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Interdiction de l’élimination des invendus : une idée non seulement inefficace mais économiquement ravageuse
©PASCAL PAVANI / AFP

Rebuts de la société

La destruction des invendus non alimentaires (vêtements, électroménager, produits d'hygiène ou de beauté etc.) va être interdite d’ici deux à quatre ans en France, a annoncé, mardi 4 juin, Edouard Philippe.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : La destruction des invendus non alimentaires (vêtements, électroménager, produits d'hygiène ou de beauté etc.) va être interdite d’ici deux à quatre ans en France, a annoncé, mardi 4 juin, Edouard Philippe. La mesure figurera dans le projet de loi anti-gaspillage et pour une économie circulaire présenté en juillet au Conseil des ministres. Si la volonté d’éviter le gaspillage est louable, une telle mesure ne risque-t-elle pas de faire peser d’importants risques sur les entreprises et nos économies ?

Michel Ruimy : Tout d’abord, un chiffre. Aujourd’hui, ce sont, chaque année, plus de 600 millions d’euros de produits non alimentaires neufs et invendus qui sont jetés ou détruits.

Le dispositif initié par le gouvernement vise à imposer aux entreprises de donner ces marchandises ou de les recycler, à partir de fin 2021 ou de fin 2023 suivant les cas, en complément aux mesures déjà adoptées, ces dernières années, contre le gaspillage alimentaire.

Concrètement, il ne s’agit pas de leur interdire de revendre par ailleurs mais plutôt de les inciter à ne pas détruire, à ne pas gaspiller. Une nouvelle histoire de « patate chaude » est peut-être en train de se créer (Lorsque nous avons dans nos mains une pomme de terre qui sort du four, elle est si chaude que nous ne pouvons la garder, nous devons la passer à une tierce personne).

Pour les entreprises, notamment pour celles qui disposent d’une chaîne d’approvisionnement, la question cruciale va être la gestion des stocks et le respect du modèle « juste à temps » (just in time) qui vise à minimiser les stocks et les en-cours de fabrication. Si l’entreprise a une base internationale, ceci demande, en plus, de devoir harmoniser le travail des sous-traitants, situés dans différents pays. Cette législation va, au final, les inviter à repenser leur schéma de fabrication, ce qui demande des investissements et du temps et surtout risque de leur faire changer de modèle économique ! Car le vrai sujet est le « coût complet » de la production des marchandises. Aujourd’hui, la dimension « écologique » des modèles économiques est payée par les générations futures.

En outre, certains risques pervers sont latents. Tout d’abord, le travail à flux tendus nécessite des livraisons en petites quantités et donc des transports plus fréquents. Les autoroutes européennes risquent de devenir des entrepôts géants, polluants avec des chauffeurs en tension perpétuelle. Ensuite, les stocks de marchandises risquent d’être décentralisés vers des pays non réglementés. Ainsi, certaines entreprises peuvent avoir, ici, les « mains propres » et salir, ailleurs. Et ceci, sans scrupules… Enfin, devant la possibilité d’un échec commercial, les firmes seront moins incitées à innover, ce qui peut conduire, in fine, à une intensification de la concurrence.

En définitive, il n’y a que le consommateur qui doit se demander, aujourd’hui, ce qui relève du besoin et de l’envie pour éviter d’entretenir le système actuel de tentation qui engrange en toute logique quantité d’invendus...

Si cette législation peut être à l’origine de nouvelles technologies et industries spécialisées dans le recyclage, on peut s’interroger sur le « bilan carbone » de ce recyclage et sur le coût supporté par les entreprises et donc par le consommateur.

La question de l’obsolescence programmée qui anime ce débat n’est-elle pas inhérente au fonctionnement de notre économie ?

L’obsolescence programmée est un concept de production industrielle consistant à créer un produit dont la durée de vie est volontairement limitée. Mais, il convient de ne pas la confondre avec le vieillissement programmé. Dans le premier cas, le produit est encore parfaitement fonctionnel mais a perdu sa compétitivité par rapport à des produits plus récents. Dans le second, il n’est plus fonctionnel.

Les adeptes de ces stratégies prétendent que ces techniques dynamisent le marché et créent des conditions favorables aux entreprises innovantes. Connaître (et provoquer) la fin de vie d’un produit permet d’anticiper et de prévoir l’évolution des ventes sur le long terme, ce qui réduit les risques économiques et facilite la planification des investissements industriels. L’avantage ne concerne que le producteur. Le consommateur n’y a aucun intérêt puisqu’il doit racheter, plus souvent, un produit assurant les mêmes fonctions.

Dès lors, on peut se demander si ces stratégies ne sont pas la conséquence logique de l’industrie de masse, inhérente au fonctionnement de notre économie. Les quantités de produits mis sur le marché sont telles qu’il n’y a pas assez de consommateurs pour tout acheter. L’obsolescence ou le vieillissement programmé permettent « facilement » aux industries de renouveler leurs marchés avec le même volume de consommateurs et de « redynamiser » un marché saturé. C’est une solution au problème de la surproduction et une manière illusoire de favoriser un renouvellement illimité des biens. Dans une société basée sur le principe de « la croissance pour la croissance », l’obsolescence programmée a sa place. On peut par contre se demander si cette vision est valide sur le long terme.

Enfin, la surproduction de produits de remplacement pose des problèmes quant à l’exploitation massive des ressources de la planète. Est-il raisonnable, sur le long terme, de limiter volontairement la durée de vie d’un produit alors que nous avons les capacités techniques de le faire durer beaucoup plus longtemps ?

Dans une perspective iconoclaste, ne peut-on pas considérer l’éducation, universitaire ou non, comme une fabrique de travailleurs. Elle crée des personnes aux connaissances relativement similaires à un rythme soutenu. Pour la très grande majorité, elle crée des êtres dans le seul but d’assurer les tâches nécessaires au bon fonctionnement des sociétés qui les ont formés. Et cela, pour une durée assez bien déterminée selon les pays. Chez nous, c’est environ 85 ans pour la femme et 80 ans pour l’homme. L’être humain dans nos « sociétés développées » serait-il amené à devenir lui aussi un produit à obsolescence programmée ?

Ne peut-on pas même entrevoir aussi des effets pervers d’un point de vue écologique ?

En effet, outre le fait qu’elle engendre des dépenses supplémentaires pour les consommateurs, l’obsolescence programmée produit un flux ininterrompu de déchets dus à la mise au rebut de produits obsolètes ou non fonctionnels, mais aussi issus de la production massive de produits de remplacement. La quantité de déchets générés pose d’énormes problèmes quant à leur traitement ou stockage, généralement dans des pays du Tiers monde.

Dans les pays occidentaux, la population peste contre des produits bas de gamme qu’il faut remplacer sans arrêt tandis qu’au Ghana, elle s’exaspère de ces déchets informatiques qui arrivent par conteneurs !

Néanmoins, au plan strictement économique, le modèle de l’obsolescence programmée n’est pas dénué de pertinence. Il n’est pas exclu, même, que les consommateurs en bénéficient, au moins indirectement, par les innovations qu’il permet de rendre profitables.

Mais l’idée d’une industrie « tournant toujours plus vite » est, aujourd’hui, mal perçue. Si l’obsolescence programmée se présente, sous la forme écologiquement séduisante, de l’économie circulaire, l’optimisme a fait place au doute, au moins dans les pays avancés. L’idée de la finitude des ressources fait à nouveau son chemin.

N’est-il pas paradoxal qu’alors que les capitaux manquent pour financer la transition écologique, les entreprises investissent des sommes et une énergie considérables pour fabriquer des produits délibérément défectueux ! C’est là, un démolissage prédateur, à mille lieues de la « destruction créatrice » vantée par Schumpeter !

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