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Nominations européennes : le compromis franco-allemand remis en cause
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Drôle de guerre

La Présidente désignée de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen doit recevoir aujourd’hui la majorité absolue au Parlement européen pour être confirmée dans son poste, mais cela ne sera pas aussi facile que prévu.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Un article publié le 12 juillet par Jean Quatremer dans Libération fait état d’un conflit qui existerait entre la ministre de la Défense allemande et le secrétaire général de la Commission Européenne, Martin Selmayr, et qui rendrait ce vote plus incertain que prévu. De manière générale, comment expliquez-vous que cette candidature ne soit pas facilement acceptée par les députés européens ? En quoi est-ce dû à un conflit germano-allemand ou du moins, à la situation politique en Allemagne ?

Christophe Bouillaud : D’une part, il faut bien rappeler encore une fois qu’Ursula von der Leyen, si elle est bien membre du Parti populaire européen (PPE), via le fait d’être membre de la CDU allemande, n’était pas la candidate désignée par le PPE lors de son Congrès pour présider la Commission européenne, si le PPE arrivait en tête en nombre d’élus européens au soir du 26 mai 2019. C’est l’allemand Manfred Weber, qui était le candidat du PPE après avoir fait toute sa carrière au sein du PPE au Parlement européen. La Présidente désignée constitue donc en soi un affront pour ceux qui pensent que l’élection européenne doit proposer directement aux yeux de tous les électeurs les candidatures à la tête de la Commission. Elle manque à leurs yeux de légitimité démocratique, et surtout elle semble enterrer de fait le système dit des « Spitzkandidaten ».

D’autre part, cette Ministre d’Angela Merkel ne s’est pas distinguée dans le cadre des différents gouvernements de cette dernière par un génie particulier. Elle a su certes durer, en enchaînant les postes, mais il ne semble pas qu’elle apparaisse aux yeux de l’opinion publique allemande comme une étoile montante, mais plutôt comme une personnalité sur le déclin. Elle n’est pas non plus exemple de critiques plus ciblées sur sa gestion ministérielle : par exemple, une enquête parlementaire est en cours sur le recours à de coûteux consultants pour le Ministère de la défense qu’elle dirige depuis quelques années. De fait, elle apparait comme une « obligée » d’Angela Merkel sans grand relief. Cette personnalité réunit du coup tous les ingrédients pour exaspérer une partie des socio-démocrates et braquer les écologistes dans son propre pays. Il faut dire que, du point de vue social-démocrate, le néerlandais Timmermans, qui était le « Spitzkandidaten » des socialistes européens, parait 100 fois plus qualifié pour occuper le poste. Il a été en effet le Vice-Président de la Commission sortante, et il a gagné l’élection européenne comme tête de liste (PvdA) dans son propre pays. 

Il y a donc une forte composante allemande dans les réticences à l’égard de cette Présidente désignée. Les complications avec le rôle du secrétaire général de la Commission me paraissent plus anecdotiques. 

Edouard Husson : Jean Quatremer est bien informé sur ce qui se passe à Bruxelles. Ajoutons qu’il a le zèle des convertis. Après avoir fait partie de ceux qui ne voyaient aucun problèmes dans la manière dont l’Europe se construisait, il a découvert, soudain, une forte présence de représentants allemands à Bruxelles. Et il est passé, aujourd’hui, à l’extrême inverse: après avoir rabroué ceux qui jugeaient excessive la confiance que les Français mettaient dans la capacité allemande à assumer un leadership européen, il voit désormais une volonté de puissance allemande partout.

Avant de traiter de cette dernière question, il faut rappeler que c’est le président français qui a mis l’UE dans la situation de tension où elle se trouve. Le processus de désignation qui avait été accepté par tous les gouvernements étaient la sélection du futur président de la Commission européenne parmi les « Spitzenkandidate », les champions des partis politiques du Parlement européen. A tort ou à raison, les uns et les autres pensaient que c’était une façon de « démocratiser » la construction européenne. Macron a refusé Manfred Weber, candidat présenté par le parti arrivé en tête, le PPE. Il l’a fait dans des termes méprisants. Madame Merkel, affaiblie, a essayé, alors de faire passer un candidat pris dans le deuxième groupe du Parlement européen, social-démocrate, Franz Timmermans. Et c’est là, selon Quatremer, qu’a commencé une querelle allemande, le secrétaire général de la Commission, Martin Selmayr, faisant tout pour saboter la candidature de Timmermans, puis celle de la candidate finalement pressentgie, Ursula von der Leyen. 

Qu’est-ce que ce conflit révèle quant à la domination de l’Allemagne sur l’exécutif Européen ? Est-elle légitime ?

Christophe Bouillaud : D’une part, c’est sûr que le compromis obtenu au final au sein du Conseil européen tend à montrer le poids des relations franco-allemandes dans l’ensemble européen. Madame Lagarde n’aurait pas obtenu la présidence de la BCE si un ou une allemande n’obtenait pas un poste important dans le même package de nominations. 

D’autre part, en raison de son poids démographique, l’Allemagne élit beaucoup d’eurodéputés, et en plus, tous ces députés siègent dans les trois groupes historiques du Parlement (PPE, ALDE devenu ‘Renaissance’ et PSE). Du coup, il est absolument impossible d’ignorer les informations pertinentes sur un candidat allemand et sur son positionnement dans son propre pays. Et bien sûr, la situation fragile de la « Groko » (grande coaliton) entre la CDU-CSU et le SPD n’arrange rien.

De ce double point de vue (poids de l’Allemagne au sein du Conseil européen, poids des députés allemands dans les différents groupes centraux du Parlement européen), il me semble que le conflit autour de la nomination de Madame Ursula von der Leyen, au sein même de députation européenne allemande, est légitime. Après tout, ce sont eux qui croient la connaitre le mieux. Ils exercent leur légitime fonction de contrôle démocratique.

Edouard Husson : Ce conflit nous révèle d’abord que la domination allemande des institutions européennes n’existe pas. C’est un fantasme d’européiste passant de la naïveté à la peur. Tout d’abord, Madame Merkel est profondément affaiblie politiquement. Elle n’est plus en mesure de donner quelque ordre que ce soit aux institutions européennes - si elle l’a jamais été. Car, ce que les observateurs français ne veulent pas voir, c’est qu’il existe désormais un 17è Land, celui des Allemands de Bruxelles, largement autonomes par rapport à la politique décidée à Berlin.

Que des Allemands soient nombreux et bien placés, aux postes-clé, c’est un fait. Mais les Français, à condition d’être un peu plus modestes et accrocheurs, pourraient faire la même chose. Cela n’a rien à voir avec l’impérialisme allemand qu’imaginent certains. Au lieu de se focaliser sur les principaux postes seulement, Paris ferait mieux de se demander comment occuper les directions de cabinets et les directions de la Commission. C’est là que se joue le pouvoir bruxellois, beaucoup plus que dans la bataille pour la présidence de la Commission. 

 Ce type de conflit peut-il aussi être relié aux contradictions qui existent au sein de l’Union, entre désir affiché de souveraineté européenne et prépondérance des questions politiques nationales par exemple, ou encore entre le projet démocratique qu’est l’Union, et sa construction bureaucratique dont la force est symbolisée par celle de Martin Selmayr ?

Christophe Bouillaud : Oui, on peut faire ces différentes lectures. Surtout, il faut souligner que la nomination de Madame von der Leyen poursuit la tradition ouverte avec la fin de l’ère Delors de nommer des médiocres ou d’honnêtes courtiers, pour être plus politiquement correct, à la tête de la Commission européenne, et des autres postes d’importance de l’Union – à la seule exception de Mario Draghi. Les dirigeants des Etats font en effet tout depuis 1995 pour éviter qu’un Président de la Commission politiquement entreprenant  finisse par imposer le passage à la fédération européenne de plein exercice. Du coup, nous avons de belles institutions européennes, qui permettraient de faire beaucoup pour l’intégration positive du continent, mais avec des dirigeants minimalistes à leur tête. De ce point de vue, en finir avec le mécanisme du « Spitzenkandidaten » qui ouvrait sur une compétition ouverte à l’opinion publique  et nommer une personnalité sur le retour à tête de l’ensemble correspond bien à ce schéma établi, comme si la série Santer-Prodi-Barroso-Juncker ne suffisait pas… Peut-on vouloir « sauver l’Europe » et lui donner des dirigeants de second rang ? Une personnalité dont personne n’envisagerait sérieusement qu’elle devienne le dirigeant suprême dans son propre pays…

Par ailleurs, la montée en puissance d’un bureaucrate comme Martin Selmayr ne doit pas occulter le fait que la Commission européenne, comme bureaucratie, a elle-même perdu de sa superbe. Les vingt dernières années ont vu par exemple une montée en puissance de la BCE dans la constellation européenne. La Commission est plutôt sur le déclin, et de toute façon, d’après ce qu’on peut en savoir, Selmayr ne représente rien d’autre que ses propres ambitions personnelles, mises au service des intérêts habituellement dominants à Bruxelles.

Au total, ces nominations correspondent surtout à la poursuite du manque d’ambition des Etats européens pour l’Union européenne. En 2019, on continue donc à marcher en crabe…

Edouard Husson : L’Union Européenne a surtout un problème français. Le principe des « Spitzenkandidate », ce n’était pas extraordinaire mais, malgré tout, cela donnait un peu de sens aux élections européennes. Ensuite, la France ne respecte pas les engagements budgétaires qu’elle a contractés comme les autres, et cela fait enrager l’Europe du Nord. Et puis Paris n’a aucune ligne sur le contrôle de l’immigration et se permet d’insulter l’Italie et la Hongrie qui savent ce qu’elles veulent. Enfin, au lieu de se demander comment le Conseil européen pourrait reprendre le contrôle sur la Commission - en bonne entente avec le Parlement européen - Emmanuel Macron préfère laisser la Commission négocier le Brexit puis il fait échouer un compromis avec la Grande-Bretagne. Le problème n’est pas la force de Monsieur Selmayr. C’est la faiblesse de Madame Merkel et d’Emmanuel Macron, l’une par usure du pouvoir et du fait d’un troisième mandat erratique; l’autre par autoritarisme. 

Dans quelle mesure la remise en question du conflit franco-allemand et l'absence de réaction d'Emmanuel Macron sont-elles les signes d'une des contradictions du macronisme ?

Christophe Bouillaud : Le choix de Madame Ursula von de Leyen est surtout contradictoire avec l'idée d'Emmanuel Macron d'une grande relance de l'intégration européenne. Il est assez difficile d'imaginer comment la construction européenne pourrait être relancée par une telle personnalité. Elle ne s'était pas fait connaître en effet auparavant par une vision globale pour l'Europe, et elle appartient tout de même au parti, la CDU allemande, le plus responsable de l'état actuel de l'Union européenne... Sans doute Emmanuel Macron pense-t-il que c'est lui seul qui fera au final avancer le char européen... et qu'au final il peut au moins se féliciter d'avoir torpillé le trop "parlementaire" Manfred Weber.

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