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Pourquoi les jeunes Français sont bien loin du portrait idéalisé d’une génération libertaire, ouverte et écolo…
©Tolga AKMEN / AFP

Génération conservatrice ?

Contrairement au narratif mis en place notamment lors des élections européennes, les jeunes sont bien plus conservateurs qu'on ne pourrait le penser.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : A la suite des élections européennes et de l'importance du vote jeune pour les listes écologistes, de nombreux médias ont insisté sur l'importance qu'accordaient les jeunes aux combats de société progressistes, que ce soit sur le plan de l'écologie, de l'économie ou des valeurs. Est-ce réellement le cas ? 

Vincent Tournier : Le constat de départ est exact. Selon l’institut de sondages Louis Harris, 22% des 18-24 ans ont voté pour la liste de Yannick Jadot (un sondage IFOP va même jusqu’à 25%). C’est donc un résultat nettement supérieur à la moyenne nationale qui est, rappelons-le, de 12%. Donc, l’effet de l’âge est ici indéniable, et il est même nettement plus sensible qu’en 2014 : à l’époque, selon un sondage IFOP réalisé le jour du vote, la liste Europe Ecologie-Les Verts avait obtenu avec 15% chez les 18-24 ans (contre 9% en moyenne), mais 17% chez les 25-34 ans. Les écologistes avaient donc eu plus de mal à attirer les plus jeunes électeurs. 
Cela dit, une fois qu’on a fait ce constat, il faut aussi relativiser. Les jeunes sont très loin de voter majoritairement pour les écologistes (surtout si on tient compte des abstentionnistes). En outre, si on regarde les préoccupations pour l’environnement, les jeunes ne sont pas forcément les plus écologistes. Plus exactement, il semble que la diffusion des idées écologistes se fasse moins bien dans les générations les plus récentes, celles qui sont nées depuis les années 1990-2000. Tout dépend en fait de la façon dont on interroge les gens : si on les interroge seulement sur l’environnement, ils ont souvent des réponses qui vont dans le sens de l’écologie. Mais si on leur demande quelle place ils lui accordent comparativement à d’autres enjeux, par exemple la croissance économique, alors les choses deviennent plus compliquées. C’est compréhensible : si on vous demande à quelqu’un s’il est favorable à un air moins pollué, il serait bien fou de répondre par la négative ; mais si vous lui demandez de choisir entre un air moins pollué et des emplois pour ses enfants, la réponse cesse alors d’être évidente. 
Par ailleurs, il faut aussi se méfier de la tendance à idéaliser la jeunesse. On se plaît à voir les jeunes comme des êtres purs et vertueux, capables de régénérer la société. Or, ils ne sont pas dénués de contradictions : ils se disent certes très sensibles à l’environnement, mais ils s’engagent très peu dans les associations écologiques et, surtout, ils sont les premiers à faire tourner la société de consommation parce qu’ils raffolent des voyages, des vacances, des réseaux sociaux, de la vie festive, etc. autant de pratiques qui ne sont guère compatibles avec une préservation des ressources, et qui peuvent difficilement être compensées par quelques déplacements en trottinette ou en covoiturage. 

Une étude datée de mai 2019 semble montrer que les jeunes ne croient plus autant en la démocratie que leurs ainés. Comment expliquer cette pente ? Peut-on parler de radicalisation du discours politique de la jeunesse française ?

Le problème se pose effectivement. Mais plutôt que de « radicalisation », les spécialistes préfèrent parler de « déconsolidation » pour désigner cette érosion des valeurs démocratiques dans les jeunes générations. De son côté, le politologue Ronald Inglehart parle d’un « cultural backlash », expression que l’on pourrait traduire par « retour de balancier » : il analyse la poussée des partis dits populistes comme une réaction face aux changements de ces dernières décennies. 
Toutes ces réflexions pointent un problème bien réel : le doute, et même plus que cela, qui commence à se diffuser sur la valeur même de la démocratie. A l’échelle de l’histoire longue, ce n’est pas forcément étonnant : les philosophes de l’antiquité ont compris depuis longtemps que l’histoire politique n’est pas linéaire, mais qu’elle se caractérise par des cycles. Les citoyens préfèrent un régime démocratique, mais la démocratie finit par se corrompre et ils se tournent alors vers un leader charismatique ; puis ce dernier se laisse progressivement dominer par les élites (l’aristocratie), ce qui conduit le peuple à réclamer à nouveau la démocratie. De cette réflexion découle enseignement : la démocratie est périssable. C’est pourquoi il est très important d’engager une réflexion sérieuse sur les causes qui provoquent aujourd’hui ce désamour, si l’on veut espérer corriger le tir. Mais le problème est qu’on n’en prend pas vraiment le chemin. Cela fait par exemple des années que l’abstention augmente dans une indifférence quasi-générale. Mais le problème est qu’il n’y a pas toujours des solutions.

Actuellement, un mouvement de jeunes féministes est relayé par toute la presse. Elles appellent à manifester visiblement contre le coût des protections contre les menstruations en s'en privant volontairement. Ce genre de cas correspond-il réellement aux aspirations de la jeunesse aujourd'hui ? 

Il faut relativiser l’ampleur de ce mouvement. Sur Instagram, le collectif « Ca va saigner » regroupe 9.700 abonnés. Quant à la pétition qui réclame le remboursement des serviettes hygiéniques, elle n’a recueilli que 35.000 signatures. A titre de comparaison, une pétition qui s’oppose au déremboursement de l’homéopathie est actuellement à 270.000 signatures. 
On a donc affaire à un micro-phénomène, mais il est clair que celui-ci bénéficie d’un écho médiatique très important. C’est tout le problème de la société contemporaine : des petits groupes parviennent assez facilement à occuper le devant de la scène. Il leur suffit pour cela de réunir trois ingrédients : avoir une bonne stratégie de communication (c’est ici le cas avec le sang sur le pantalon), placer sa cause sur le terrain de l’égalité (les menstrues créent une injustice puisqu’elles ne concernent que les femmes) et choisir le moment opportun pour agir (l’actualité connaît un petit creux après les élections européennes et la crise des Gilets jaunes). Le contexte global, qui met en avant la cause des femmes, favorise aussi la réceptivité de cette mobilisation, y compris avec la coupe du monde de foot féminine. 
Sur le fond maintenant, l’argumentaire de ses femmes est problématique à deux titres. D’abord, cette demande peut paraître incongrue par rapport aux grands enjeux qui pèsent aujourd’hui sur la sécurité sociale. On a actuellement une grève dans les services d’urgences, des problèmes dans l’accès aux soins, des réformes qui s’annoncent douloureuses sur le chômage ou les retraites. Bref, par rapport aux grands enjeux du moment, la question du remboursement des règles semble moins cruciale. 
Ensuite, demander un remboursement par la sécurité sociale, cela revient finalement à assimiler les règles à une maladie ou un handicap. C’est donc dire que les femmes sont structurellement en situation de maladie ou de handicap par rapport aux hommes, ce qui n’est pas forcément le meilleur moyen de plaider en faveur de l’indifférenciation. C’est tout le problème du féminisme : la meilleure manière de plaider leur cause consiste-t-elle à réclamer l’égalité absolue ou au contraire à mettre en avant les spécificités de chaque sexe ? 

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