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 Grandes manœuvres sur les coalitions à venir au Parlement européen : bienvenue dans l’ère de la bouillie politique
©Reuters

Alliances contre-nature ?

Plusieurs premiers ministres ou chefs de parti (le néerlandais Mark Rutte, l'allemand Udo Bullmann et le portugais Antonio Costa) ont affirmé leur accord avec les idées de la liste Renaissance et ont évoqué une possible "alliance des progressistes".

Pierre Martin

Pierre Martin

Docteur en science politique de l'Institut d'études politiques de Paris (1983), il est chercheur associé au laboratoire PACTE à l'IEP de Grenoble. 

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Atlantico : Que représente réellement cette alliance ? 

Pierre Martin : Le big-bang macronien français s’inscrit dans les reconfigurations du paysage politique partisan en Europe, même si ce dernier ne s’y résume pas. Cela fait déjà pas mal de temps que les politiques économiques des sociaux-démocrates et des libéraux ont convergé. Le Parlement européen a été jusqu’à maintenant dirigé par une alliance entre PSE et PPE. De plus, LREM tire son origine d’une scission d’une partie de l’aile droite du PS (Macron, Colomb et d’anciens Strauss-Khaniens). La possibilité actuelle de reconfiguration s’appuie également sur plusieurs autres phénomènes : (1) le ralliement de la grande majorité des verts, derrières les verts allemands, aux politiques néolibérales dans le cadre d’un « développement durable » et leur volonté de participer au pouvoir y compris en coalition avec des forces de droite ; (2) la frustration des libéraux  (l’ALDE) qui veulent briser le duo PSE-PPE ; (3) la droitisation d’une partie du PPE (droitisation de la CDU-CSU, ambiguïtés avec Orban) qui divise de plus en plus ce parti.

Est-il envisageable que les députés d'Antonio Costa votent de concert avec ceux de Mark Rutte ?

Les socialistes portugais ne se sont historiquement jamais distingués par leur gauchisme et il ne faut pas trop exagérer leur déplacement vers la gauche actuellement. Concernant Mark Rutte, n’oublions pas qu’il a gouverné pendant des années les Pays-Bas avec les travaillistes.

En quoi utiliser le biais du progressisme comme élément de rassemblement des listes européennes est-il nécessaire pour renforcer l'ALDE qui est en train de se construire ?  

Le progressisme (qui n’est pas uniquement un terme de gauche) est un bon qualificatif de l’idéologie de ce que j’appelle les élites mondialisatrices(1). Le progressisme est historiquement lié à l’idée de progrès et au productivisme. Chez les élites qui construisent et gèrent la mondialisation, ce productivisme maintenu s’est combiné à un discours environnemental dans l’adhésion au concept de développement durable. Celles-ci dépassent de loin l’ALDE et rassemblent dans un nouveau pôle partisan libéral-mondialisateur(2) la grande majorité des sociaux-démocrates, des verts, des libéraux et une bonne partie des chrétiens-démocrates et de la droite « de gouvernement » dans la mesure où celle-ci est ralliée au libéralisme culturel.

Le premier ministre portugais, Antonio Costa, a apporté son soutien à la fois à LREM et au PS. Les alliances au sein de la gauche ne fragilisent-elles pas la cohérence intellectuelle des partis progressistes ?

La réponse précédente montre qu’il n’y a pas tant d’incohérence. Mais de plus, l’histoire des partis politiques nous enseigne que la recherche d’efficacité des stratégies de pouvoir l’emporte sur celle de la cohérence intellectuelle. Les partis politiques sont des machines de pouvoir et pas des clubs de pensée.

La droite pro-européenne (le Parti Populaire Européen) n'est-elle pas aussi concernée par ces alliances politiques hasardeuses ? Malgré ces unions politiques, y a-t-il encore une place pour le débat d'idées dans les élections européennes ?

Le PPE ne couvre pas toute la droite pro-européenne car les libéraux néerlandais (Mark Rutte) ou le Mouvement Réformateur du Premier ministre belge, par exemple, membres de l’ALDE, sont au moins aussi à droite que Madame Merkel. D’autre part le PPE est historiquement allié au PSE pour la gestion de l’UE, ce qui montre bien la convergence des droites et des gauches de gouvernement en Europe. Mais le PPE est de plus en plus divisé par une droitisation interne d’une partie de ses membres qui mine sa cohésion et l’isole de ses partenaires, comme l’a illustré le vote sur Orban. Lors de ces élections le débat d’idées ne me semble pas moins présent qu’avant, c’est sans doute même le contraire, mais il divise plus souvent les grands partis traditionnels qu’il ne les renforce.

Pierre Martin, Crises mondiales et systèmes partisans, Paris, SciencesPo Les Presses, 2018.

(1) Dans mon livre Crise mondiale et systèmes partisans, p. 176-179.

(2) Ibid, p. 255-269.

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