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Charte entre les Talibans et le gouvernement : le bilan (très) mitigé des négociations de paix en Afghanistan
©KARIM JAAFAR / AFP

Long chemin vers la paix

Depuis le début du mois de juillet, une série d'attaques des talibans a fait des dizaines de morts et des centaines de blessés parmi les civils afghans. La semaine dernière, des responsables talibans et un groupe de représentants du gouvernement afghan ont convenu d'une "feuille de route pour la paix" lors d'une réunion informelle à Doha.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico.fr : L'un des points convenus dans la résolution de paix rendue publique le 8 juillet est de réduire à "zéro le nombre de victimes civiles". Malgré les violences qui ont fait rage entre les afghans ces derniers jours, cette résolution marque-t-elle un progrès dans le processus de paix intra-afghan ?

Emmanuel Dupuy : Curieuse manière d’envisager la paix, en effet : alors que la réunion de Doha se tenait, pour la troisième fois (après des rencontres similaires à Moscou en février et mai 2019) entre 70 délégués afghans et talibans, un attentat suicide - immédiatement revendiqué par les talibans - faisait douze morts et plus de 150 blessés, dont des dizaines d'enfants, à Ghazni, dans l'est de l’Afghanistan ! 

Pire, le numéro 2 des négociateurs talibans présent à Doha, Mohammad Abbas Stanekzai, justifiait ce nouvel attentat d’une longue série, en le justifiant comme un « acte de combat pour la liberté » !

L’on peut comprendre, dès lors, que l’inquiétude monte à Kaboul, à mesure que s’approchent les élections présidentielles, encore prévues le 28 septembre, mais dont beaucoup doutent de la faisabilité. Pour rappel, certains résultats des dernières élections législatives d’octobre 2018 n’ont toujours pas été proclamés...

La double réunion de Doha (délégués afghans / talibans qui se réunissaient pour la première fois à Doha à la double initiative qatarie et allemande, d’une part ; représentants talibans et émissaire américain Zalmay Khalilzad qui entamaient leur septième rencontre à Doha), malgré l’accord en quatre point (cessez-le-feu permanent ; retrait des 18 000 troupes étrangères - dont les 12 000 soldats américains -; assurance que l’Afghanistan ne serve de sanctuaire pour les organisations terroristes - notamment Al Qaïda et Daesh ; mise en place d’un dialogue inter-afghan engageant le gouvernement) qui en découle, n’a pas levé tous les doutes quant à la sincérité des talibans. Loin de là...

Il ne s’agit, comme vous le mentionnez, que d’une "feuille de route pour l’avenir de l’Afghanistan » et non d'un accord de paix. Comment pouvait-il en être autrement, alors que les délégués afghans n’étaient présents à Doha, qu’a titre « personnel » et que les Américains et les Russes comme les talibans discutent entre eux, sans impliquer le gouvernement du président Ashraf Ghani et de son « premier ministre », chef de l’’exécutif, Abdullah Abdullah ?

Néanmoins, des progrès ont été accomplis. 

Indiscutablement, les pierres d’achoppement qui - jusqu’ici étaient absents des discussions -,notamment le rôle et la place des femmes ainsi que celui des minorités (hazaras, tadjiks, turkmènes, ouzbèques…) dans la future réforme de la constitution de 2004, font désormais partie des négociations. 

Reste à voir, désormais, si les prochaines discussions incluront, enfin, les représentants légitimes de l’Afghanistan, notamment les élus, à l’aune d’un processus électoral que l’on voudrait accélérer. 

En parallèle, les autorités afghanes ont entamé des pourparlers avec les États-Unis afin d'organiser le retrait des troupes étrangères et signer un accord de paix avant le 1er septembre. Quels sont les enjeux des négociations de paix entre les Etats-Unis et les talibans ? Ont-elles des chances d'aboutir ?

Les négociations entre l’émissaire américain, Zalmay Khalilzad et les négociateurs talibans sont, elles aussi, dans une phase cruciale. Il s’agit de la 7ème rencontre tenue à Doha, depuis septembre 2018. 

L’émissaire américain est un fin connaisseur de l’inextricable situation en Afghanistan, eu égard à son passage comme ambassadeur à Kaboul entre 2003 et 2005. Natif de Mazar-e-Charif, ce dernier n’a eu de cesse de vouloir accélérer ce qui était une promesse da campagne de Donald Trump, à savoir faire faire sortir tous les soldats américains, après 18 ans de présence. Washington espère toujours un accord avant le 1er septembre, soit quelques jours avant l’élection présidentielle afghane. Donald Trump souhaite surtout engager sa campagne pour la prochaine élection présidentielle en novembre 2020 avec cet acquis. Ce dernier, a pourtant, consenti, en août 2017, à ré-envoyer 3900 soldats américains supplémentaires dans le cadre de la mission ontarienne « Resolute Support », alors que quelque 2400 soldats américains sont décédés et 20 000 ont été blessés en Afghanistan depuis 2001.

Il en résulte ainsi un aveu de faiblesse certain de la part de Washington, qui donne le sentiment de vouloir « sacrifier »  quelques points pourtant considérés comme intouchables par et pour les Afghans, comme pour certains de ses alliés toujours engagés militairement en Afghanistan, à l’instar de l’Allemagne, qui y dispose de 1000 hommes. Le paradoxe veut que ce soient précisément ces points précis « sacrifiés » sur lesquels l’autre négociation a porté, nommément la garantie que le retour sur la scène politique des talibans ne se fasse aux dépens de celui de l’émancipation des femmes, ou encore de la scolarisation des enfants et notamment des jeunes filles, alors qu’actuellement plus de 70% des enfants afghans sont scolarisés et que 40% des élèves actuellement scolarisés dans le primaire et le secondaire sont des filles ?

Les talibans considèrent, du reste, qu’ils négocient désormais en position de force. Ils se voient déjà au pouvoir dans quelques mois, minorant ainsi quelque peu la portée du prochain scrutin de septembre et justifiant le refus de dialoguer avec le gouvernement de Kaboul. Ils en jouent d’évidence à outrance, allant jusqu’à justifier, en pleine négociation avec les Américains, des attaques contre les services de renseignement afghans…

Washington, en fermant les yeux, et en acceptant de négocier dans ces conditions fait peser un risque évident au processus de réconciliation national, que pourtant, tous les Afghans appellent de leurs voeux

Parmi les problèmes qui séparent toujours les afghans et les talibans figure le rôle que les femmes devraient jouer dans la société. Quelles sont les divergences sociales et culturelles à réduire entre les deux membres du conflit ? Sur quel terrain se gagnera la paix en Afghanistan ?

Indéniablement la question des femmes est au coeur du processus de paix intra-afghan comme au sein de la société afghane. Se réjouir de la présence de plusieurs femmes issues de la société civile ou du Haut Conseil pour la paix (HPC) parmi les 70 délégués présents à Doha, comme l’a pourtant fait, le Secrétaire d’état américain, Mike Pompeo, ne saurait suffire à garantir leurs droits fondamentaux dans l’Afghanistan de demain !

Une récente réunion à l’Assemblée nationale, sous le parrainage du groupe d’amitié parlementaire France-Afghanistan, organisée en lien avec le Club France-Afghanistan (présidé par l’ancienne ministre, Françoise Hostalier et dont j’ai l’honneur d’être vice-président, aux côtés de Fahimeh Robiolle), en présence de l’ambassadeur de France à Kaboul, David Martinon et de l’ancien Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, Staffan di Mistura,  rassemblant 15 femmes leaders afghanes - élues, journalistes, responsables d’ONG, universitaires - posait cette légitime question : où sont les femmes ? Seront-elles, en effet, sacrifiées sur l‘autel de la future paix ?

S’il faut se réjouir des avancées acquises lors des discussions de début de semaine à Doha, il ne faudrait surtout pas être dupe. Les talibans ont parfaitement compris quel est le narratif - comme dirait les anglo-saxons -  qui plait à la communauté internationale. La place de la femme semble, ainsi, à leur yeux acquise. Pourtant, en dénonçant, avec constance, la Constitution de 2004 qui garantissait constitutionnellement l’émancipation des femmes et des minorités, les talibans s’évertuent à s’attaquer à un fragile consensus obtenu de haute lutte.

L’on peut ainsi douter de leur légitime envie de garantir la présence des 27,7% de femmes au sein de la Wolesi Jirga, l’Assemblée nationale afghane (soit un taux supérieur à la moyenne mondiale de 21,7%). Se féliciteront-ils de l’augmentation par quatre (depuis 2007) des femmes au sein des forces de de sécurité afghanes, ou par trois au sein de la Magistrature, depuis 2003 ? La modification électorale, obtenue par une tacite entente entre députés conservateurs et talibans, réduisant - depuis 2014 - à 20% le nombre de femmes élus au sein des conseils provinciaux nous donne une claire indication de leurs desseins.

La société semble, hélas, s’acclimater à la sombre perspective d’un retour des talibans au pouvoir. L’augmentation de plus de 25% des violences faites aux femmes semble être un triste « étalon » de cette réalité. 

Les talibans se voient déjà revenir au pouvoir. Comme durant la période 1996-2001, où ils gouvernaient le pays, les talibans savent que la communauté internationale baissera la garde, que les troupes américaines et otaniennes seront parties d’ici quelques mois et que le gouvernement afghan ne bénéficiera plus de la manne financière garantissant - depuis 2004 - les 2/3 du budget de l’Afghanistan. 

Les Afghans qui vivent en guerre puis maintenant près de 40 ans n’aspirent qu’à la paix. Doit-elle pour autant être sacrifiée sur quelques valeurs et principes universels ? 

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