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Pourquoi le G7 Finances ne risque pas de trouver des solutions aux problèmes des taxes numériques et des cryptomonnaies
©Reuters

Impasse intellectuelle

Les questions soulevées lors du G7 Finances concerneront principalement les cryptomonnaies et la taxe GAFAM. La mondialisation et la numérisation ont soulevé des problèmes qui doivent être traités : faut-il plus ou moins de mondialisation et d’intégration économique ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Est-ce qu’il vous semble qu’on se dirige de fait vers plus de régulation via des accords internationaux ou, au contraire, vers plus de nationalisme économique ?

Michel Ruimy : Rappelons rapidement ce qu’il se passe. Les ministres des Finances du G7 et les autorités de régulation craignent d’une part, l’ampleur potentielle que le projet de monnaie lancé par Facebook (Libra) pourrait prendre du fait des 2,3 milliards d’abonnés au réseau social et à ses filiales, ce qui conférerait une puissance inégalée à cet instrument d’échange détenu par une entreprise privée et d’autre part, les risques que ce support pourrait faire peser sur les monnaies souveraines, sur la stabilité financière et sur le statut des banques centrales en tant que garantes du système financier. En effet, la Libra se distingue d’autres cryptoactifs comme le Bitcoin, dans son intention de devenir une « stable coin » c’est-à-dire que, pour éviter la volatilité de son cours, la valeur de la Libra serait indexée à un panier de monnaies réelles (non définies pour le moment), probablement le dollar, l’euro, la livre sterling et le yuan. Les autorités de régulation s’inquiètent notamment de la composition de ce panier et des risques que cette situation pourrait faire courir aux devises concernées.

En fait, la dimension systémique de ce projet dépasse les préoccupations habituelles liées à la protection du consommateur ou à la lutte contre le blanchiment d’argent. Déjà, Facebook fait l’objet d’appels au démantèlement du fait de sa taille importante qui lui permet d’atteindre une position monopolistique. L’ajout d’un instrument de paiement sur cet empire fait craindre le pire aux gouvernements.

Ensuite, le G7 ambitionne également d’intensifier la lutte contre l’évasion fiscale et d’approfondir le vaste projet de réforme de la fiscalité internationale mis au point à l’OCDE. Selon l’ONG Oxfam, les multinationales transfèrent jusqu’à 40 % de leurs bénéfices réalisés à l’étranger dans des paradis fiscaux et, selon l’OCDE, les pertes liées aux montages fiscaux des grandes entreprises représentent de 4 % à 10 % des recettes mondiales de l’impôt sur les bénéfices, soit près de 240 milliards d’euros par an.

Pour limiter ces fuites, la France compte, au moins, décrocher un accord de principe avec notamment l’Allemagne et les Etats-Unis sur la nécessité d’instaurer un impôt minimal sur ces sociétés. Il est, toutefois, prématuré d’espérer s’entendre sur la définition d’un taux ou d’une fourchette de taux.

Dans ce contexte, les principaux régulateurs de la planète, traumatisés par la crise de 2008 en partie provoquée par des innovations financières qui avaient échappé à leurs radars, n’ont pas l’intention, cette fois-ci, de se laisser dépasser par des cryptoactifs prospérant sans contrôle. A l’instar de la France, d’autres souhaitent allier ouverture à l’innovation et fermeté réglementaire. Ainsi, on s’achemine davantage vers plus d’accords internationaux en matière de réglementation que de nationalisme économique.

D’après le triangle des incompatibilités de Dani Rodrik, si l’on veut protéger la démocratie, il faut choisir entre une intégration économique (et juridique) croissante et la souveraineté nationale, donc économique.

Quelle est la solution aux problèmes sociaux et économiques créés par cette numérisation ?

Selon cet économiste, un groupe de pays ne peut avoir simultanément une intégration financière et économique poussée (flux de capitaux, échanges de marchandises, monnaie unique…), des États-nations souverains et la démocratie. Ce triangle d’incompatibilités peut s’expliquer par le fait qu’à partir du moment où différentes économies échangent de plus en plus et deviennent interdépendantes, les États entrent en compétition et ne peuvent plus mener les politiques interventionnistes souhaitées par les populations. L’État peut alors soit choisir d’ignorer les vœux de celle-ci et garder sa capacité d’intervention soit, transférer ses pouvoirs à une instance supranationale.

Au plan chronologique, au début du XXème siècle, au moment de l’étalon or, les économies européennes étaient intégrées. Mais, les États gardaient leurs prérogatives en faisant peser les conséquences négatives sur la population en menant des politiques de déflation et en réprimant les révoltes occasionnées. Quelques années plus tard, le compromis de Bretton-Woods, qui dura de l’après-guerre jusqu’aux années 1970, visait, à l’inverse, à limiter l’intégration économique et à garantir la souveraineté des États ainsi que la démocratie. Ce système a échoué face à l’intégration économique de plus en plus poussée des économies mondiales. 

Plus récemment, pour assurer la paix, l’Europe s’est construite autour de la notion d’interdépendance économique, qui a fait sa richesse. L’Union européenne est ainsi devenu un espace intégré. C’est pourquoi, vouloir revenir en arrière aujourd’hui serait terriblement couteux. Il n’en demeure pas moins que, face au constat actuel, le trilemme de Rodrik nous enseigne que la seule solution acceptable revient à la création d’instances fédérales européennes. Nous sommes aujourd’hui dans un système bancal ou aucun choix n’a été fait. Les populations européennes subissent les doubles effets négatifs d’un manque de respect de la démocratie et de la perte de pouvoir des politiques, qui ne se trouve ni à Bruxelles, ni dans les capitales européennes. Aujourd’hui, par exemple, le peuple grec subit encore les conséquences d’une politique économique dictée par les marchés au détriment de la démocratie.

Ainsi, il n’est plus permis de douter du bien fondé d’un fédéralisme européen. Il est grand temps qu’au plan national, les hommes politiques acceptent de voir la réalité en face et confortent la démocratie en Europe. De manière plus générale, si la mondialisation est toujours plus forte, les décisions des Etats risquent de se limiter à vouloir attirer les entreprises et l’épargne mondiale au détriment de la préférence démocratique pour la protection des emplois, de la stabilité financière, de l’Etat-providence, etc. Si l’on accepte l’hyper-mondialisation et que l’on veut néanmoins la démocratie, il faut alors abandonner l’Etat-nation et passer à la gouvernance mondiale. Cette dernière option est une voie non souhaitable. Dès lors, face à cette numérisation croissante, il convient de réclamer un peu moins de mondialisation afin de conserver un espace national de décision politique et de démocratie.

Les Etats-Unis et la Chine semblent plutôt s’orienter vers une forme de défense de leurs intérêts économiques et de leur indépendance sur les deux points évoqués des cryptomonnaies et des taxes sur les géants du web.

Peut-on les contraindre à signer des traités de régulation économique mondiaux ?

Concernant la « monnaie Facebook », Donald Trump, fidèle à son habitude, s’est déjà fendu d’une série de tweets sur le sujet, prévenant l’entreprise qu’elle devra obtenir une licence bancaire pour mener à bien son projet. Mais bien que le responsable de la Libra ait assuré, lors de son audition par le Sénat américain, que Facebook se conformerait aux réglementations, il n’a pas précisé laquelle. Le projet de l’entreprise américaine est planétaire, et il faudrait que la grande majorité des pays développés s’entendent pour encadrer son l’évolution de ce projet. C’est bien là le problème !

Par ailleurs, l’idée française de taxer de 3 % le chiffre d’affaires national des grandes entreprises américaines du numérique est jugée potentiellement « discriminatoire » par les États-Unis. Elle pourrait aboutir à des mesures de rétorsion contre la France. En fait, cet impôt est destiné à « aiguiller » les réflexions communes et devrait être, en théorie, retiré lors de la signature d’un accord global conclu au sein de l’OCDE. Reste que la France n’est pas seule face à Washington : le Trésor britannique vient de présenter un projet de loi similaire, et d’autres Etats, dont l’Australie et l’Espagne, y songent. 

De fait, ce sont plutôt les divisions qui, en coulisses, feront l’objet des débats entre les participants de ce G7. Sachant que Paris n’a pas réussi à convaincre l’ensemble de ses partenaires européens d’instaurer une telle taxe, on voit mal comment cette réunion pourrait aboutir à autre chose que des déclarations de bonne volonté. La position américaine risque d’être renforcée par celle de la Chine, qui se trouve, grosso modo, dans la même situation. On risque de s’acheminer vers une signature a minima voire pas du tout de cet accord par ces deux grandes puissances. 

Alors que nous fêtons, cette année, les 75 ans de « Bretton Woods », pourrions-nous envisager la création d’une Organisation Mondiale de la Finance (OMF) visant à construire et à réguler le capitalisme. Les responsables de cette situation ne sont pas les marchés, dont la mission n'a jamais été le bien public, mais les États chargés d’édicter les règles du jeu ! Certes, il existe des régulateurs internationaux, tant pour les banques que pour l’assurance et les marchés financiers. Mais ces structures sont partielles et consultatives, et les pays émergents y sont peu représentés. Il conviendrait, peut-être, de transformer le Fonds monétaire international en « OMF ». 

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