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Les Français contre le burkini mais de moins en moins nu(e)s à la plage : la France devient-elle puritaine malgré elle ?
©FETHI BELAID / AFP

Eclairage

Un sondage de l'IFOP pour viehealthy.com s'intéresse aux femmes et à l’exposition de leurs corps sur les plages pendant l'été.

François Kraus

François Kraus

François Kraus est Directeur des études politiques au département Opinion de l'Ifop.

 

 

 

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Ce sondage a été réalisé par l'IFOP pour viehealthy.com

Atlantico : Vous vous êtes intéressés à la perception qu’ont les Français du monokini et du burkini, deux modes d'exposition des corps radicalement opposés sur nos plages. Deux France semblent se confronter sur ce point. Quelles sont-elles ? 

François Kraus : L’intérêt de l'enquête était de mesurer la gêne des Français à l'égard des formes de voilement et dévoilement des corps - notamment féminins, mais pas uniquement - dans le cadre des espaces publics dédiés aux bains de soleil ou de mer que sont les plages ou piscines municipales. 

L'actualité sur ces questions est brûlante...

Oui, on a tout d'abord ce qui s'est passé à Grenoble ces dernières semaines où des femmes militantes ont envahi des piscines municipales en burkini pour demander un changement du règlement qui interdisait de se baigner en burkini dans la piscine. Et inversement, en Bavière, il existe actuellement une polémique suite au fait que dans ce pays où il y a une culture du naturisme et du corps libre bien plus forte que dans d'autre pays, des femmes ont protesté contre la possible interdiction du topless dans les parcs et lieux publics en manifestant seins nus. Deux positions opposées qui s'affirment en même temps dans deux pays voisins sur le corps féminin. On se demande si montrer ses seins et son corps correspond à une exhibition sexualisée ou non du corps de la femme. 

Laquelle de ces deux positions convient le mieux aux Français aujourd’hui ?

Dans ce contexte, nous avons voulu faire le point sur le rapport des Français au voilement et dévoilement des corps. Ce qui est intéressant, c’est que les Français sont aujourd’hui plus choqués par une forme de voilement du corps féminin que par son dénuement total ou partiel. Vous avez entre les 2/3 et les 3/4 des Français qui sont choqués par la présence du burkini sur une plage ou une piscine alors qu’ils ne sont qu’un sur deux à être choqué par la pratique du nudisme intégral. Et ils sont moins d’un quart à être choqué gêné par l’idée qu’une Française pratique le sein nu sur une plage. Donc globalement on est toujours sur une vision tolérante dans les dires de la pratique de la nudité partielle ou intégrale et un rejet du couvrement du corps à connotation religieuse dans un lieu tel qu’une piscine ou une plage qui théoriquement est dédié à l’exposition du corps, que ce soit pour le bain de soleil ou le bain de mer. 

Il est certain qu’il y a des différences forte dans la société sur ces questions. On peut parler sur ce point d’archipelisation de la société, pour reprendre l’expression de Jérôme Fourquet, tant on voit que certaines minorité ethniques ou culturelles se distinguent très clairement du reste de la population par un plus fort rejet de la pratique des seins nus. On retrouve 60% des musulmans qui sont gênés face à cette pratique alors que la moyenne est de 22% sur l’ensemble des Français. Il y a aussi un effet générationnel : plus on est jeune, plus on est gêné - et social : plus on est pauvre, plus on est gêné aussi. Ce sont des effets culturels qui montent, notamment chez les personnes de culture arabe musulmane, on a un claire rejet de la nudité féminine à l’opposé du reste de la population. Ils sont les seuls par ailleurs à s’opposer à une loi qui interdirait le burkini dans les piscines. Là où les Français sont nombreux à répondre positivement à l’appel du maire de Grenoble qui a demandé au gouvernement de trancher le débat, un quart seulement des musulmans y seraient favorables, alors qu’une grande majorité des Français y serait favorable.

Les jeunes aussi semblent ne pas souhaiter une telle loi. Comment l’expliquer ?

Chez les jeunes, il y a plusieurs effets. Un effet structurel d’abord, car c’est chez les jeunes qu’on a la plus grande proportion de personnes musulmanes et subsahariennes. Des gens qui selon nos données sont beaucoup plus conservatrices ou traditionnelles ou encore rigoristes vis-à-vis de la nudité dans l’espace public. Chez les jeunes, c’est en effet un peu contradictoire avec une génération qui se veut une génération #MeToo qui serait très sensible aux questions homme/femme. Ce qui ressort, c’est que pour cette jeunesse, la notion de respect et de droit à la différence prime sur quelque chose qui est sans doute perçu par leurs ainés comme un signe d’égalité homme/femme. Il est possible qu’on ne perçoive pas autant la dimension politique d’un vêtement qui doit couvrir le corps d’une sexe mais pas de l’autre. La jeunesse se distingue de la population, ce qui signifie qu’à termes dans notre société, vous aurez une plus grande tolérance face aux différentes visibilités de l’Islam dans notre société.

Politiquement en tout cas, même dans les partis où on flatte un électorat musulman tel que Génération.s de Benoit Hamon ou LFI de Jean-Luc Mélenchon, la majorité des gens sont nettement favorables à une loi sur le burkini…

Très logiquement, il y a un quasi consensus de l’opinion en faveur d’une loi qui interdirait aux femmes de porter un vêtement à connotation religieuse tel que le burkini qui viendrait couvrir l’intégralité du corps. Bien sûr, la dimension islamique d’un tel vêtement fait que l’adhésion à une telle loi est plus forte à la droite de la droite où on rejette en général toute visibilité de l’Islam. Mais comme vous le soulignez, c’est qu’y compris dans des électorats beaucoup plus prompt à défendre les musulmans, on a de nettes majorités en faveur de cette loi. On voit bien qu’on est sur un relatif consensus, et donc que la dimension féministe de ces électorats joue aussi. 

Sur la question du burkini ou du topless, on n’est donc pas sur du fait divers ou de société, mais bien sur quelque chose d'éminament politique soit qui cristallise des effets de rejets à droite soit qui montre des réflexes féministes à gauche. 

Rappelons-le in fine : des thèses de sociologies et d’histoires ont montré ces dernières années que la question de la nudité des corps est relié au combat féministes de ces 50 dernières années. On sait bien que c’est un combat pied à pied, qui a été amorcé par les Françaises qui ont fait naître la pratique du topless en 1964 sur la Côte d’Azur, point de départ de sa diffusion dans le reste du monde par la suite. Cela a été un temps perçu comme quelque chose d’amoral, d’impudique, jusqu’à sa banalisation quasi-totale dans les années 80 qui furent les années du culte du bronzage au monoi et du tien hâlé. Le voilement du corps sur les plages peut être perçu comme une régression pour un électorat de gauche même s’il défend par ailleurs les droits des minorités musulmanes. 

Si on se penche sur les évolutions, ce rejet général ne semble cependant pas progresser, et les femmes ont plus de mal à se « dévoiler » aujourd’hui qu’hier, alors que le burkini progresse…

Les raisons de la baisse de la pratique du topless sont intéressantes à cet égard. On a de moins en moins de femmes qui enlèvent le haut d’abord pour des questions sanitaires, ce qui montre l’effet des discours sur ce point depuis quelques années. Mais ce n’est pas tout. Car si on regarde les jeunes femmes, celles qui sont aussi le plus victime de harcèlement de rue et de harcèlement sexuel en général - qui ont les corps jugés les plus désirables - disent que leurs principales craintes sont de susciter le désir des hommes et de provoquer une agression verbale, physique ou sexuelle. Cela montre que la pression sexuelle qui pèse sur les femmes se poursuit sur la plage, et c’est notamment très vrai pour les femmes qui vivent dans les agglomérations, dans des milieux populaires, ou qui sont elles-mêmes d’origines musulmanes. La question du burkini et du monokini est donc éminemment politique.

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