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Quand Pascal Durand gazouille contre Péguy…
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Tribune

Ainsi donc Péguy serait une « référence » d’un « nationalisme belliqueux et réactionnaire ». C’est du moins ce que nous dit Pascal Durand, ancien responsable d’Europe-Ecologie-les-verts et maintenant recyclé sous la bannière de La République en Marche pour rester député européen.

Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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Pascal Durand nous le dit dans un gazouillis (un court chant d’oiseau sur tweeter)  pour se moquer de François-Xavier Bellamy qui se réfère à Péguy dans son premier discours. Ah ! J’imagine que la tête de liste des républicains a cité Péguy pour une vaste levée en masse afin d’écraser les Allemands. Quelle est donc cette citation qui mazouterait encore une fois Péguy du coté de « la France Moisie » - pour reprendre l’expression de P Sollers – et qui mazouterait aussi François-Xavier Bellamy ? Une citation à double mazoutage. Je regarde et m’attends au pire. Attention, en exclusivité la voici : «  Il faut toujours dire ce que l’on voit : surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit ». Et là, je cherche et recherche l’once de la moitié du commencement d’un « nationalisme belliqueux et réactionnaire » ? Sans doute ai-je raté quelque chose. Une lumière verte – celle des verts. Une lumière Renaissance – celle de madame Loiseau et de sa troupe. 

Difficile de donner raison à de telles inepties. Difficile de ne pas reconnaitre le manque de culture générale qui éviterait, sinon pour gazouiller, de faire d’une belle revendication de lucidité péguyste un signe de « nationalisme ». Si M. Durand s’était donné la peine d’éviter les réflexes conditionnés pavloviens de gauche, il aurait vu, dans Notre Jeunesse, d’où est extrait cette citation, la belle défense de l’affaire Dreyfus et de sa mystique, la magnifique défense de la république encore fragile « qui est un régime de liberté de conscience ». Il aurait vu la superbe attaque contre « le monde moderne » et contre l’argent fou qui vient renverser toutes les valeurs au profit d’une équivalence universelle de tout. Il aurait vu une attaque en règle contre l’extrême droite de l’époque – qui elle était vraiment « nationaliste » et « réactionnaire ». Péguy préféra rester pauvre, toujours à la recherche d’argent, plutôt que de rejoindre Barrès ou Maurras. Il paya de sa pauvreté matérielle sa droiture intellectuelle et son refus de l’extrême-droite. Tout cela au moins aurait mérité un coup de chapeau de la part de M. Durand. Comment ne pas gazouiller d’admiration à l’égard de Péguy, quand celui-ci prit la défense, tout de suite, de Dreyfus alors que la gauche voyait dans le capitaine Dreyfus un grand bourgeois indéfendable et que l’action Française voyait en lui un juif apatride ? Pour les uns il était trop bourgeois, pour les autres, trop juif. Péguy lui dit ce qu’il voyait – un innocent. Il vit ce qu’il y avait à voir - une injustice. Oui, il fut alors belliqueux contre ceux qui ne dénoncent pas les injustices considérant, dit-il, que les injustices faites à l’un des membres de la cité affectent la cité toute entière.  

Et puis M. Durand devrait apprendre qu’en changeant de veste, d’une veste verte à une veste en marche, il devrait éviter de s’en prendre à ses nouveaux amis. Durant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron fit de nombreuses citations de Péguy. Devant les journalistes, en janvier 2018, il cita Péguy : « Dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste ». (Citation, soit-dit en passant, que répète à satiété le péguyste Edwy Plenel.) Quant à M. Blanquer, il dit souvent que « l’école de la république sait ce qu’elle doit a Charles Péguy ». Sont-ce là des membres de la confrérie des nationalistes belliqueux et réactionnaires ?  Non. Alors ? 

M. Durand devrait se donner la peine de lire Notre Jeunesse. A son corps défendant il découvrirait  les raisons de son crime d’inculture. Péguy dénonce, à juste titre, et même cent ans après, la trahison de la politique qui  « se moque de la mystique » alors même que « c’est la mystique qui nourrit la politique même ». Il découvrirait un allié de taille. Péguy est là contre les cités injustes. Là contre les chrétiens trop embourgeoisés. Là contre le délitement du tissu collectif. Là contre ceux qui détestent le « roman national ». Là contre la prolifération des mémoires particulières. Là. Toujours là. Alors, pour ceux qui osent affronter les problèmes, regarder en face la réalité, examiner l’état actuel de notre république, lisons-le, relisons-le. Il y a dans ses pages de nombreux reproches hautement fondés contre notre monde actuel. Le lire suffit à alimenter dix procès contre l’époque, à donner du grain à moudre à tous nos débats actuels, à faire apparaitre une ou cinq ou dix raisons contre ce que nous sommes devenus. Péguy est celui qui devrait donner mauvaise conscience à l’Epoque. Mauvaise conscience de ce que  l’Ecole est devenue, de ce que les professeurs actuels en ont fait, de ce que l’Education Nationale souhaite toujours en faire. Mauvaise conscience à l’égard de ce que la gauche à pu faire de sa « splendide promesse faite au tiers-Etat », faite au peuple – selon le mot de Mandelstam. Pour ne plus faire corps avec le « peuple de gauche », elle fait corps avec les minorités dont elle fait la promotion et épouse les revendications. Gauche désormais plus morale que sociale, plus sociétale qu’économique – et ce dans le prolongement de cette « trahison » déjà diagnostiqué par Péguy il y a un siècle. Et ce rêve péguyste d’une gauche généreuse et réconciliatrice, qui défend non des intérêts particuliers mais fait la promotion de l’humanité, qui ouvre l’homme à ses mystères plutôt qu’elle ne le ferme aux Dieux jugés obscurantistes, qui réconcilie l’histoire de France de Clovis et Danton, la morale de l’instituteur et celle du curé, la Monarchie et la République, ce rêve-là agaçait et agace toujours la gauche et son imaginaire et ses mythes et ceux qui les défendent. Nous en avons ici, avec les gazouillis de M. Durand une illustration supplémentaire. Dommage.  

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