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Pourquoi l'INSEE a-t-elle assassiné la ruralité française ?
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Zone rurale

Ne ditez plus "zone rurale" mais "commune isolée hors influence des pôles"! L’INSEE a décidé de rayer de son vocabulaire le mot rural dans ses typologies entre entre espaces à dominante urbaine et espaces à dominante rurale. Comme si la France n’avait plus de vraies campagnes...

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Atlantico : Vous avez évoqué l’idée d’un « meurtre rural », pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?

Gérard-François Dumont : L’INSEE, lorsqu’elle étudie le territoire français, propose un certain nombre de découpages. Elle présente notamment un découpage appelé le « zonage en aires urbaines ». Ce dernier distinguait jusqu’à présent, pour simplifier, deux types de France : l’espace à dominante urbaine et l’espace à dominante rurale. Dans la nouvelle définition que l’INSEE vient d’arrêter, l’adjectif « rural » a disparu. Cet espace à dominante rurale change d’intitulé et devient « commune isolée hors influence des pôles ». Comme si la France n’avait plus de vraie ruralité.

C’est assez grave car, déjà au cours de la définition antérieure, l’Insee avait une définition extrêmement extensive des villes. Elle réduisait considérablement la réalité de la ruralité en France. Hors cette ruralité a une importance cruciale, nous l’avons bien vu au premier tour des élections présidentielle.

Justement, quelles sont les conséquences de cette manière d’analyser le découpage géographique de notre pays ?

C’est un phénomène qui veut donner l’impression qu’il n’y aurait de possibilités d’évolution, d’innovation et de créativité que dans les grandes métropoles. La France comprend pourtant de nombreux territoires ruraux qui ont fait la preuve de leurs capacités d’innovation. Nous avons par exemple des territoires comme la Mayenne ou la Vendée qui n’ont pas de métropoles, sans que cela ne les empêche de développer des activités économiques importantes tout en ayant un taux de chômage nettement inférieur à la moyenne nationale.

Il faut rappeler un autre élément : la France continue d’être extrêmement inégalitaire dans la mesure où la dotation globale de fonctionnement que l’Etat verse aux communes n’est pas égale selon le lieu où se trouvent les habitants. Dans les villes les plus peuplées, la dotation par habitant est plus élevée que dans les petites villes et les petites communes. C’est injustifiable.

A-t-on vraiment besoin que l’INSEE évoque cette ruralité pour que la France dispose de politiques prenant en compte cette réalité ? Quel est le lien entre les deux ?

A partir du moment où l’on fait disparaître la notion même de ruralité, cela sous-entend qu’il n’y a plus de logique politique liée à cette ruralité. Comme si tout le monde vivait dans des villes. Le système de découpage que nous venons d’évoquer a déjà eu lieu. Par le passé, l’Insee avait déjà prévu d’autres types de découpages avec notamment la ZIU, la Zone de peuplement industriel et urbain, qui avait pour objectif de distinguer au sein du territoire français ces ZIU et les zones rurales. Il a perdu toute pertinence pour une raison simple : les critères extensifs choisis par l’Insee faisaient que la quasi-totalité de la population se retrouvait dans une seule catégorie.

Pourtant, la richesse de la France se trouve aussi dans son territoire ! Nous avons le troisième plus grand territoire d’Europe, après la Russie et l’Ukraine. Ce n’est pas en ignorant cet atout extraordinaire, composé à la fois de la grandeur du territoire français et de la diversité des terroirs, que nous pouvons préparer au mieux l’avenir.

Cette approche du territoire, qui met la ruralité entre parenthèses, est-elle une spécificité française ?

C’est une problématique très française, effectivement. Elle est l’héritage du jacobinisme. L’idée que la centralisation est une bonne chose est restée. Lorsque l’on a sélectionné les capitales des régions, on a presque toujours choisit la ville la plus peuplée. Si vous allez dans un certain nombre de pays étrangers, ce n’est pas forcément le cas. Prenons les Etats-Unis : la capitale de l’Etat de New York n’est pas New York, mais Albany ; celle de la Pennsylvanie n’est pas Philadelphie, mais Harrisburg…

Nous avons en plus transposé ce jacobinisme national en un jacobinisme régional. Lorsque nous avons réorganisé les grandes administrations, nous avons considéré qu’il fallait les concentrer dans les grandes capitales régionales. Ce n’est pas forcément nécessaire. Même chose en 1991 lorsque le gouvernement de Madame Cresson a lancé sa politique de décentralisation : sans compter la première étape, consistant à redéployer le ministère des Finances de Rivoli à Bercy, nous nous sommes appliqués à ne jamais envisager des villes de tailles de moyennes comme destination.

Existe-t-il des signes de prise de conscience ?

 Il est important de mettre en évidence toute la créativité qu’il y a dans les territoires ruraux. Ils peuvent contribuer à l’innovation et notamment à la création d’emplois. En parcourant le territoire français, on découvre une multitude d’initiatives intéressantes. En comparant les petites villes, on se rend compte qu’elles peuvent très bien s’en sortir dès lors qu’elles ont une bonne gouvernance. Elles pourraient d’autant plus se développer si nous n’étions pas constamment soumis à ce jacobinisme omniprésent.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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