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Voilà comment rendre gagnant l’accord commercial avec le Mercosur
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Concurrence

L’Union européenne vient de signer un accord commercial ambitieux avec les grands pays du Sud de l’Amérique latine réunis dans le Mercosur. De nombreuses voix s’élèvent pour crier au scandale. Et ceux qui l’approuvent gardent dans ce contexte un silence prudent.

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Le commerce fait-il progresser la paix et la prospérité ?

Montesquieu le pensait, quand il écrivait en 1748 dans son ouvrage De l'esprit des lois : L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble, se rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre ; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels… L’esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte, opposé d’un côté au brigandage, et de l’autre à ces vertus morales qui font qu’on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité, et qu’on peut les négliger pour ceux des autres.

L’Union européenne est elle-même une preuve tangible de cette intuition. Elle s’est bâtie sur la libre circulation des hommes, des biens et des idées, et nous avons incontestablement progressé, certes dans la douleur et le scepticisme parfois, à la fois dans la paix et dans la prospérité ! Pourquoi ce qui a marché entre 28 pays si différents, qui se sont fait la guerre pendant des millénaires ne s’appliquerait, par principe, pas entre deux continents ?

Certes le commerce sauvage entre le fort et le faible, le grand et le petit, le fourbe et l’honnête, le bien organisé et le désordonné, etc. produit dans la réalité de nombreuses déconvenues et injustices. Mais justement, en signant des accords détaillés entre des groupes d’états, après 20 années de négociations, on a plus de chance d’arriver à de bons résultats qu’en laissant s’appliquer la loi de la jungle.

Le commerce permet-il de diffuser des idées et de contenir certains extrémismes ?

Il est frappant de constater qu’en Europe, les pouvoirs qui ont des tentations antidémocratiques et xénophobes parlent beaucoup et fort, mais se gardent bien d’aller trop loin et de mettre ainsi en péril leur présence dans l’Union. Les dirigeants hongrois, polonais ou italiens ne coupent pas les ponts et ne prennent pas le risque de l’isolement. Le contre-exemple du Brexit doit quand même les faire réfléchir. Ils tiennent quand même au commerce et aux subventions européennes, et à la sécurité qu’elle apporte.

Et là on a un exemple récent : M. Bolsonaro s’apprêtait à sortirde l’accord de Paris sur le dérèglement climatique, comme M. Trump qui l’encourageait vivement à le faire, mais finalement… non ! Il a préféré signer l’accord commercial avec l’Europe, qui en faisait une condition non négociable. Bien sûr qu’il ne tiendra pas les engagements de son pays en la matière, mais la planète se serait-elle portée mieux s’il avait claqué la porte ? En fait il s’est mis dans une sorte de seringue : plus il nous vendra, plus coûteux sera pour lui la sortie de l’accord. Jusqu’à ce qu’un gouvernement plus raisonnable lui succède. Car comment penser que dans un accord entre l’Europe de 512 millions d’habitants, la zone la plus riche de la planète, et le Mercosur de 265 millions d’habitants aux revenus bien plus faibles, ce ne sera pas l’Europe qui aura le dernier mot (si elle le veut vraiment) ?

Y a-t-il des accords sans concessions ?

Bien sûr que non, si on a négocié pendant 20 ans avant d’arriver à cet accord, c’est bien que ça n’était pas évident. Et notons que ces accords entre Groupes de pays ont remplacé les accords mondiaux qui se négociaient auparavant à l’Organisation mondiale du commerce, et qui étaient devenus impossibles à conclure. Et il est à parier que la brusque conclusion doit beaucoup à la politique de M Trump. Ce dernier veut casser tous les accords qu’a signé son pays, commerciaux et autres. Il veut revenir à la pure et simple guerre économique, pariant sur le fait que sa puissance lui permettrad’en sortir gagnant… Logiquement, les pays voisins qui étaient plus ou moins sous sa coupe tentent de sortir du carcan, le Canada, le Mexique et ceux du Mercosur. Et dans ces cas-là, vers qui se tourner ? Evidemment vers l’Europe. La conclusion de ces accords est une sorte d’avancée, voire de victoire de l’Europe, qui avance là où les USA reculent !

Bien évidemment dans cet accord, nous allons, nous, vendre davantage de produits industriels ou élaborés, à des pays qui n’ont pas beaucoup d’industries : des voitures, des machines, de la chimie, de la pharmacie, du textile, mais aussi des vins et spiritueux, des fromages, de la charcuterie, des biscuits, etc. Dur pour eux, et il est à parier qu’il y aura des manifestations d’industriel locaux qui protesteront contre cette concurrence qu’ils jugeront « déloyale ».

Et nous allons acheter davantage de produits agricoles, spécialités de ces pays du Sud, en particulier du sucre, et de la viande de bœuf et de volaille. C’est là que les éleveurs européens, et en particulier français, protestent, logiquement, contre une concurrence qu’eux aussi jugent « déloyale »…

C’est dont aux pouvoirs publics de rétablir un certain équilibre, en aidant d’une manière ou d’une autre les secteurs qui vont se trouver en difficulté. Si, grâce à cet accord, on gagne des emplois chez Renault ou Sanofi, dans la mode, ou dans le Cognac et le bordelais, il faut aussi, dans le même temps, réussir à sauver nos éleveurs !

Regardons l’ordre de grandeur des chiffres

On annonce que dans cet accord 99 000 tonnes de viande de bœufs vont être détaxés (plus exactement les droits de douane vont baisser de 20 à 7,5 %). Ça paraît énorme, mais on peut tout aussi bien relativiser en constatant que nos importations actuelles sont de 200 000 tonnes. On baisse donc les droits de douane sur la moitié de ce qu’on importait déjà. Et cela représente 1,2 % des 7,8 millions de tonnes que nous produisons annuellement en Europe. On est là à la marge, bien loin de l’invasion que certains nous annoncent… De même pour les volailles, on en mange déjà dans toutes nos cantines et on en importe 500 000 tonnes par an. Un quota de 180 000 tonnes verra ses droits de douane baisser, c’est apparemment beaucoup, mais gardons la tête froide, ça ne représente que 1 % des 18 millions de tonnes que nous produisons en Europe ! Et cela après plusieurs années pour se mettre en place.

On doit bien pouvoir se débrouiller pour aider nos éleveurs à prendre les bonnes décisions afin de survivre à une concurrence accrue portant sur 1, peut-être à terme 2 ou 3 % du marché. Tiens, par exemple en exigeant que la viande servie dans sa cantine vienne de son département…

Et notons que dans la période, le mouvement de baisse de la consommation européenne de viande va très probablement s’accélérer. On en mange trop en Europe, et on se rend compte que c’est mauvais, pour notre santé, pour le réchauffement, pour l’épuisement des ressources, sans parler du bien-être animal. Il va donc falloir impérativement baisser notre production, et de beaucoup plus que 1 %. Produire moins, mieux, sous signe de qualité et vendre plus cher. Une véritable révolution pour le secteur dans laquelle l’accord avec le Mercosur, pour agaçant qu’il soit, reste et restera mineur.

Et tellement d’autres évènements peuvent se produire ; songeons à la crise de peste porcine en Chine, qui va obliger à abattre cette année dans ce pays entre 100 et 200 millions de cochons, soit entre 8 et 15 fois la production totale annuelle de la France, et 10 à 20 millions de tonnes, ce qui va mécaniquement provoquer une forte hausse mondiale du prix de la viande…

Les droits de douane n’ont rien à voir avec les normes sanitaires et environnementales

On évoque l’arrivée massive de viandes sales et polluantes, pleines de produits chimiques interdits en Europe et gagnées sur la déforestation de l’Amazonie. Mais… que viennent faire les droits de douane là-dedans ? Quel que soit le montant des taxes, c’est à nous les acheteurs, et en dernière instance les consommateurs, de fixer les qualités de ce qu’on désire acheter et manger. Le mouvement de croissance spectaculaire du marché du bio dans les dernières années en témoigne.

Regardons par exemple ce qui s’est passé avec le bœuf canadien après la signature de l’accord CETA si décrié. Seuls 36 fermes ont fait acter là-bas que leurs bœufs étaient élevés sans hormones, condition nécessaire exigée par l’Europe. Et dans la réalité on a importé 1 000 tonnes, même pas 2 % de ce qu’autorisait l’accord initial ! La phobie des hormones en Europe a été plus forte que la volonté d’abaisser les droits de douane !

Continuons donc à exiger toujours plus d’informations précises sur les conditions de production et la composition exacte de ce que l’on nous propose. C’est ça le vrai combat, quel que soit le pays d’origine.

Et, en matière de déforestation de l’Amazonie et d’agriculture chimique, n’oublions pas que le soja que mangent les animaux élevés en Europe couvre en Amérique latine 20 millions d’hectares, l’équivalent de la surface agricole de la France… et que 83 % du soja produit dans le monde est OGM (« compatible avec le glyphosate »)… On y est déjà jusqu’au cou !

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