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Derrière le parti animaliste, le succès d'une idéologie issue d'une longue tradition anti-humaniste
©Mark RALSTON / AFP

L'armée des douze chiens

Le parti animaliste a obtenu 2,2% des voix aux élections européennes. Un score surprise qui les place devant les partis de Florian Phillipot, François Asselineau ou les listes Gilets jaunes.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Que dit ce résultat du rapport de l’homme à lui-même ? L’animalisme est-il une haine de l’homme ?

Bertrand Vergely : À la suite des élections qui viennent d’avoir lieu, on parle beaucoup de recomposition du paysage politique du fait de  la disparition de la vieille opposition droite-gauche au profit de l’opposition centre- extrêmes. Cette recomposition va de pair avec une recomposition idéologique. L’écologie monopolisant l’essentiel du débat intellectuel, là où il y avait hier un clivage entre la droite et la gauche, il y a désormais un clivage entre écologistes modérés et écologistes radicaux, c’est-à-dire écologistes pensant que l’écologie et la croissance économique sont compatibles entre eux et écologistes pensant le contraire.   C’est dans cette perspective qu’il importe de situer le parti animaliste, dont le score fait jeu égal avec celui du Parti Communiste, ce qui est un signe des temps.

L’animalisme, tel qu’il se présente de l’extérieur, entend défendre les animaux face aux violences que les hommes peuvent leur faire subir. Ce qui est un programme tout à fait louable, dont on ne peut que se réjouir et auquel on ne peut que souscrire. Quand on commence toutefois à approfondir celui-ci, il en va autrement, l’animalisme se caractérisant par une guerre des animalistes contre l’homme au nom de la défense de la cause animale.

Cette attitude, pour le moins paradoxale de la part de ceux qui entendent être des pacifistes, repose sur un raisonnement intellectuel assez simpliste. L’homme se croyant supérieur à l’animal, il pense avoir le droit de maltraiter celui-ci au nom de cette prétendue supériorité. Supprimons cette supériorité de l’homme en faisant de celui-ci un animal parmi d’autres. On va supprimer ce qui est la cause de la souffrance que l’homme fait subir à l’animal.

À la base donc de l’animalisme, il n’y a pas tant une haine de l’homme qu’un désir de réforme morale et, derrière elle, d’éradication de l’orgueil humain. Ce désir vient de loin.

L’idée que l’homme se donne trop d’importance est une idée ancienne. Dans la Grèce antique, si un sophiste comme Protagoras enseigne que «l’homme est la mesure de toute chose », un cynique comme Diogène se promène en plein jour dans les rues d’Athènes une lanterne allumée à la main en criant « Je cherche un homme ». Pour Diogène il n’en existe pas, tant les hommes sont pétris de suffisance.

Au XVIIème siècle, Spinoza procède au même constat. L’homme se donne beaucoup trop d’importance. Il pense être « un empire dans un empire ». Non seulement il a le culot de se croire le centre du monde, mais en plus il a cet autre culot consistant à attribuer à Dieu une forme humaine. Pour lui, l’anthropocentrisme et l’anthropomorphisme, sont les deux mamelles qui alimentent l’obscurantisme.

De nos jours, les sciences humaines, la pensée de la déconstruction et la sagesse matérialiste influencée par la pensée indienne  font eux aussi le même constat. L’homme se donne beaucoup trop d’importance. Il se croit « maître chez lui », comme le dit Freud.

Autrement dit, ne pensons pas que l’animalisme vient d’une haine obscure et irrationnelle de l’homme. L’anaimalisme vient bien plutôt d’un courant de pensée extrêmement moralisateur rêvant de faire de l’homme un être libéré de tout orgueil. Projet pour le moins paradoxal. Allons au bout de ce projet d’éradication de l’orgueil humain. Que trouve-t-on ? Le comble du pouvoir de l’homme sur l’homme.

Dans Les mots et les choses Michel Foucault le montre bien. Quand la raison humaine rêve d’expliquer totalement l’homme, la seule façon d’y parvenir est de le faire disparaître en l’expliquant par ce qui n’est pas lui. Avec le projet de triompher de l’orgueil humain, il en va de même. Il n’y a qu’un moyen de détruire l’orgueil de l’homme. Installer un pouvoir total de l’homme sur l’homme à travers le triomphe absolu de l’orgueil humain.

Avec le courant dit de l’écologie profonde, la Deep Ecology, comme le dit Luc Ferry  dans son essai publié en 1992 Le nouvel ordre écologique, c’est ce à quoi on a affaire. Derrière l’idée de supprimer non seulement l’orgueil humain mais le genre humain afin de sauver la planète, la Deep Ecology se présente comme l’homme absolu.  L’homme étant pur de l’homme en l’ayant fait disparaître, le rêve d’un homme pur est réalisé.

Quelles sont les origines philosophiques de ce mouvement ?

Les origines philosophiques de ce phénomène se trouvent dans le moralisme  naturaliste, le matérialiste et le rationaliste.

Ce moralisme se présente sous une forme très populaire et très humaine. Que de gens pensent que les animaux sont préférables aux hommes. Il n’y a quelques années une publicité pour une association style SOS AMITIÉ montrait un labrador et sa maîtresse tous deux à quatre pattes l’un devant l’autre, avec ce sous-titre : « Si vous croyez qu’il n’y a que lui pour vous comprendre au monde ».

La déception face à l’humanité. Le fait d’aller se réfugier chez les animaux pour trouver un peu de vraie compréhension, de vraie chaleur, de vraie tendresse. L’idée que l’es animaux sont plus humains que les hommes, que ce sont eux les vrais humains. On a là l’origine de la philosophie animaliste.

Quand un animal est tendre, il présente tous les avantages de l’homme sans les inconvénients de celui-ci. Humain par sa tendresse, il n’amène pas avec sa tendresse tous les inconvénients que les hommes apportent. On est là dans le rêve. Ce rêve se retrouve dans le naturalisme matérialiste rationaliste.

Quand l’esprit humain rêve d’un naturalisme intégral, d’un matérialisme intégral et d’un rationalisme intégral il est exactement dans la même position que celui qui trouve, dans son chien ou son chat, une humanité pure. Pouvoir avoir tous les avantages de l’homme sans les inconvénients c’est ce que donne le naturalisme. Quand la Nature est entièrement naturelle, libre, spontanée, elle est enfin humaine. De même, quand la matière est totalement matière. Là encore, libre, spontanée, elle est entièrement humaine. Enfin, quand la raison est entièrement rationnelle. Une fois de plus, libre, spontanée, elle est humaine. Derrière la nature, la matière, la raison ou bien encore l’animalité livrées à elles-mêmes, que trouve-t-on ? Le rêve fou d’une humanité enfin pure.

En fait, l’homme ne cesse de se rêver lui-même en poursuivant le fantasme d’une humanité pure délivrée de l’humanité à travers l’animal, la nature, la matière ou bien encore la raison. D’où ce paradoxe consistant à faire de l’animal le rêve de humanité délivrée d’elle-même.

Quelle réponse donner dès lors à ce mouvement qui semble prendre de l'ampleur ?

Pour sortir de cette impasse, il n’y a qu’un moyen : arrêter de rêver et, pour cela, penser un peu plus.

Écoutons les discours qui se tiennent, que constate-ton ? Nous vivons en plein rêve. Le discours à la mode n’a qu’un mot à la bouche : « sauver la planète ». Il joue à sauver le monde. Il se prend pour un sauveur. Aussi sort-il des mots magiques : naturalisme, matérialisme, rationalisme, animalisme. Procédé habile. Le monde le croit. Il pense que cela va le sauver.

La politique est aujourd’hui en crise. Comme le débat idéologique. Rien d’étonnant à cela : le politique comme le débat idéologique sont à la recherche de nouveaux mots magiques afin d’ensorceler le monde.

On sort de cette mystification en arrêtant de se masquer derrière des mots afin de penser vraiment ce que l’on pense. Penser ce que l’on pense, c’est arrêter de parler de social, d’écologie, d’animalisme afin de se poser les bonnes questions. Quand on parle d’écologie, de social, d’animalité, se regarde-t-on ? S’écoute-t-on ? Se rend-ton compte de ce que l’on est en train de dire ? Est-on vraiment présent à ce qui se dit ? Pourquoi ce que l’on dit est-il si plat, si vide, si creux, si ennuyeux, si assommant, si dépourvu de flamme, de feu, d’ardeur, de force et de vie ? Les animalistes se rendent-ils compte qu’ils sont en train de faire advenir une dictature, l’animal n’étant qu’un prétexte pour punir l’humanité ? On parle d’animalité, de cause animale, de défense de la cause animale. Fort bien. Est-il possible d’en parler autrement que sur le monde de la punition et de la dictature ? On parle de social et d’écologie. Fort bien également. Peut-on en parler toutefois là encore autrement que sur le mode du : « Oui, c’est vrai, nos adversaires en parlent également. Mais le vrai social, la vraie écologie c’est nous, pas eux. » ?  

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