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Le poids d’un passeport : à quel point la nationalité d’un président de la commission change-t-elle le destin de l’Europe… et celui de son pays ?
©FREDERICK FLORIN / AFP

Européen ou patriote

Le Président de la Commission européenne garde une orientation idéologique générale, qui correspond le plus souvent aux intérêts qu’il représentait déjà en tant que politicien dans son pays. Mais cela ne signifie pas qu'il peut agir ostensiblement en faveur de sa patrie.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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 Atlantico :  Il a parfois été reproché au président Juncker de favoriser son pays d'origine, le Luxembourg. Jusqu'à quel point la nationalité d'un président de  la Commission a-t-elle une influence sur la politique menée par la Commission européenne ?

Christophe Bouillaud : En fait, au niveau du Président de la Commission proprement dit, très peu. Tous ses actes et déclarations sont tellement scrutés par la presse et les opposants à la Commission en place qu’il est en fait impossible à un Président de la Commission d’agir ostensiblement en faveur de son pays d’origine. Par contre, un Président de la Commission garde une orientation idéologique générale, qui correspond le plus souvent aux intérêts qu’il représentait déjà en tant que politicien dans son pays. Jean-Claude Juncker est bien sûr un ancien dirigeant luxembourgeois conservateur. Or on ne peut pas dire que sa mandature à la tête de la Commission aura été marquée par une révolution dans les affaires fiscales de l’Union européenne. Il se trouve que ce statu quo, ou, pour être charitable, ces évolutions millimétriques, arrangent bien le Luxembourg façon Juncker. Vous remarquerez d’ailleurs que le seul grand scandale qui ait marqué la Commission Juncker n’est autre que la nomination un peu trop rapide de l’allemand Martin Selmayr à la tête de l’administration de la Commission. Bref, au niveau de la Présidence de la Commission, ce n’est pas tant les intérêts nationaux qui jouent que les intérêts transnationaux, idéologiques, voire de coterie, qu’incarne tel ou tel Président par son histoire et les conditions de sa nomination.

De toute façon, sur les deux dernières décennies, les membres du Conseil européen ont toujours pris soin de choisir un Président de la Commission qui n’incarne pas trop un intérêt national et qui soit une personnalité politiquement faible au moment de sa nomination. De fait, les prétendants candidats venant d’un grand pays – un Allemand ou un Français en particulier – sont désavantagés, parce que de tels personnages peuvent avoir trop de capital politique, acquis dans une carrière nationale précédente dans un grand pays, à faire valoir à Bruxelles. La seule exception est Romano Prodi, quoiqu’il ait été un personnage important en Italie, il avait été nommé un peu à l’arrache pour faire oublier l’échec de la Commission Santer, mais on a plutôt reproché à ce dernier de s’intéresser trop à la politique italienne et pas assez à l’Union européenne que de favoriser les intérêts italiens.

Vous dites que cette appartenance à une nationalité peut être justement un obstacle à l'accession à la présidence et vous prenez entre autre l'exemple de l'Allemagne, souvent taxée de profiter de l'Europe pour faire valoir ses intérêts. Est-ce à dire que le président potentiel doit procéder à une forme de "dénationalisation" pour pouvoir incarner sa fonction ? Et qu'un candidat allemand a de faibles chances d'être choisi ?

Bien sûr, le Président de la Commission doit se « dénationaliser », et, sur un plan très pratique, il lui faut bien parler dans l’idéal l’anglais, l’allemand, et le français. Un des problèmes de Romano Prodi fut d’ailleurs son mauvais niveau en anglais. Le Président de la Commission, comme d’ailleurs les autres personnalités de la hiérarchie de l’Union européenne, doivent absolument faire comme s’ils n’avaient plus de nationalité, et en pratique, être des locuteurs avisés en anglais du jargon européen.

Un candidat allemand n’aurait donc sans doute pas plus de difficulté qu’un autre à devenir un parfait européen, par contre, vu le poids de l’Allemagne actuelle dans les affaires européennes, cela apparaîtrait facilement comme une prise de possession trop évidente de l’Union européenne par son membre le plus important, un peu comme la Prusse dans l’Empire allemand d’avant 1914. C’est cette crainte d’une hégémonie allemande qui peut limiter toute proposition d’un Président allemand de la Commission.

Si le président de la Commission doit incarner l'intérêt européen, les commissaires, en revanche, jouent-ils un rôle dans la promotion d'intérêts nationaux ? Leur influence se manifeste-t-elle dans l'inflexion de la politique de la Commission ? Dans quelle mesure et dans quel sens ?

Théoriquement, tous les Commissaires européens sont tenus légalement d’incarner le seul intérêt européen. D’ailleurs, leur cabinet doit être plurinational. Par contre, chacun sait que l’une des missions informelles de chaque Commissaire est d’informer aussi l’Etat qui l’a nommé de ce qui est en train de se tramer au niveau de la Commission. C’est bien pour cela que les Etats ont finalement refusé de se passer de la norme qui attribue un Commissaire pour chaque Etat (soit 27 Commissaires en cas de Brexit effectif). Cette fonction d’alerte avancée dépend par ailleurs des liens qui existent avec la majorité gouvernementale en place dans le pays de nomination. Comme le mandat de Commissaire dure cinq ans en principe, un Commissaire peut se retrouver dans l’opposition dans son propre pays, et il peut être plus réticent à aider ses nouveaux dirigeants. Inversement, le Commissaire de chaque pays peut être celui que les intérêts organisés de ce pays essayeront de contacter en premier pour plaider leur cause.

Toutefois, en dehors de cette fonction d’alerte et d’information au profit d’intérêts nationaux, il est très mal vu pour un Commissaire d’apparaître comme le tuteur d’intérêts nationaux dans son pays. C’est l’erreur à éviter si l’on veut avoir une bonne réputation comme Commissaire européen. En réalité, les Commissaires européens jouent surtout leur propre partition sans être nécessairement inféodé à leur pays d’origine.

Dans le cas présent, si Emmanuel Macron réussit à empêcher la candidature de Manfred Weber d'aboutir, pourra-t-il s'opposer à la nomination de Weidmann à la BCE, ce qui pourrait pourtant faire plus de mal à la France ? Et s'il venait à réussir à empêcher les deux candidatures, ne risquerait-il pas de nuire très fortement à la relation franco-allemande elle-même déjà fortement dégradée ?

Visiblement, le communiqué du récent Conseil européen prétend que les nominations à la Commission et à la Présidence du Conseil sont distinctes de celles à la Banque centrale européenne. Cela correspond à une logique institutionnelle : l’Union européenne en général et la gestion de la zone Euro en particulier, cela laisse donc la possibilité d’une victoire française sur les deux tableaux, mais il est bien évident que les dossiers sont liés et que dans les deux cas les intérêts français et allemands ne sont pas complètement alignés.

Pour ce qui est de la relation franco-allemande, il y aura sans doute un bras de fer, mais, de toute façon, comme aucun des deux pays ne peut se permettre de rompre vraiment le partenariat franco-allemand à court terme, vu que l’existence de l’Euro lie les deux Etats,  il y aura simplement un peu plus d’acrimonies en coulisses. Après, on peut très avoir une non-défaite croisée de la France et de l’Allemagne. La France refuse Weber à la Commission et Weidmann à la BCE, et l’Allemagne coule poliment Barnier à la Commission. Chacun des deux pays accepte de perdre « son » candidat au profit de tiers candidats, acceptables par défaut par les deux. L’avantage d’une telle solution est que cela apporterait à la Présidence de la Commission ou à la Présidence de la BCE une image d’arbitre entre les Etats.

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