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Le 10 août 1792 : le jour où Louis XVI se mit en vain sous la protection de l’Assemblée nationale
©BEHROUZ MEHRI / AFP

Bonnes feuilles

Les éditions Perrin publient "Un été d’espoir et de sang". Pierre-Louis Rœderer est l'un des principaux acteurs du dernier été de la monarchie qu'il dépeint ici. Sa chronique retrace la première invasion des Tuileries, le 20 juin 1792, jusqu'à la journée du 10 août après l'assaut au Palais-Royal, du massacre des Suisses et de la suspension du roi. Extrait 1/2.

Pierre-Louis Roederer

Pierre-Louis Roederer

Pierre-Louis Rœderer (1754-1835) fut tour à tour député à la Constituante, procureur général syndic du département de Paris, membre de l'Institut, conseiller d'État et sénateur sous le Consulat et l'Empire, ministre du royaume de Naples et du grand-duché de Berg et enfin pair de France sous la monarchie de Juillet. 

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Thierry Lentz

Thierry Lentz

Thierry Lentz est directeur de la Fondation Napoléon. Il s'est affirmé comme le meilleur connaisseur actuel de l'époque impériale, comme en témoigne sa Nouvelle histoire du Premier Empire en quatre volumes (2002-2010). Il a récemment publié chez Perrin Le Congrès de Vienne, Une refondation de l'Europe 1814-1815 et Les vingt jours de Fontainebleau, La première abdication de Napoléon 31 mars-20 avril 1814 et Waterloo, ainsi que Le Diable sur la montagne. Hitler au Berghof. Thierry Lentz est lauréat de l'Académie des sciences morales et politiques pour l'ensemble de son œuvre.

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J’ai conduit Louis XVI à l’Assemblée nationale, le 10  août. Ce jour même, ce prince a été constitué prisonnier ; et il n’est sorti de sa prison que pour aller à l’échafaud : voilà des faits malheureusement trop certains. Leur enchaînement a facilité à la malveillance des ennemis de la révolution l’infâme contentement d’asseoir une injustice sur un faux raisonnement : ils ont conclu de la liaison de ces faits, que j’avais conduit Louis à ses ennemis, et que mon intention avait été de le livrer à leurs coups. 

Si, entre les amis de la liberté, il en est qui soient dans cette erreur, leur méprise est un tort, car elle est volontaire. C’est leur faute et non la mienne. Ils lisent de mauvais livres, au lieu de lire de bons écrits. Ils se plaisent aux ouvrages de partis, non aux écrits raisonnables et impartiaux ; ils aiment les pamphlets, les satires, les mensonges, les méchancetés inventées à plaisir ; au lieu de porter leur attention sur les actes, sur les journaux, sur les mémoires qui font autorité, et de s’attacher aux histoires écrites en honneur et en conscience sur ces fidèles monuments. Je le répète, leur injustice à mon égard est leur faute, et non la mienne. Je n’écris point ici pour ceux qui fuient la vérité, ni pour ceux qui la voient avec indifférence ; ce que je vais dire ne s’adresse qu’aux hommes d’honneur, dans la mémoire de qui je désire que le souvenir de mes actes publics ne périsse ni ne s’altère. Ce ne sera, au reste, qu’un résumé des écrits authentiques qui me concernent dans ceux que renferme ma Chronique de cinquante jours.

Il serait difficile à un homme qui, longtemps avant le 10 août, et surtout à l’époque du 20 juin, se serait montré contraire à la Constitution, de prouver la religieuse conformité de sa conduite avec la loi, dans cette nuit malheureuse, pour peu qu’elle pût paraître équivoque. Mais, par la même raison, le magistrat qui, dans les temps avant-coureurs du 20  juin, qui fut lui-même précurseur du 10  août, fit tout ce qui dépendait de lui pour prévenir l’attentat commis dans cette première journée, et osa en indiquer les auteurs à ses auteurs mêmes, paraît s’être élevé au-dessus de toute suspicion en ce qui regarde la seconde. 

Le 19 juin, le directoire du département de Paris, informé du mouvement qui se préparait, fit afficher et publier un arrêté sévère, pour interdire tout attroupement, enjoindre à la municipalité et au commandant général de la garde nationale de faire toutes les dispositions de force publique propres à contenir et à réprimer les perturbateurs du repos public. 

Cet arrêté, que précédait un préambule énergique, fut non seulement consenti, mais rédigé par moi. Le ministre de la Justice était présent quand je le rédigeai : c’est par cette raison, sans doute, que la proclamation du roi, du 11 juillet, porte le témoignage de ce fait. 

L’arrêté n’ayant pas empêché l’attroupement, je me suis rendu à la barre de l’assemblée, pour lui représenter que notre impuissance contre les attroupements venait de sa condescendance à recevoir dans son sein des multitudes d’hommes armés, et de l’éclatant accueil qu’elle leur faisait. Imputer à l’assemblée elle-même les désordres qui pouvaient résulter d’un attroupement qu’on savait près d’arriver à ses portes, c’était l’inviter, au moins, à censurer cet attroupement quand il se présenterait à sa barre ; c’était braver la minorité, qui était d’intelligence avec les chefs de l’attroupement. 

Elle était bien convaincue, cette minorité, de mon opposition à ses vues, et de l’indignation que je partageais avec tous les gens de bien contre les auteurs du 20 juin, lorsque, le 21, M. de Kersaint m’accusa d’être complice des mauvais desseins de la cour, et d’être agent de la conspiration qu’elle tramait contre le corps législatif. Elle applaudit à ses déclamations, qui allaient me faire citer à la barre, lorsqu’une lettre que j’eus occasion d’écrire fit évanouir tout prétexte d’humeur. 

Le roi ne me croyait pas complice de cette minorité, ni l’approbateur du 20 juin, quand il me faisait appeler le lendemain, à l’approche d’un nouvel attroupement qui s’avançait vers les Tuileries ; ni la reine, lorsqu’elle me marquait son inquiétude à l’occasion de la parole dure dite à Pétion par le roi, dont Pétion s’obstinait à couvrir la voix. 

Un ministre du roi, Bertrand de Molleville, l’intime confident de ses idées et de ses sentiments, a rendu un témoignage non suspect de ma conduite à l’occasion du 20 juin, dans son Histoire de la Révolution : « Le directoire du département, dit-il, avait parfaitement rempli sa tâche constitutionnelle par l’arrêté qu’il avait pris le 19 juin. La justice m’impose, autant que la vérité, le devoir de consigner ici les éloges qui sont dus à la conduite de tous ses membres et particulièrement à celle du procureur général syndic Rœderer : malheureusement sa vigilance, son zèle et sa fidélité furent aussi mal secondés qu’il était possible. » 

Le 20 juin donna lieu à des poursuites contre le maire de Paris. Le conseil général du département y mit beaucoup de chaleur. Je jugeais comme le conseil l’attentat du 20  juin très criminel, mais je ne croyais pas que le maire en fût coupable ni de fait ni de consentement, et je donnai mes conclusions en sa faveur. Les royalistes aveugles m’en ont fait un crime : qu’on lise mon rapport et qu’on me juge. Mais, que je me sois trompé ou non, la profession de foi qui précéda mes conclusions était d’un magistrat franc et loyal : « Je déclare que personnellement je regarde comme le comble de la démence ou de la scélératesse, tout acte tendant soit à la désorganisation des pouvoirs ou à leur division, soit à la division des esprits dans la circonstance déplorable où nous nous trouvons, en présence des étrangers qui nous menacent. Je pense que toute attaque livrée à l’autorité constitutionnelle du roi est un principe de division, peut-être de désorganisation ; je crois qu’il est également coupable de vouloir gouverner le pouvoir exécutif avec le canon du faubourg Saint‑Antoine, et le pouvoir législatif avec l’épée des généraux d’armée ; je pense que la Constitution, qui, suivant tant de gens, va perdre la Constitution, peut au contraire seule la sauver. » 

Ma doctrine n’était assurément pas celle d’un factieux ; peut-être même étais-je plus éloigné qu’il ne fallait du système de la déchéance légale ; mais il ne s’agit ici que du fait. J’avoue que je désirais vivement que le roi quittât Paris pour se rendre à Rouen, où le duc de Liancourt l’attendait, ce que j’avais appris de M. de Talleyrand. Le 8 août, Pétion ayant déclaré par sa lettre au département qu’il ne pouvait répondre de la sûreté du château, je m’empressai d’en donner avis à M. de Talleyrand. Mon billet ne le trouva point chez lui ; le porteur le lui fit parvenir au Palais de justice, où il était en qualité de juré. M. de Talleyrand me répondit ce seul mot : On le saura. Il est présumable que le projet du voyage fut éventé ; car, le 9, la municipalité fit consigner à toutes les barrières de Paris d’empêcher la sortie du roi. 

Enfin, je rappellerai la dernière phrase du discours que je prononçai le 9 août à la barre de l’assemblée, où je promets de faire exécuter le décret, quel qu’il soit, qui sera rendu sur la question de la déchéance, et d’empêcher, sur ma tête, toute entreprise qui y serait contraire.

Extrait du livre de Pierre-Louis Roederer, "Un été d’espoir et de sang", présenté et annoté par Thierry Lentz et  publié aux éditions Perrin.

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