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Ce piège dans lequel tombe le gouvernement en introduisant le concept d’islamophobie dans le proposition de loi Avia sur la lutte contre les contenus haineux
©REMY GABALDA / AFP

Délit de blasphème, le retour ?

La loi Avia portant sur la lutte contre les contenus haineux sur Internet comptait introduire la notion d'"islamophobie" dans la loi, avant de se rétracter.

Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel).

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

 

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Cet interview a été réalisée le mercredi 19 juin. Depuis, Laetitia Avia a annoncé, "pour lever tout doute" la modification du terme "islamophobie" par "anti-musulmans".

Atlantico : Ce concept est-il aussi neutre que veut l'entendre Laetitia Avia, laquelle affirme qu'il ne modifie pas le champ de la Loi 1981 qui comprend les injures ou incitations à la haine à raison notamment de la religion ? 

Philippe d’Iribarne : Le discours centré sur terme d’islamophobie a un rôle éminemment stratégique. C’est un bouclier dressé contre toute critique de l’islam, si fondée soit-elle, et contre toute tentative, si nécessaire soit-elle, pour lutter contre l’emprise de l’islam politique. Il vise à retourner contre celui qui l’émet tout propos mettant en évidence les aspects sombres du monde musulman. Celui qui s’y risque est immédiatement accusé d’être animé par une aversion aveugle et indiscriminée envers l’islam. Il s’agit en particulier, à travers de telles accusations, de détourner l’attention de tout ce qui relève des atteintes à la liberté de conscience dans le monde musulman (un musulman n’a pas le droit de se convertir à une autre religion, une musulmane n’a pas le droit d’épouser un non musulman) ainsi que du statut social inférieur que le monde musulman réserve aux femmes. Le discours de l’islamophobie vise de même à disqualifier toute action tendant à limiter l’emprise de l’islam politique et de l’ordre social qu’il cherche à faire régner.

Ainsi le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) cherche à faire abroger, en les présentant comme « islamophobes », la loi sur l’interdiction des signes religieux (donc du voile islamique)  à l’école, de même que la loi sur la dissimulation du visage dans l’espace public, prohibant le niqab et la burqa. Les résistances, au sein des piscines publiques, à l’imposition d’un ordre islamique symbolisé par le port du burkini sont déclarées elles aussi islamophobes, alors même qu’il ne s’agit que de l’application de règles générale d’hygiène. De même encore, la résistance des entreprises au port d’une tenue islamique, symbole majeur d’un ordre social qui exige un strict contrôle des femmes, est présentée comme islamophobe. Au total cette notion est au cœur d’une opération de travestissement des critiques et des résistances à une action sociale et politique conduisant à mettre en cause l’ordre républicain. 

Introduire le terme islamophobie dans une telle loi n'est-il pas une forme de réintroduction du délit de blasphème (uniquement pour l'Islam), et une victoire pour l'islamisme militant qui a poussé cette notion depuis des années ?

Le terme d’islamophobie permet un double glissement de pensée. Un premier glissement est de présenter ce qui est en fait une résistance à un ordre social et politique qui bafoue les valeurs cardinales du monde Occidental comme rejet d’une « religion ». La dimension spirituelle de l’islam, qui se manifeste par la prière ou le jeûne, pratiqués dans le respect  de ceux qui ne s’y associent pas, est mise en avant pour couvrir d’un voile d’invisibilité ce qui relève au contraire d’un ordre social et politique ennemi des valeurs de liberté et d’égalité. Le second glissement est de déguiser toute critique de ce qui est ainsi déclaré « religion » en haine envers des personnes, en « phobie ». Ce second travestissement permet de prétendre que ce sont les musulmans comme personnes que l’on cherche à protéger et qu’il ne s’agit pas de réintroduire un délit de blasphème. Ce qui est impressionnant, et dont l’introduction du terme islamophobie dans la loi  témoigne, est le point auquel les tenants d’un islamisme militant ont réussi dans la manipulation de l’opinion permise par ce double travestissement.

De plus, une telle loi ne risque-t-elle pas d'être d'autant plus problématique que son application risque d'être très compliquée, comme c'est souvent le cas avec les régulations des contenus en ligne ? Ne risque-t-on pas d'augmenter les tensions ? 

On peut prévoir la manière dont la loi va être utilisée par les tenants d’un islamisme militant et leurs compagnons de route. Ils vont faire des procès aux grands acteurs du numérique chaque fois que ceux-ci auront laissé passer des propos mettant en évidence des aspects sombres du monde musulman et de l’islam. On peut être certain qu’ils perdront largement ces procès, comme c’est le cas actuellement, dans la quasi-totalité des cas, pour les procès qu’ils intentent à ceux qui refusent de se taire face aux offensives de l’islam politique (pensons aux procès faits à Georges Bensoussan ou à Mohamed Louizi). Mais l’objectif qu’ils poursuivent à travers de tels procès sera atteint : intimider leurs cibles, les conduire à une forme d’autocensure par désir d’éviter les ennuis, et en particulier de risquer de porter atteinte à leur réputation. Cela ne fera certes qu’augmenter les tensions, mais cela n’est pas pour déplaire, bien au contraire, aux tenants d’un l’islam politique.

Face à cette offensive, il me paraît essentiel d’agir contre l’opération de désinformation qui se déploie de la même manière qu’on le fait, avec plus ou moins d’énergie, contre d’autres opérations de même nature, telles celles qui viennent de l’industrie du tabac ou des producteurs de perturbateurs endocriniens. Il s’agit de rétablir la vérité des faits. Pour ma part, c’est ce que je me suis efforcé de faire dans Islamophobie, intoxication idéologique en m’appuyant sur une analyse serrée des études prétendant « démontrer » que notre société est « islamophobe ». Mais on peut craindre que la loi qui se prépare, loin de contribuer à une prise de conscience  des mensonges que véhicule le discours de l’islamophobie, ne contribue à renforcer leur effet délétère.

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