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L’attitude des médias britanniques sur la question du Brexit et leur jeu trouble avec Boris Johnson
©Daniel SORABJI / AFP

Bonnes feuilles

Alex Taylor publie "Brexit : l’autopsie d’une illusion" aux éditions Jean-Claude Lattès. Bouleversé et en colère après le Brexit, il choisit de devenir Français et obtient la nationalité française. À l’heure du repli sur soi, de l’explosion des populismes et des questions toujours plus cruciales sur l’identité, Alex Taylor répond par l’humour et la nuance. Extrait 2/2.

Alex Taylor

Alex Taylor

Journaliste et producteur, Alex Taylor a animé de nombreuses émissions. D’abord à FG puis pour France 3 (avec la célèbre émission « Continentales »), Pink TV et Arte. Journaliste à France Inter, à la BBC et à Vox (Allemagne), il a aussi été le directeur des programmes de RFI. Il a publié le Journal d'un apprenti pervers (Lattès, 2007) et Bouche bée, tout ouïe (Lattès, 2010). De septembre 2010 à juin 2011, il coprésente la tranche matinale de France Musique, avant d'animer sur cette même antenne une émission de rencontres « Voyage en moi Majeur ». Il a animé aussi sur France Inter la revue de presse internationale.

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Un mot aussi sur les poncifs concernant les tabloïds britanniques. On me fait souvent des remarques lorsque je reproduis sur Twitter un scoop du Sun ou du Mirror (« oui, mais c’est dans un tabloïd ! »). Leurs méthodes sont incontestablement parmi les plus odieuses du monde occidental. Il ne faut pas conclure pour autant que leurs informations ne sont pas fiables. S’ils y mettent les moyens, c’est que les journalistes de la rédaction des grands tirages se targuent de ne raconter que des informations vérifiées. Beaucoup de scoops dans les coulisses du Brexit arrivent par le correspondant politique du Sun. Pourquoi ? Il a droit aux fuites, nombreuses dans l’ambiance survoltée des entourages de différents ministres qui se détestent. Si l’on « fuite », c’est pour être lu. Autant se tourner vers les tribunes les plus consultées. On est aux antipodes des tabloïds d’outre-Atlantique, capables comme j’ai vu une fois à New York, de mettre en Une la présence soupçonnée d’extraterrestres dans la Maison Blanche. Même par les temps qui courent, cela entame quelque peu la crédibilité du journal. 

La réputation de la sacro-sainte BBC a également pris un sacré coup à cause du Brexit. Le problème est plutôt personnel qu’institutionnel. Il se trouve que les vedettes de la chaîne, installées depuis belle lurette, ont un profil similaire. Andrew Marr fait la principale émission politique le dimanche matin, John Humphrys celle du matin à la radio et Andrew Neil, ancien rédacteur en chef du Times, est l’un des journalistes vétérans du pays. 

Tous sont sans conteste pro-Brexit. Ayant travaillé dans les années 1980 comme Producteur de l’émission Today à la BBC, je peux témoigner que John Humphrys était, à l’époque, un modèle de rigueur. Trente ans après, ses questions laissent d’innombrables auditeurs de la principale matinale à BBC Radio bouche bée. Il a demandé, par exemple, au ministre irlandais des Affaires étrangères pourquoi il fallait une frontière entre les deux Irlandes « car on s’en passait très bien, s’arrangeant entre voisins, avant l’Union européenne ». Il a poussé le bouchon jusqu’à proposer que l’Irlande « quitte Bruxelles pour se réunifier à nouveau avec le Royaume-Uni ». Deux exemples que j’ai entendus dans une seule matinée alors que j’écris ce chapitre. 

Un autre exemple. Cette même émission, Today, a tenu à définir « le jargon autour du Brexit », payant une grande actrice pour lire des explications prétendument les plus simples et objectives. La libre circulation des personnes a été définie comme « la liberté pour les ressortissants européens de venir vivre et travailler au Royaume-Uni et d’avoir accès aux services publics et aux allocations ». Point. Nulle mention que cela marche dans les deux sens. Depuis quelques années il y a davantage d’Européens au Royaume-Uni que vice versa. Depuis quarante ans en revanche le mouvement général est clairement dans l’autre sens. Personne ne le saurait en regardant la page sur le site web de la BBC. Cela nourrit inconsciemment le narratif « ils nous envahissent ». 

Le paysage audiovisuel britannique vit beaucoup sur ses lauriers du passé, surtout dans l’imagination d’autres pays européens. La réalité est nettement plus nuancée et complexe. Prenez par exemple la chaîne d’information SkyNews qui a fêté ses trente ans d’existence en février 2019. Certes, elle fut lancée par Murdoch, faisant partie de son empire médiatique au même titre que The Sun et The Times. « C’est la BFMTV locale », m’a suggéré une journaliste française, spécialiste des médias. Pas tant que ça. Le ton des journalistes de cette chaîne privée, souvent en poste depuis bien longtemps, est clairement plus objectif sur les questions touchant au Brexit. De nombreux ministres préfèrent passer à la BBC pour des interviews plus « cosy », et moins dangereuses, face à des grandes vedettes qui les cajolent. 

En ce qui concerne la manipulation cynique et irresponsable des médias, la palme revient sans conteste à Boris Johnson. On l’a vu plus haut, sa carrière de journaliste ne faisait que nourrir ses ambitions politiques. Plus que tout autre, il créa des fake-news bien avant l’heure, à une époque où les gens faisaient une confiance quasi aveugle aux médias. Son lieu de prédilection, Bruxelles. Parmi ses inventions les plus étonnantes, des tailles réglementaires pour les préservatifs ainsi que l’interdiction des chips au goût de crevettes sauce cocktail. 

Son mythe le plus grotesque concerne le degré de courbature des bananes jugé inacceptable par Bruxelles : bendy bananas. Une participante à l’un des innombrables débats sur le Brexit a été questionnée par un journaliste de SkyNews qui la poussait à fond pour savoir comment la vie britannique serait meilleure une fois le pays sorti de l’Union européenne. Visiblement mal à l’aise pour trouver un seul diktat bruxellois qui la gênait dans sa vie quotidienne, elle finit par citer cet exemple. 

Les vieilles habitudes sont coriaces. Après avoir longuement hésité, Johnson annonce, au début de la campagne pour le référendum, son choix en faveur du Brexit. Il s’agissait plutôt de son analyse de la façon la plus efficace de s’installer au 10 Downing Street. Il a pondu deux éditoriaux, envoyant les deux pour ne pas révéler son choix avant le jour J. Sans doute aussi parce qu’il a eu du mal à peser les retombées du pour et du contre sur son plan de carrière. 

Dans la lettre publiée, il proclame qu’il faut sortir de l’Union européenne, ce « bastion des technocrates » où un pays comme la Grande-Bretagne n’a même pas le droit de passer des lois destinées à protéger la vie des femmes cyclistes. Il fait référence à ses efforts, alors qu’il était maire de Londres, afin de protéger les vélos contre les gros camions. « Nous voulions baisser la hauteur des vitres pour améliorer la visibilité. On nous dit que c’est impossible car il fallait attendre quelques années les directives européennes à ce propos, en dépit d’une suite d’accidents mortels frappant surtout des cyclistes féminins. » 

Le petit hic est qu’il a tort. Il a certes fait une campagne dans ce sens. La législation qu’il propose lui-même, loin d’avoir été refusée, fut approuvée au Parlement européen par 570 députés contre 88. Quel gouvernement a pu donc s’opposer à ces mesures ? Celui de son propre pays ! Un porte-parole du gouvernement a même expliqué à la BBC que « nous, en Grande-Bretagne, avons décidé de ne pas mettre en œuvre les directives européennes à cet égard. Les respecter imposerait de nouvelles tracasseries bureaucratiques ».

Pire encore ! Johnson le savait. En 2014 on le trouve, bien avant qu’il n’opte pour un Brexit, parlant des « douzaines de villes européennes qui soutiennent ces amendements. Nous pouvons sauver des centaines de vies à travers l’Union européenne. Je suis profondément déçu de la prise de position du gouvernement britannique. Je l’enjoins à prendre à bras-le-corps cette question si vitale ». 

En arrivant chaque matin dans son bureau à Bruxelles Johnson demandait, selon l’un de ses collègues, le correspondant du Times : « Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui, et pourquoi c’est mauvais pour la Grande-Bretagne ? » Parmi ses titres les plus mémorables, « Bruxelles recrute des renifleurs pour s’assurer que les engrais aient une odeur ». « Les escargots sont des poissons selon une directive »… Johnson concédera des années après à la BBC que pour lui c’était plutôt un jeu. « C’est comme si je jetais des rochers par-dessus la barrière du jardin. J’entendais la serre voler en éclats. Tout ce que j’écrivais depuis Bruxelles avait un effet incroyable, explosif sur le parti conservateur. » Sa phrase suivante est la plus révélatrice : « It really gave me this, I suppose, rather weird sense of power » (Tout cela me conférait, je suppose, un sentiment plutôt bizarre de pouvoir).

Extrait du livre d’Alex Taylor, "Brexit : l’autopsie d’une illusion", publié aux éditions Jean-Claude Lattès. 

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