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Menaces de frappes sur l’Iran : Donald Trump agit-il sous la pression du complexe militaro-industriel américain ?
©SAUL LOEB / AFP

Escalade de tensions

Avec une hausse de 7%, le budget américain de la défense américain a été porté à 716 milliards de dollars pour l'année 2019. Le budget 2018 avait lui aussi été fortement augmenté.

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Atlantico.fr : La présidence de Donald Trump bénéficie grandement aux militaires et aux entreprises du secteur. Au-delà des fantasmes, quelle est l'influence du complexe militaro-industriel aux Etats-Unis ?

Roland Lombardi : Tout le monde se souvient du fameux discours de fin de mandat du président américain, Dwight D. Eisenhower, en octobre 1961, où il mettait clairement en garde son pays sur l’influence grandissante d’un « complexe militaro-industriel », nouvelle expression à l’époque qu’il contribuera ainsi à populariser.

En vérité, il faut bien comprendre, même si cela semble assez cynique, que depuis la nuit des temps, l’organisation de toute société est basée sur la guerre et l’autorité des Etats a toujours résidé dans leur puissance militaire.

Aujourd’hui, chez les principales puissances exportatrices d’armes que sont les Etats-Unis, la Russie, la France, l’Allemagne et la Chine, les grands groupes industriels de l’armement sont bien sûr très puissants et très influents. Employant des centaines de milliers de salariés, ces sociétés sont le fer de lance des économies nationales, en les tirant vers le haut, et assurent souvent la positivité des balances commerciales. Ne dit-on pas que quand l’armement va, tout va ?

Par exemple, l’intervention russe en Syrie à partir de septembre 2015, a permis à Moscou de remporter de nombreux marchés dans la région. Et oui, faire la guerre, ça sert aussi à vendre des armes ! Autre exemple. Celui de la France. Comme je l’ai déjà écrit, c’est notre diplomatie des contrats commerciaux à court terme, dont l’armement tient une énorme place, qui nous empêche depuis des décennies d'avoir une politique claire et cohérente au Moyen-Orient. Notamment en nous paralysant puisque nous nous alignons malheureusement trop souvent sur les intérêts politiques (qui ne sont pas les nôtres !) de nos riches clients du Golfe comme en Syrie et plus récemment au Yémen... D’où, d’ailleurs, notre autre diplomatie de l’émotionnel et moralisatrice à deux vitesses qui finalement nous discrédite partout ! 

Pour en revenir aux Etats-Unis, la politique américaine étant ce qu’elle est, le financement des partis et des hommes politiques est grandement tributaire des grands donateurs et donc des grands lobbies de l’armement. Ces derniers exerçant une influence notable dans de nombreux districts électoraux. On comprend mieux alors le rôle prépondérant des « néo-conservateurs » ces dernières décennies... 

Quelles actions militaires américaines peuvent être, dans une certaine mesure, imputables à l'influence de ce lobby ?

Nous connaissons tous le rôle de la « course à l’armement » durant la Guerre froide...

Les 2 et 4 août 1964, dans le Golfe du Tonkin, des bâtiments de l’US Navy essuyèrent des tirs de la marine nord-vietnamienne. Ces incidents sont communément reconnus par les historiens comme les éléments déclencheurs de l’intervention massive des Etats-Unis dans le conflit indochinois - qui devint la Guerre du Vietnam - ! 

Longtemps, ces évènements furent controversés et le sujet de nombreux débats. Ces dernières années, les révélations d’archives déclassifiées ont pu conclure que cet accrochage fut instrumentalisé par les services de renseignement et du complexe militaro-industriel américains, dans le seul but de pousser le président Lyndon B. Johnson à entrer en guerre.

Sans tomber dans le « complotisme » de bazar ou de clavier, force est tout de même de constater que l’histoire est émaillée de ce genre de Cassus Belli...

Dans les années 1990, avec la chute de l’Union soviétique, certaines mauvaises langues, mais avec une part de vérité, avaient alors évoqué le besoin pour les industriels de l’armement aux Etats-Unis de se trouver un nouveau « Croque-mitaine » en la personne de Saddam Hussein... Plus tard, ce rôle fut attribué à Ben Laden et au « terrorisme international» dans les années 2000. Actuellement, pour certains, ce serait donc Poutine, la Chine et bien sûr l’Iran qui rempliraient cette fonction...

Enfin, il faut savoir que le marché mondial des armes est dominé par les États-Unis qui s'arrogent 34% des parts de marché. Ce qui signifie une croissance de leurs exportations militaires de 25% en 2013-2017 par rapport à 2008-2012. Durant cette période, Washington a ainsi fourni des systèmes d'armes à grande échelle à plus de 90 pays. Près de 50% d'entre elles ont été destinées aux Etats du Moyen-Orient...

Les liens de Dick Cheney, influent vice-président à l'époque, avec l'industrie pétrolière avaient été pointés du doigt lors de l'invasion américaine de l'Irak en 2003. Peut-on imaginer des pressions similaires venues d'influences telles que le lobby militaro-industriel, pour une potentielle attaque sur l'Iran ?

Moins des militaires toutefois. Comme cela a été le cas ces dernières années, on oublie souvent que les généraux, connaissant mieux que d’autres le prix du sang dans un conflit, sont souvent moins va-t-en guerre que certains philosophes de salons ou « ayatollahs » occidentaux de l’ingérence humanitaire ou des Droits de l’homme, tels les idéologues néo conservateurs...

C’est le cas notamment en Israël (où les généraux de Tsahal s’opposent toujours à tout conflit ouvert avec l’Iran) mais également aux Etats-Unis.

Effectivement, dès son élection, Donald Trump s’était entouré des meilleurs spécialistes militaires de la région comme un de ses conseillers les plus discrets, le général Petraeus. Les nominations au poste de conseiller à la sécurité nationale, du général H.R. McMaster, à la Défense, du général James Mattis, ou encore le général John Kelly, comme Secrétaire à la Défense intérieure puis chef de cabinet à la Maison Blanche, étaient une bonne chose. En effet, ils étaient des militaires d’expérience respectés, ayant servi en Irak et en Afghanistan (le général Kelly y a par ailleurs perdu un fils), et surtout, étaient paradoxalement considérés comme de véritables intellectuel-soldats réalistes et modérés qui connaissaient parfaitement la région. Malheureusement, afin d’atténuer les attaques de l’establishment américain qui veut clairement sa peau et où les néoconservateurs (ses adversaires), républicains comme démocrates sont nombreux, le président américain les a depuis remerciés. Ceci pour les remplacer par des néoconservateurs comme John Bolton ou dans une moindre mesure, Mike Pompeo...

Néanmoins, certains de ces anciens généraux ont toujours l’oreille du locataire de la Maison Blanche et la majorité des officiers supérieurs du Pentagone sont leurs anciens élèves ou leurs disciples. Il n’y a qu’à voir d’ailleurs les déclarations officielles, toujours très prudentes, du département de la Défense lors des derniers incidents dans le Golfe...

Du côté des lobbies industriels de l’armement, Trump a su, si je puis dire, se les mettre dans la poche, avec les contrats faramineux qu’il a ramenés du Proche-Orient depuis son élection. Je pense notamment aux juteux contrats signés avec l’Arabie saoudite (400 milliards de dollars), Israël, le Qatar, l’Egypte, les EAU et j’en passe... Les carnets de commande se remplissent pour plusieurs années !

Le problème c’est que lorsque l’on a des armes, on a tendance à vouloir s’en servir. Et les marchands étant ce qu’ils sont, ils en veulent toujours plus. Pas de guerre, pas d’argent ! C’est certes pour le moins inquiétant. 

Néanmoins, à la différence de ses prédécesseurs mais également des « néocons », Donald Trump est beaucoup moins influençable car plus indépendant. Milliardaire, il est paradoxalement le symbole du président « anti-système », d’où sa totale liberté de parole et d’action. Ce fut d’ailleurs la base de sa popularité et de sa victoire en 2016. Or, il le sait pertinemment, cela sera encore la clé de sa réélection en 2020. Par conséquent, ce n’est pas à 18 mois de la présidentielle américaine, que celui qui est absolument hostile aux utopiques et catastrophiques regime change et nation building, souhaiterait se lancer dans une aventure si hasardeuse avec l’Iran... 

Certes, devant la résistance de Téhéran à sa « pression maximale » et au refus des mollahs de négocier, il lui est de plus en plus difficile, de résister lui-même à la pression de certains belliqueux comme Bolton, son conseiller à la Sécurité national, le chantre des néo conservateurs américains. Jusqu’ici, Trump a su déjouer tous les pièges, qu’ils soient exogènes ou endogènes. On l’a vu avec les derniers incidents comme les deux tankers, norvégien et japonais, qui ont été la cible d'une attaque d'origine indéterminée, la semaine dernière, puis ces jours-ci, lorsqu’un drone américain fut abattu par les Iraniens. Dans ce dernier cas, le président américain a alors confirmé, de manière toujours très théâtrale, avoir annulé au dernier moment des frappes aériennes américaines, évoquant même une « erreur humaine » de la part des Iraniens !

En attendant donc, même si certaines personnes souhaitent le pire des scénarios, la situation reste tout de même sous un relatif contrôle. Bien qu’elles soient réelles, ces tensions dans le Golfe assurent encore les beaux jours des complexes militaro-industriels américain, russe et français. Elles font également remonter le cours du pétrole (ce qui peut gêner la Chine dans sa guerre économique avec les USA). Elles sont aussi synonymes d’audience pour les médias. Bref, pas mal de monde y trouve finalement son compte et des canaux très discrets de discussions existent toujours en cas d’escalade paroxysmique...

Reste juste à savoir, dans ce contexte extrêmement tendu, comment et combien de temps, Trump arrivera à éviter l’irréparable tout en maintenant ses menaces...

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