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1000 études de gâchées : comment la découverte d’une erreur scientifique sur la dépression rend caduques des années de recherche
©Reuters

Coup de blues

En 1996, un groupe de chercheurs européens a découvert qu'un certain gène, appelé SLC6A4, pouvait influencer le risque de dépression d'une personne. Mais une nouvelle étude menée par des chercheurs de l'Université du Colorado montre qu'il n'y a aucune preuve valable de la causalité entre ce gène et la dépression.

Pierre  Roubertoux

Pierre Roubertoux

Pierre Roubertoux est professeur de génétique et de neurosciences à Marseille. Il a créé et dirigé le laboratoire "Génétique, neurogénétique, comportement" du CNRS et a travaillé au laboratoire "Génomique fonctionnelle, comportements et pathologies" du CNRS, à Marseille. Il mène aujourd'hui ses recherches au sein du laboratoire de génétique médicale de l'Inserm.  Ses travaux sur la découverte de gènes liés à des comportements lui ont valu le prix Theodosius Dobzhansky, aux États-Unis.

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Atlantico : Quelles conclusions tirer de cette étude ? La dépression est-elle un phénomène génétique ?

Pierre Roubertoux : Cette recherche montre qu'il y a de très nombreux travaux qui utilisent les méthodes des jumeaux, les études familiales, d'après des études qui tendent à prouver qu'il y a, peut-être pas une base génétique, mais tout au moins une base familiale dans la sensibilité à la dépression. Il n'y a pas de génétique de la dépression, pas plus qu'il n'y a de génétique de l'autisme : il y a une génétique de la sensibilité aux états dépressifs. Il n'y a pas de gènes de la dépression parce qu'il n'y a pas de gènes des états ou des évènements. La dépression est un évènement et on ne peut pas trouver des gènes des évènements. Les gènes de l'agression n'existent pas : il n'existe que des gènes de la susceptibilité.

La plupart des maladies génétiques sont dues aux mutations de novo, des mutations qui interviennent au moment de la fabrication du conceptus (lorsqu'un spermatozoïde rencontre un ovocyte, il y a probablement 400-500 mutations nouvelles). Il y a beaucoup de maladies génétiques dont on n'a pas pu montrer l'hérédité. Par exemple, la stérilité masculine est d'origine génétique mais ne peut pas être héréditaire puisqu'on sait bien que si un individu mâle est stérile, il ne pourra pas se reproduire : ce n'est donc pas héréditaire.

Une personne dont l’un des parents fait une dépression "a deux à quatre fois plus de risques d’être lui-même dépressif", précise à ce sujet l'Inserm*, qui ajoute que "certaines variations génétiques associées à cette vulnérabilité ont été identifiées". Les troubles de dépression sont-ils héréditaires ?

De nombreuses études montrent que la dépression a une base familiale, que cette base familiale soit génétique et, dans une certaine mesure héréditaire, semble possible. Des travaux ont montré ce qu'on appelle des "associations" entre des gènes et des états dépressifs, la sensibilité à des événements qui induisent la dépression. Ces études portent sur des populations, lesquelles diffèrent par leurs gènes, et il n'est pas surprenant que, passant d'une population à l'autre, ces populations différant par leur chaîne, on retrouve les mêmes résultats. D'une étude à l'autre, on a du mal à reproduire des résultats pour cette raison génétique simple. Ce qui apparaît maintenant pour l'ensemble des études psychiatriques (je recommande l'article publié par Roubertoux et Fasano : "Gènes et comportements", paru dans l'encyclopédie médico-chirurgical), c'est qu'un état psychiatrique est extrêmement complexe, se mesure de façon comportementale et apparaît associé à différentes maladies. Par exemple, pour la dépression, on trouve des dépressions liées au gène A dans une population, B dans une population et ainsi de suite. Rechercher le gène de la dépression est une absurdité du point de vue terminologique autant que génétique, parce que ces caractéristiques psychiatriques varient selon les populations.

Qu'est-ce que cette affaire dit de la recherche en génétique ?

La recherche en génétique est très solide. Dans le domaine de l'autisme par exemple, on a trouvé un certain nombre de gènes associés à l'autisme et on a dépassé le stade du simple constat puisqu'on en est maintenant au traitement. Quant à la dépression, il y a des formes de dépression qui sont très bien traitées, en particulier avec des médicaments à base de sel de lithium. Affirmer que la dépression est indépendante des facteurs génétiques, c'est nier une évidence.

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