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Boris Johnson, fossoyeur du Brexit malgré lui ?
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Jeux de rôles

Alors que le successeur de Theresa May est pour l'heure inconnu, Boris Johnson est présenté comme l'un des favoris à ce poste. L’Union européenne a-t-elle anticipé qu’elle allait devoir faire face à un nouveau Premier ministre anglais sous pression politique maximale ?

Michael Bret

Michael Bret

Michaël Bret est économiste, président de Partitus. Il a travaillé ces dernières années pour le Collège de France, l'Institute for Fiscal Studies de Londres, BNP Paribas à Hongkong, l'OCDE et AXA Investment Managers. Il enseigne à Sciences Po et à l’Inalco.

Son compte Twitter : https://twitter.com/m_bret

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Atlantico.fr : En quoi cette crise politique britannique rend-elle la situation plus complexe qu'auparavant ?

Michaël Bret : Sur les ruines de l’échiquier politique britannique, du moins en ce qui concerne les deux partis traditionnels, travailliste et conservateur, Boris Johnson commence à faire figure de favori dans la course à Downing Street. Supposons qu’il parvienne à ses fins, malgré ou grâce a l’appui affiché de Donald Trump la semaine passée. Qu’en est-il alors du processus de négociation pour le Brexit ? Si l'on écoute trop les déclarations des politiques outre-Manche, on aurait tendance à croire que la grande question est « Quel type de Brexit le futur premier ministre recherchera-t-il ? et Saura-t-il le négocier avec Bruxelles ? Saura-t-il même négocier directement avec Paris et/ou Berlin ? ». Le type de Brexit qui pourrait être finalement obtenu est d’ailleurs la question la plus importante pour l’avenir économique et social de la Grande-Bretagne. Car l’accord négocié, s’il est ensuite adopté par le Parlement britannique, déterminerait dans une large mesure la relation future entre le pays et l’Union.

De ce point de vue, il y a sans doute encore plus d’imprévisibilité sur les positions de Boris Johnson qu’il n’y en avait sur celles de Theresa May. Et la question n’est rendue que plus complexe encore par la position encore plus fragile de son parti après ses mauvais résultats aux élections européennes, surtout si l’on compare les résultats des Tories à ceux du parti de Nigel Farage le Brexit Party.

Le successeur de Theresa May peut-il réussir là où elle a échoué ?

Si l’on tente de se détacher du roman feuilleton que furent les trois dernières années à Westminster, pour n'en retenir que l’essentiel à savoir qu’aucun accord n’a jamais pu être adopté, et si l’on s’intéresse plutôt à ce qui devrait se réaliser pour qu’un hypothétique nouvel accord puisse être adopté, la question est toute différente. Trop pressés de comprendre les enjeux immédiats et les blocages à répétition du drame parlementaire, trop hypnotisés par la fin de chaque scène qui posait avec éclat la question « l’accord négocié par May sera-t-il à nouveau bloqué ? », et par la fin de chaque acte qui annonçait « Thérésa May va-t-elle démissionner ? », on oubliait trop souvent de chercher ce qui devrait encore se passer si par chance l’accord était adopté. Des semaines auraient encore été nécessaires, d'un travail parlementaire intensif sur une myriade de textes réglementaires indispensables à la mise en œuvre et à l’adoption de l’accord négocié. Il aurait fallu à chaque étape rassembler encore et toujours, des mois durant, une majorité sur le long terme assez solide pour résoudre les difficultés techniques qui ne manqueraient pas de se révéler au cours du travail des commissions. Un socle aussi stable peut-il est rassemblé ? La réponse à cette épineuse question est paradoxalement plus facile  Boris Johnson qu’avec Theresa May car, tout à sa priorité de préserver l’unité du parti conservateur, celle-ci était néanmoins souvent proche de réunir une majorité fragile. Ses efforts pour réunir une majorité au-delà de son parti n’ont été que bien tardifs, et les simples voix de sa coalition n’ont jamais pu être unifiées. Boris Johnson quant à lui, plus ouvertement partisan du Brexit dur, a encore moins de chances de réunir suffisamment de Travaillistes, et creuse les divisions au sein de son propre parti. Et, question cruciale dans le système légal britannique, la création d’un socle d’adhésion suffisamment solide pour rendre possible l’ensemble du travail parlementaire semble encore moins à sa portée.

Si l’on peut débattre sans fin du type de Brexit que Boris Johnson, une fois premier ministre, pourrait vouloir poursuivre, cette incertitude ne s’applique pas à ses capacités de rassembleur: celles-ci sont pratiquement nulles. Boris Johnson construit avant tout son capital politique sur le clivage, que ce soit à l’intérieur de son propre parti qu’il n’a cessé de diviser sur sa propre personne en tant que ministre, maire de Londres, candidat ou chroniqueur, ou que ce soit au-delà de son camp en raison de ses atermoiements entre Brexit dur ou non, entre soutien à l’accord de Theresa May et dénonciation violente de celui-ci comme une capitulation à l’Allemagne supposée toute puissante, et entre coups d’éclats diplomatiques ou accusations de désintérêt affiché pour les questions géostratégiques. Ses qualités politiques, reconnues par tous, sont celles d’un habile cavalier seul. Si jamais il réussi à négocier un nouvel accord, il ne semble avoir aucune capacité de rassembler la nation ou la classe politique derrière lui pour effectivement l’entériner.

La France et l'Allemagne peuvent-elles se permettre de conserver leur posture de fermeté dans les négociations avec la Grande-Bretagne ? Les élections européennes ont-elles fragilisé leur position ?

Bruxelles, Paris et Berlin, en observateurs des dynamiques et des complexités du travail parlementaire britannique, réclamaient depuis des années à Thérésa May de clarifier quelle relation avec l’Union une majorité de parlementaires de Grande-Bretagne pouvaient soutenir. Il semble peu probable qu’un nouvel interlocuteur leur fasse oublier cette question cruciale. En quel cas auraient-ils vraiment besoin de faire montre de fermeté ? Seulement si un départ britannique négocié se matérialisait. Mais l’incapacité de Boris Johnson à faire un travail de rassembleur privilégie plutôt soit une sortie non négociée (hard Brexit, peut-être même par accident) soit un abandon, temporaire ou définitif du Brexit (suspension de l’article 50, que le parlement ou un référendum imposerait au premier ministre). S’il est une bonne nouvelle pour les partisans du maintien du Royaume-Uni au sein de l’union, c’est bien que Boris Johnson n’arrive à générer de majorité que contre lui. Alors que le Parlement avait mis plusieurs mois à accoucher de textes finalement peu contraignants pour exiger de Thérésa mais qu’elle évite une sortie non négociée, Il est fort à parier que la patience des parlementaires serait bien moins grande vis-à-vis d’un Boris Johnson. La classe politique dans son ensemble a bien conscience que le délai octroyé par Bruxelles jusqu’à octobre est un temps précieux à ne pas dilapider. Mais pour l’instant, seul Nigel Farage semble capable de faire fructifier cette prolongation. Le parti conservateur gaspille ce temps aux yeux de tous en longues luttes intestines est en guerres de palais, au grand dam des parlementaires non engagés dans la course.

Par sa personnalité clivante et son habileté politique employés surtout à diviser pour mieux régner, Boris Johnson pourrait paradoxalement se révéler être le meilleur fossoyeur du Brexit.

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