escalade, accepter une défaite militaire même limitée n’est pas chose facile. La doctrine serait donc essentiellement anti-forces recourant à des missiles de courte et moyenne portée, précis et rapides. Les deux pays accélèrent le développement des missiles hyper-véloces (Mach 15). Le Cyberespace sera également un terrain d’affrontement et une guerre des virus informatiques cherchera à semer la confusion dans les systèmes de commandement et de contrôle opérationnel des forces adverses.

Bien qu'une guerre ouverte entre Etats-Unis et Chine semble hautement improbable, certains scénarios comme une possible invasion de Taïwan pourraient-ils dégénérer en réelle escalade ?

Jean-Bernard Pinatel : Il ne peut y avoir que des crises locales et, le plus souvent, par puissances interposées entre deux puissances nucléaires. En effet, à l’ère nucléaire, le bénéfice espéré d’une agression est bien inférieur au risque d’escalade nucléaire qui peut résulter d’une confrontation directe. L’Inde et le Pakistan s’affrontent depuis leur indépendance. Tant que ces deux puissances n’étaient pas nucléaires, elles se sont opposées directement dans trois guerres qui ont fait des dizaines de milliers de morts. Depuis la fin des années 80, devenues puissances nucléaires, il n’y a eu que des affrontements limités et par milices interposées. 

La Chine sait très bien que si elle décidait par un coup de force militaire de s’emparer de Taiwan, elle ne pourrait pas le faire par surprise du fait de la concentration de forces que cela impliquerait. Même si elle réussissait et que les Etats-Unis évitaient de riposter directement,  le bénéfice de cette action serait largement moins grand que les dommages que pourraient lui faire subir une riposte indirecte américaine.

En effet, pour longtemps encore, la marine américaine est en capacité d’interdire toutes les importations maritimes de pétrole de la Chineet de stopper une grande partie de ses exportations qui s’effectuent par mer et ainsi de plonger le pays dans une crise économique profonde qui mettrait en cause la survie du régime actuel. La Chine,malgré l’augmentation impressionnante desa flotte,ne peut espérer réussir à briser un blocus américain avant au moins deux décennies car le gap de puissance entre leurs forces aéronavales ne se mesure pas en termes de tonnage mais de capacités opérationnelles et il reste aujourd’hui considérable.

François Géré : Les stratèges chinois ne font pas mystère de leur intention de récupérer Taïwan à plus ou moins brève échéance. Le colonel Liu Ming Fu a publié il y a quelques années « le rêve chinois », prônant l’unité de la Chine « sous un même ciel », qui a fait forte impression sur Xi Jing Ping. Un autre colonel, Chen Guodong travaille sur des scénarios de destruction par missiles des centrales électriques de l’île pour paralyser les défenses, suivie d’un débarquement massif pour conquérir l’île. Cela suppose évidemment que la voie soit libre et que la flotte américaine, neutralisée, ne puisse intervenir. En conséquence, la Chine développe des programmes de « déni d’accès » à base de missiles anti navires susceptibles de détruire les porte-avions des Etats-Unis et de couper les lignes de communication maritimes de l’US Navy. 

Par principe, le nouveau livre blanc de la défense chinois adopte un ton particulièrement agressif sur la question de Taïwan, tout en étant plutôt apaisant sur les tensions en mer de Chine méridionale. Pour les raisons invoquées ci-dessus, chacun montre ses muscles mais sans pour autant vouloir courir le risque d’une escalade. Cela peut donc durer ainsi pendant un temps assez long. Si l’on doit s’inquiéter c’est en raison de la permanence de ce statu-quoagressif et incertain sans qu’aucune solution politique vienne mettre un terme à la confrontation, sans aucun dialogue sur le contrôle et la limitation des armements. Pour l’APL comme pour le Pentagone il faut se préparer à un avenir belliqueux.

Des experts américains de la défense et militaires ont affirmé dans un article de The Atlantic, cette année, qu'en cas de guerre contre la  Chine, les Etats-Unis pourrait perdre. Ils parlent du pays comme étant, notamment, la "plus grande menace stratégique" aux Etats-Unis. Si la puissance militaire chinoise n'est pas comparable à la puissance militaire américaine actuellement, elle pourrait la dépasser d'ici cinq ans. Ainsi la Chine est-elle vraiment la plus grande menace, pour Washington, sur le plan militaire ?

Jean-Bernard Piantel : L’auteur de cette déclaration devant de comité sécurité de l’Aspen Institute est l’amiral Philip Davidson qui est le commandant des forces américaines dans le Pacifique (USPACOM). 

Il n’est donc que le chef que d’un des six commandements des Etats-Unis. Son propos est donc limité à sa zone de responsabilité et il n’envisage  en aucun cas l’hypothèse  d’une confrontation totale et mondiale entre la Chine et les Etats-Unis.

Il ne traite que du rapport des forces  en présence dans sa zone de responsabilité, le Pacifique. Et il le fait pour moi avec une phrase ambiguë  «China’s capabilities don’t outnumber America’s in the region for now, it’s possible they could overtake the United States’ within the next five years ». En effet le début de sa phrase que l’on peut traduire par « Les capacités de la Chine ne sont pas plus nombreuses que celles de l’Amérique dans la région pour l’instant » fait penser qu’il parle plutôt du nombre de bateaux, d’avions ou de forces terrestres que de leurs réelles capacités opérationnelles. 

A l’opposé la grande majorité des forces aéronavales chinoises est déployée dans la mer de chine, le golfe du Bengale jusqu’à Djibouti pour assurer la sécurité de ses approvisionnements. 

Aussi il est tout à fait possible que l’amiral Davidson ait raison et que, dans cinq ans, le nombre de bâtiments ou d’avions chinois déployés dans sa zone de responsabilité (USPACOM) puisse  dépasser (« overtake ») le nombre des avions et bâtiments américains. Mais en termes de capacités à mener une bataille aéronavale les américains disposent d’une expérience que n’ont pas les chinois et ils conserveront probablement pour une ou deux décennies encore  des capacités opérationnelles bien supérieures.

François Géré : Avec un budget de 710 milliards de dollars pour l'année 2020, les Etats-Unis maintiennent leur suprématie dans tous les secteurs militaires pour les années à venir. Bien que la Chine soit en progression et fasse un effort considérable dans les secteurs de haute technologie elle ne peut espérer faire jeu égal avant longtemps,probablement l'horizon 2050,  à supposer qu'elle y parvienne.  Par ailleurs au regard de la remontée en puissance des forces nucléaires et conventionnelles de la Russie, la menace stratégique russe constitue encore une forte préoccupation pour les Etats-Unis. Présenter la Chine comme la plus grande menace est un thème déjà ancien des planificateurs militaires américains qui s'inquiétaient dès la fin de la guerre froide. Cet argument sert à maintenir un budget de défense très élevé en stimulant la recherche et l'acquisition de matériels toujours plus sophistiqués, notamment dans le domaine spatial qui vient de s'autonomiser au sein des forces armées américaines. Si l'on tient à s'angoisser à juste titre, il faudrait envisager l'alliance des potentiels chinois et russes dans une guerre commune contre les Etats-Unis. Mais on n'en est vraiment pas là !

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