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Vrais ou faux espoirs pour Ascoval ? La sidérurgie ou le concentré des lâchetés et des contradictions françaises en matière de politique économique
©FRANCOIS LO PRESTI / AFP

SOS boussole économique

Après la liquidation judiciaire de British Steel, l’actionnaire britannique du site nordiste de l’ex-Ascoval, le gouvernement s’est fermement engagé pour sauver l’aciérie.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Après la liquidation judiciaire de British Steel, l’actionnaire britannique du site nordiste de l’ex-Ascoval, le gouvernement s’est fermement engagé pour sauver l’aciérie. Cependant, la justification et les arguments apportés notamment par Bruno Le Maire et d’autres membres du gouvernement semblent montrer qu'ils n’ont pas une véritable compréhension du dossier. Bruno Le Maire a ainsi déclaré vouloir trouver un repreneur français pour protéger cette activité tout en refusant de parler de protectionnisme. Dans les faits, en est-ce ?

Michel Ruimy : Aujourd’hui, 70% de l’industrie française se situe dans des territoires, hors des grandes agglomérations, dans des villes moyennes et des zones rurales et périphériques. Dans ces territoires, l’industrie a besoin d’être accompagnée car elle n’y bénéficie pas des mêmes facilités que dans les grandes agglomérations, comme les centres d’apprentissage ou le haut débit…

Concernant l’entreprise Ascoval, Bercy ne ménage pas ses efforts pour tenter de préserver les emplois des salariés parce que la perception selon laquelle l’industrie est essentielle pour la France fait enfin l’unanimité. Il n’y a pas de grande économie sans industrie puissante. L’idée d’une société post-industrielle, uniquement tournée vers les services, était une impasse.

Dans une vision plus large, il faut bien comprendre qu’aujourd’hui, la simple loi du marché ne suffit pas. La concurrence doit avant tout être équitable. N’interdisons pas, par principe, les aides d’Etat. Pour pouvoir rivaliser à égalité avec la Chine ou les Etats-Unis dans des secteurs stratégiques et porteurs comme l’espace ou la nanoélectronique, par exemple, les Etats européens doivent soutenir leurs entreprises.

Par ailleurs, si le libre-échange des marchandises a tiré la croissance du monde depuis soixante-dix ans, il faut exiger aussi le respect des règles de réciprocité. Et si cette réciprocité n’est pas respectée, comme cela a été le cas pour l’acier, les pouvoirs publics se doivent de prendre des mesures de sauvegarde sur la base de quotas.

Il faut surtout s’inspirer, par exemple, de l’accord commercial que l’Europe vient de ratifier avec le Japon et qui donne accès aux entrepreneurs européens aux marchés publics japonais. Ceci est l’illustration d’un accord gagnant-gagnant. Mais ce n’est pas toujours le cas. La Chine ou les Etats-Unis n’hésitent pas à soutenir leurs champions via des investissements publics lourds. SpaceX n’est pas né dans un garage mais a été massivement subventionné par la Nasa. Les géants du numérique chinois se livrent à une vive concurrence mais sont aussi capables d’unir leurs forces sur des projets de Recherche & Développement majeurs.

L’Europe n’est pas une option pour espérer rivaliser avec la Chine et les Etats-Unis. Les Etats européens se doivent aussi d’être complémentaires, de définir les bases d’une nouvelle approche industrielle européenne en se positionnant sur les chaînes de valeurs stratégiques.

Bruno Le Maire a pointé la responsabilité du Brexit dans la situation d’Ascoval. Cependant, est-ce réellement le cas : les tarifs douaniers, dans une logique commerciale, ne sont-ils pas un désavantage pour les deux parties ? La situation d’Ascoval découle-t-elle vraiment du Brexit ? Dès lors, est-ce que l’Europe a vraiment protégé Ascoval ?

La mise en faillite de British Steel concerne les activités historiques (britanniques) du sidérurgiste. Cette liquidation n’aura pas d’impact sur le site de Saint-Saulve car celui-ci a, en réalité, été repris par la société-mère de British Steel. Ainsi, le plan décidé entre l’État français et British Steel pour sauver Ascoval devrait se poursuivre : British Steel a versé les 5 millions d’euros promis pour sa reprise, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a débloqué les 15 millions d’euros de prêt annoncés. Ce sera également le cas des 12 millions attendus des collectivités locales, et du prêt de 40 millions de British Steel à Ascoval.

Mais, en même temps, British Steel a alerté les autorités britanniques sur la fragilité de sa situation financière dans le contexte du Brexit et réclamé une aide de 75 millions de livres sterling (près de 86 millions d’euros). Une question se pose : s’agit-il d’une stratégie de chasse aux subventions ou de réelles difficultés pour British Steel ? Il est difficile de répondre avec certitude d’autant que la consommation d’acier, et plus encore la production, sont en baisse continue depuis le début des années 1970 en Grande-Bretagne.

Le Brexit a déjà un impact certain bien que non quantifiable sur la sidérurgie britannique. Si la situation de British Steel s’aggravait, le plus vraisemblable serait la formation d’un nouvel ensemble regroupant Ascoval, Sogérail (Hayange, Moselle) et FNSteel (Pays-Bas). L’intérêt tardif du sidérurgiste pour Ascoval ressemble à l’anticipation d’un Brexit difficile et son renforcement dans l’Union européenne, à une possible porte de sortie. En effet, en cas d’absence d’accord de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, l’acier exporté par British Steel pourrait être fortement taxé. Une menace qui fait fuir les potentiels nouveaux clients, et qui fait que British Steel, à court de liquidités, ne sort pas du marasme économique.

Le gouvernement semble avoir des difficultés à trancher entre une politique de formation et une politique d’aides publiques. Comment opérer un arbitrage sur cette question ?

Au vu de la hauteur de la pile de dossiers en souffrance, on aurait tendance à dire que l'industrie française est en crise. Mais, la tendance est plutôt meilleure qu’hier. A cet égard, en 2018, l’industrie a créé plus d’emplois qu’elle n’en a détruit avec un solde positif de 9 500 postes. Cela n’était pas arrivé depuis 18 ans !

Aujourd’hui, le gouvernement doit résoudre les problèmes dans l’urgence. Il privilégie donc une politique d’aides publiques car les efforts concernant la formation ne porteront leurs fruits qu’à moyen et long terme.

Mais au-delà des aides publiques, l’Etat a « innové » en définissant, en accord avec les Régions, 124 « territoires d’industrie ». S’il a un rôle de facilitateur et de financeur, le pilotage revient aux Régions. L’enjeu est d’engager une nouvelle vague de reconquête industrielle partout en France. Mais être labellisé « territoire d’industrie » n’entraîne pas automatiquement un financement. Il faut que les agglomérations et les entreprises portent un projet, contractualisent et se montrent convaincantes avec les Régions et avec l’Etat car, dans le passé, il y a eu une accumulation de plans de reconquête industrielle sans vraiment voir changer les choses. Dans ce cadre, il est sûr que certains territoires seront plus dynamiques que d’autres.

Le décalage avec le Royaume-Uni n’est-il pas beaucoup plus important du fait du faible chômage britannique ? Là encore, n’y a-t-il pas un arbitrage à opérer entre une politique d’ajustement (investissement publique ou formation) et une politique visant à faire diminuer drastiquement le chômage ?

En fait, fondamentalement, les Britanniques ne sont pas aussi protectionnistes que les Français. Ceci se traduit, notamment, par les difficultés qu’une entreprise étrangère rencontre pour s’installer en France. Nos voisins sont guidés par le « principe de Wimbledon » qui, au plan anecdotique, peut se traduire par : peu importe la nationalité du vainqueur du tournoi pourvu que le jardinier soit britannique. Autrement dit, les Anglais ne sont pas directement opérateurs pour certaines activités mais en tirent des avantages, notamment en termes d’emploi.

On voit donc bien deux approches en termes de politique industrielle. Le gouvernement français doit-il tout faire pour que toute entreprise française reste française par les capitaux ou ne pas « avoir de religion » en la matière et obtenir des résultats en termes de créations d’emplois, ce qui nécessite, en particulier, une plus grande flexibilité du marché du travail.

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