Atlantico : Si Emmanuel Macron s'est présenté comme un président en rupture avec le "monde d'avant", ces deux dernières années à la tête de la République ne montre-t-elle pas de vraies ressemblances avec la façon dont François Mitterrand exerçait le pouvoir ? 

Edouard Husson : J’imagine que vous pensez à la manière dont François Mitterrand s’est construit une fois élu, un personnage. Mais lui a réussi à jouer longtemps le personnage du Sphinx, jusqu’au bout, même. Alors qu’Emmanuel Macron n’a tenu que quelques mois dans le personnage de « Jupiter ». On peut rapprocher l’origine des deux hommes: ils ont grandi dans le milieu bourgeois d’une ville de province. Ils sont montés à Paris pour assouvir une ambition. Mais François Mitterrand a grandi dans un monde encore structuré du point de vue des codes moraux. C’est un enfant de la bourgeoisie catholique qui a ensuite renié la droite qui l’avait élevée. Mais il en a gardé quelques vertus: la prudence politique, le sens de l’amitié, le souci de l’équilibre des forces. Son patriotisme était réel, enraciné dans un goût de la France des terroirs, dans le goût de la littérature - même si Mitterrand était, contrairement à ce qu’on dit, un écrivain assez conventionnel, au style ampoulé. Macron, lui, est né dix ans après 1968. Il a grandi dans une société où la morale bourgeoise s’effondrait. Son mariage est le résultat d’une rupture avec son milieu mais une histoire comme la sienne n’aurait pas pu se dérouler une génération auparavant. L’actuel président, qui ne retourne en Amiens que lorsqu’il y est forcé, est, plus généralement, en rupture avec son passé sur tous les sujets: il veut fermer l’ENA, dont il est un pur produit, avec les qualités et les défauts. Il veut abolir la souveraineté française au profit d’une souveraineté européenne. Mitterrand était très différent: il voulait préserver la France grâce à l’Europe. 

Au niveau européen, Emmanuel Macron défend becs et ongle une "Europe de la paix". La "Renaissance européenne" macronienne est-elle la continuité de celle de Maastricht défendue par Mitterrand ?

Non. Macron est plutôt un avatar de Giscard. Mitterrand était un Européen de raison qui jouait la comédie de « l’hymne à la joie ». Macron, lui, y croit; c’est un idéaliste de l’Europe. Sa première apparition en Jupiter s’est faite dans la cour du Louvre. En fait, le premier comédien de France s’est produit dans un décor conçu par François Ier et rénové par François Mitterrand. Il y avait quelque chose d’incongru à faire jouer l’hymne européen au coeur d’un palais des rois de France et avec la référence pharaonique de l’architecture mitterrandienne. Mais Macron n’aime pas les monuments: il veut plaquer sur eux son européisme, son mondialisme, son progressisme. Il veut reconstruire Notre-Dame « plus belle encore » et dans un temps record. 

Sur l’ Europe, plus précisément, l’actuel président n’a ni la prudence ni le savoir-faire de François Mitterrand. Mitterrand a pris en permanence des garanties vis-à-vis d’Helmut Kohl: il parlait avec tous pour construire des coalitions de votes et être en position de négocier avec l’Allemagne. Macron, lui, n’a voulu parler qu’à la Chancelière et a méprisé les autres pays.   

Quelles sont les limites de cette comparaison entre les deux hommes ?

Les limites de la comparaison tiennent aux structures: Macron soit se débrouiller dans le temps d’un quinquennat; tandis que Mitterrand « laissait le temps au temps »: il avait été élu pour sept ans. Ensuite, l’euro est le cadeau empoisonné que Mitterrand a fait à ses successeurs. Plus on avance dans le temps, plus Mitterrand apparaît avoir remporté une « victoire à la Pyrrhus » sur les Allemands qui avaient lancé la réunification sans le consulter: il a certes amené Helmut Kohl à entrer dans l’euro. Mais ce sont des règles allemandes qui ont été appliquées à la monnaie européenne. Or plus le temps passe, plus la société française souffre des rigidités du malthusiansisme monétaire allemand. Au-delà des maladresses et provocations de l’actuel hôte de l’Elysée, la crise des Gilets Jaunes est un produit de la destruction du tissu social français par une politique monétaire inadaptée. Macron a repris la négociation sur l’euro là où Mitterrand l’avait laissée: il a essayé de plaider pour un gouvernement économique de la zone euro mais sans succès.