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Ce créneau politique ouvert par l’OPA d'Emmanuel Macron sur une partie de l’électorat LR (et non, on ne parle pas de l’union des droites)
©BORIS HORVAT / AFP

Réflexions à droite

En fédérant à lui un électorat plutôt âgé et plutôt privilégié, le Président de la République risque de perdre son image de renouvellement et de jeunesse, une dimension qui a fait son succès.

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Gaspard Jaboulay

Gaspard Jaboulay

Gaspard Jaboulay est chef de groupe au Département Opinion et Stratégies d’Entreprise de l’Ifop depuis 2017 où il mène des études qualitatives auprès d’électeurs. Il est diplômé de Sciences Po Paris.

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Atlantico : L'OPA menée par Emmanuel Macron sur une partie de l'électorat LR lors de l'élection européenne n'implique-t-elle pas l'infléchissement de la capacité du pouvoir à se revendiquer d'une composante clé de ce qui a fait le succès du macronisme : une capacité à incarner un certain renouveau, une certaine jeunesse "disruptive", ou encore une forme d'optimisme politique ?

Maxime Tandonnet : Oui, la situation est franchement trouble et instable. Contrairement au message martelé par la presse et les médis, dans le sillage des leaders d’En Marche, les dernières élections européennes  n’ont pas profité à la liste LREM. 22%, avec un taux d’abstention de 50% et les votes blancs, cela signifie que 10% seulement de l’électorat lui a manifesté son soutien. Pour un courant supposé incarner à lui seul la majorité présidentielle, c’est extrêmement faible. En outre, l’électorat qui a voté LREM en 2019 n’est plus tout à fait le même que celui qui a porté M. Macron à l’Elysée. En 2017, il a bénéficié d’un vote branché, de catégories plutôt jeunes, instruites, internationalisées, dans l’air du temps. Aujourd’hui, le vote LREM s’est en partie réorienté vers les retraités et la bourgeoisie aisée, urbaine, catholique pratiquante, conservatrice. Il faut y voir un vote de privilégiés qui ont vu dans la présidence Macron un rempart contre les Gilets Jaunes, occultant étrangement le fait que cette même présidence Macron en directement à l’origine des troubles. C’est donc un vote de peur qui a prévalu, comparable, à toute petite échelle, à celui de juin 1968. Il positionne étrangement le macronisme dans une logique conservatrice largement en décalage avec son discours initial progressiste, optimiste, voire messianique.

Gaspard Jaboulay : Il semble normal qu’après 2 ans d’exercice le macronisme soit en voie de « normalisation ». Ce phénomène résulte d’abord de l’effet mécanique de la victoire du candidat d’En Marche en 2017 : la pratique du pouvoir et le poids des institutions tendent à transformer LREM en parti de gouvernement et Emmanuel Macron en figure présidentielle. D’une certaine manière, le macronisme se confond désormais davantage avec le « système » que certains dénoncent, mais il apparaît aussi pour d’autres comme une force politique désormais crédible pour mettre son projet en application. Cette perception a beaucoup aidé à recueillir le vote d’une partie des électeurs de droite qui s’était montré relativement méfiante face à cette nouvelle offre politique en 2017. Ce phénomène a été considérablement renforcé par la crise des gilets jaunes qui a de facto assimilé la majorité présidentielle au « parti de l’ordre », en particulier chez les personnes âgées, ainsi que par les élections européennes où le macronisme apparaissait comme la principale force d’opposition face au RN et répondait par-là l’hostilité des publics âgés pour les discours eurosceptiques.

Toutefois, il semble difficile de mettre en lien le vote important de l’électorat LR avec une dénaturation du macronisme. Le fait que le macronisme constitue aujourd’hui une force politique crédible pour une frange de l’électorat LR ne signifie pas que les promesses de renouvellement, de jeunesse et d’optimisme soient moins présentes dans son ADN. Au contraire, le ralliement d’une partie de l’électorat LR au parti majoritaire s’explique justement par l’espoir que les promesses de réformes économiques seront tenues, notamment en raison de l’amélioration des indicateurs macro-économiques souvent interprétés comme des indices de « rupture » avec les précédents quinquennats marqués par la crise des résultats. L’espoir qu’Emmanuel Macron puisse réussir là où les autres ont échoué, sur le plan du chômage et de la relance économique, des thèmes qui avaient séduits les électeurs de François Fillon lors de la primaire de la droite et du centre en 2016, reste un moteur d’adhésion puissant chez cette frange de l’électorat.

En définitive, malgré la défaite face au RN et les vives contestations qui touchent Emmanuel Macron, le score de Renaissance Européenne valide l’idée d’une transition réussie entre le macronisme de campagne et le macronisme de gouvernement.

Dès lors, un nouveau créneau porté par "l'espoir" et le "renouveau" ne s'ouvre-t-il pas politiquement ? Faut-il voir dans le succès des Verts aux élections européennes  une récupération de cette dimension politique ?

Maxime Tandonnet : Cela me paraît évident. La poussée électorale des Verts traduit plusieurs facteurs. Tout d’abord, ces derniers récupèrent sans doute une partie de l’électorat Macron qui ne se reconnaît pas dans cette mutation vers l’électorat conservateur. En outre ils bénéficient de la désintégration de la gauche PS comme Insoumise qui a perdu sa crédibilité en renonçant à la question sociale. Et puis, le thème de l’écologie et du climat est tellement à la mode dans tous les partis et tous les discours, qu’il se retrouve, à l’échelle européenne comme française, dans le vote en faveur des Verts. Oui, il me semble que l’air du temps qui a soufflé dans le sens de Macron en 2017, a changé de sens et pousse en avant les Verts qui bénéficient désormais du vote supposé  jeune, moderne, post national, et dans le vent. En ce sens, il est indéniable que les Verts ont bel et bien récupéré une partie de la dynamique Macron de 2017.

Gaspard Jaboulay : C’est en réalité depuis la vague dégagiste de 2017 que l’idée de renouveau s’est imposée comme une nécessité. Même si le macronisme est en voie de normalisation, le renouveau apparaît moins comme une opportunité que comme une condition de survie pour les formations politiques. Mais cet impératif de « renouvellement des têtes » ne semble pas suffisant : les faible scores des listes de François-Xavier Bellamy et de Raphaël Glucksmann, qui présentaient tous deux plusieurs attributs proches de l’idée de renouvellement promue lors la campagne de 2017 à travers la figure d’Emmanuel Macron (la jeunesse, la “pensée complexe”, la distance avec les “codes” de la politique traditionnelle, etc.), ont bien montré que les caractéristiques formelles du renouveau ne suffisent pas à susciter l’adhésion des électeurs.

La percée historique des partis écologistes pour ces élections a été observée dans plusieurs pays Européens, en Irlande, en Allemagne, en Autriche et en Finlande notamment. Cela indique que la problématique environnementale continue de prendre de l’importance chez les électeurs européens mais il semble un peu précipité de dire que ces partis incarnent aujourd’hui l’espoir et le renouveau face au reste de l’offre politique. A l’instar des précédentes élections européennes les bons résultats d’EELV s’expliquent ainsi surtout par les spécificités de ce scrutin qui facilitent le vote en faveur d’une cause mondiale et non pas d’un programme national. On note d’ailleurs qu’en France ce score ne reposait pas tellement sur la personnalité de Yannick Jadot, ni sur un élan d’optimisme tant la question écologique, facilement associée à “l’urgence climatique”, suscite des inquiétudes chez les électeurs. D’une certaine façon c’est autant un vote de peur que d’espoir.

A terme, les Verts ont-ils les moyens d'incarner cette dimension de renouveau et d’espoir ?

Maxime Tandonnet : Ce vote en faveur des Verts peut-il se consolider et de venir une constante de la vie politique française ? Rien n’est moins certain. D’abord, la poussée verte doit être relativisée. 13,5%, soit 6,5% du corps électoral avec l’abstention, ce n’est pas une percée spectaculaire. Les Européennes profitent toujours à ce courant qui obtenait 16,5% en 2009 et 9% en 2014 malgré de graves divisions. Aux Européennes, les électeurs se font plaisir et laissent parler leurs bons sentiments. Lors des élections nationales, l’électeur privilégie le vote utile. Pour peser vraiment et s’inscrire dans la durée, il leur faudrait faire des alliances. Or, les Verts n’ont aucun intérêt à s’allier avec la gauche en miettes qui les entraînerait dans sa chute. Un rapprochement LREM/Vert est-il envisageable ? Cela reviendrait à éloigner de Macron ses nouveaux soutiens conservateurs. Est-il prêt à prendre ce risque ? C’est très improbable. En tout cas, la situation politique de LREM est profondément instable. Combien de temps l’électorat vieillissant, pratiquant, aisé, apporté essentiellement par la crise des Gilets Jaunes, restera-t-il chez Macron ? Rien n’est plus imprévisible.

Gaspard Jaboulay : Le score d’EELV montre bien que ce parti présente un certain potentiel pour prendre une dimension plus centrale dans le paysage politique national. D’abord, parce qu’ils se sont retirés du quinquennat de François Hollande, les Verts ne sont pas jugés comptables de son bilan et bénéficient toujours d’une forme de virginité politique aux yeux des Français. En outre, dans un contexte où les positionnements politiques paraissent brouillés, où l’axe droite-gauche semble de moins en moins structurer la vie politique, et face à la perte de vitesse des grandes idéologies du XXe siècle, la défense d’une « transition écologique » paraît suffisamment abstraite et consensuelle pour éveiller de l’intérêt chez les électeurs.

Cependant, EELV doit parvenir à sortir d’une ligne monothématique qui semble difficile à tenir en dehors d’une élection européenne, mais aussi à proposer une vision optimiste de l’avenir. Pour beaucoup de Français, et la crise des gilets jaune l’a bien illustré, les politiques écologiques peuvent être associées à la dégradation des conditions de vie. Il sera donc question pour EELV de trouver des réponses efficaces sur la question du pouvoir d’achat et de l’emploi, cette indispensable “clarification” de son programme ne lui permettra pas de se constituer aussi facilement comme un parti “attrape-tout”.  Par ailleurs, EELV doit aussi donner le sentiment qu’une “écologie de gouvernement” est possible, ce parti doit pour cela présenter des gages de crédibilité concernant le réalisme de son projet et sa capacité à rassembler avec des alliances.

La droite aurait-elle la possibilité d'incarner ce créneau de l'espoir et du renouveau comme avait pu le faire Nicolas Sarkozy en 2007 ? Si oui, comment peut-elle l'envisager ?

Maxime Tandonnet : C’est la grande question en effet. De prime abord, la droite, le courant des Républicains est gravement blessé et en pleine désintégration. La démission de Wauquiez est largement présentée dans le monde médiatique comme l’acte de décès du mouvement. LREM et le RN tentent de s’arracher ses dépouilles. Les transfuges de LR vers LREM ou vers RN/FN, jubilent en ce moment. Pour combien de temps ? La vie politique française se caractérise par son extrême volatilité et imprévisibilité. La base électorale du pouvoir LREM est étroite, fragile et incertaine. Elle n’existe que par l’image d’un homme, déjà gravement ternie. Dans les trois ans à venir, compte tenu de sa surexposition médiatique et de la rapidité de l’usure du pouvoir, ce dernier risque de faire naufrage dans une impopularité toujours plus grande. Dès lors que les Français, dans leur immense majorité, ne seront pas prêts à l’aventure lepéniste, que restera-t-il  comme recours ? La Droite, ou les Républicains. L’enjeu, pour eux, c’est alors de donner une nouvelle image de la politique et d’offrir une autre perspective que le choix binaire entre le supposé « bien progressiste » et le « mal nationaliste ». La porte est étroite. Il leur faut montrer que la politique peut être autre chose que la guerre des chefs, le narcissisme outrancier, l’obsession élyséenne, la propagande et la manipulation des foules.  Et donc ils doivent s’atteler au seul débat d’idées et à l’élaboration d’un discours de vérité et d’un projet collectif. Et convaincre les Français que leur but est de servir la France et non de s’en servir. Le défi est de taille…

Gaspard Jaboulay : A droite, les attentes de renouveau sont toujours très fortes chez les électeurs mais elles se heurtent à la question de l’incarnation et du positionnement.

La question prioritaire reste celle du leadership qui se pose avec répétition depuis la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012. Ce dernier était parvenu, en 2007, à s’imposer comme une figure de renouveau au sein même de sa famille politique (en qualifiant par exemple son prédécesseur de « roi fainéant ») et à répondre aux inquiétudes des Français en matière de pouvoir d’achat.

Dans un second temps, la question de l’optimisme, c’est-à-dire la capacité à proposer un projet fédérateur et positif concernant l’avenir du pays est problématique aujourd’hui à droite. Le thème de la modernisation économique du pays que portaient Nicolas Sarkozy et François Fillon paraît aujourd’hui largement préempté par LREM, ce qui force la droite à se replier sur d’autres sujets plus clivants comme l’Islam, l’immigration, la bioéthique et la revitalisation des territoires. Il semble a priori difficile de susciter un engouement autour de ces sujets “de crise” et potentiellement anxiogène pour certains.

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