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Cancer : cette découverte sur le cerveau qui ouvre de prometteuses voies de traitement
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Matière grise

D'après une étude publiée par l'équipe Inserm Atip-Avenir dirigée par Claire Magnon, la production de nouveaux neurones a lieu non seulement dans le système nerveux central, mais aussi dans les tumeurs et contribue ainsi au développement du cancer.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : D'après une étude publiée par l'équipe Inserm Atip-Avenir dirigée par Claire Magnon, la production de nouveaux neurones a lieu non seulement dans le système nerveux central, mais aussi dans les tumeurs et contribue ainsi au développement du cancer.

En quoi ces résultats sont-ils intéressants et pourquoi occupent-ils une place particulière dans la lutte contre le développement du cancer?

Stéphane Gayet : Durant des décennies, le dogme en biologie cellulaire était que les neurones – donc les cellules nerveuses principales, celles qui produisent et conduisent les influx nerveux - ne se multipliaient plus dès lors que le développement du système nerveux était achevé (dans la petite enfance). Ce dogme opposait ainsi les neurones à toutes les autres cellules du corps qui se multiplient au contraire sans cesse pour compenser les morts cellulaires spontanées ou accidentelles. Pour le dire d'une autre façon, on considérait que l'on avait depuis la petite enfance un capital neuronal définitif, qui ne pouvait donc que se maintenir ou hélas diminuer.

Les neurones se multiplient et sont donc produits à tout âge

Or, depuis au moins 15 ans, on sait que les neurones peuvent se multiplier à tout âge et qu'il existe de ce fait une plasticité neuronale vraie qui ne se résume pas à l'augmentation des connexions (dendrites).

Plus une cellule est immature et moins elle est spécialisée (différenciée) et plus elle a une forte capacité à se diviser. Moins elle est différenciée et plus elle peut se spécialiser (se différencier), ce qui est intuitif, mais toujours bon à préciser. Dans le corps, les cellules les plus immatures et les moins différenciées sont dites totipotentes ; elles pourraient produire le corps entier (cellules qui constituent un œuf tout jeune). À l'inverse, les cellules les plus matures et différenciées sont les cellules fonctionnelles des divers tissus qui constituent le corps humain : cellules osseuses, épidermiques, neurones, hépatocytes, cellules musculaires, etc. On peut recourir à l'analogie avec, d'un côté, le baccalauréat général, et, de l'autre, le brevet de technicien supérieur spécialisé (BTS) en industries du cuir.

La chaîne de différenciation cellulaire

Les cellules souches totipotentes donnent naissance à des cellules souches pluripotentes donnant naissance à des cellules souches multipotentes qui donnent naissance à des cellules souches unipotentes. Une cellule souche unipotente ne peut donner naissance qu'à un seul type cellulaire, par exemple des neurones ou bien par exemple des cellules gliales comme des oligodendrocytes. Enfin, les cellules souches unipotentes donnent naissance à des progéniteurs donnant naissance à des précurseurs qui eux-mêmes vont finir par donner naissance à des cellules bien différenciées. Ces dernières cellules sont donc les cellules matures des tissus. Une cellule souche totipotente peut à l'inverse donner naissance à un organisme entier, ce qui n'est déjà plus le cas d'une cellule souche multipotente. Cette chaîne générale de différenciation cellulaire (spécialisation) est vraie pour les principaux types de cellules (peau, tube digestif, système nerveux, cellules sanguines…).

Des cellules nerveuses jeunes et peu matures dans certains cancers : d'où viennent-elles ? Que font-elles ?

Cette équipe de recherche a étudié le cancer de la prostate. Ces chercheurs ont trouvé des cellules nerveuses au sein des cancers ainsi qu'au sein des métastases de ces cancers. Ces cellules nerveuses sont neuronales (avec une différenciation plus ou moins avancée) et secrètent de la double-cortine ou DCX et de l'adrénaline. La double-cortine est une protéine qui est habituellement secrétée par les progéniteurs neuronaux (embryon et jeune enfant) pour favoriser le développement des tissus en formation. L'adrénaline stimule la vascularisation. Ces deux facteurs associés accélèrent donc la croissance du cancer. De fait, les chercheurs ont montré que la présence de telles cellules nerveuses dans un cancer était corrélée à l'agressivité du cancer. Or, ils ont également montré que ces cellules nerveuses étaient en réalité issues de progéniteurs neuronaux provenant du cerveau. En effet, on sait aujourd'hui qu'il existe au moins deux zones cérébrales dans lesquelles des progéniteurs neuronaux persistent et se multiplient, pouvant donner naissance à de nouveaux neurones : il s'agit du gyrus dentelé et de la zone sous-ventriculaire qui borde les deux ventricules latéraux (le gyrus dentelé se trouve dans le lobe temporal de chaque côté, dans une petite région appelée hippocampe en raison de sa forme ; les ventricules sont de très petites cavités du cerveau dans lesquelles circule le liquide céphalo-rachidien). Ces deux petites régions du cerveau sont donc les deux seuls sites actuellement connus de neurogenèse chez l'adulte (production de nouveaux neurones). Ces deux sites de neurogenèse persistant à vie sont très petits, mais leur découverte il y a plusieurs années a été une énorme surprise étant donné le dogme du stock définitif de neurones chez l'adulte.

La barrière hémato-encéphalique

Mais le cerveau est protégé des agressions arrivant par voie vasculaire : c'est la barrière hémato-encéphalique qui joue ce rôle protecteur. Celle-là ne laisse en principe pas passer de cellules (dans un sens comme dans l'autre). Elle est en revanche franchie par certains médicaments.

Alors, comment ces progéniteurs neuronaux ont-ils fait pour passer du cerveau (gyrus dentelé ou zone sous-ventriculaire) au réseau artériel, puis à la tumeur en train de se former ? Il a fallu nécessairement qu'il y ait une altération de la barrière hémato-encéphalique au niveau de l'un de ces deux sites de neurogenèse. Pourquoi cette altération ou brèche ?

Le scénario reconstitué : du cerveau à la tumeur cancéreuse

Toujours est-il que cette équipe de recherche a pu reconstituer le processus suivant : à la faveur d'une brèche ou altération de la barrière hémato-encéphalique dans l'un des deux sites de neurogenèse du cerveau, des progéniteurs neuronaux sont passés dans le sang et ont gagné ensuite une tumeur maligne en train de se former (cas du cancer de la prostate et de ses métastases le cas échéant, mais le même phénomène a été constaté avec le cancer du sein). Ces progéniteurs ont pu alors coloniser le cancer débutant, s'y développer en élaborant un micro réseau neuronal intra-tumoral (dans la tumeur) et y secréter de la DCX et de l'adrénaline. Ces deux substances ont fortement stimulé le cancer et de fait ce processus vraiment insolite a été constaté pour les cancers particulièrement agressifs.

Cette stimulation des cancers par des néo neurones (nouveaux neurones) intra-tumoraux peut être rapprochée de ce que l'on connaît concernant la stimulation de la croissance des muscles rouges striés (les muscles squelettiques : muscles qui sont responsables de la force de nos membres et de celle de notre colonne vertébrale) par les terminaisons des neurones qui s'y trouvent : ce phénomène est bien connu (faire travailler un muscle le fait grossir du fait de l'influx nerveux).

Cette découverte scientifique de grande valeur est assez sensationnelle : de jeunes cellules cérébrales réussissent à passer dans le sang et s'installer à l'intérieur de cancers dont elles stimulent le développement. C'est nouveau et cela devrait sans doute contribuer à comprendre la raison de la gravité de certains cancers, ce qui devrait permettre de mieux les traiter. Il faut rappeler que le même phénomène est constaté dans les métastases à distance de ces cancers. Cette découverte devrait déboucher sur de nouvelles méthodes diagnostiques et thérapeutiques plus efficaces.

Comment combattre cette nouvelle source de développement du cancer ? Y a-t-il déjà des pistes de thérapies (médicamenteuses ou non) pour enrayer ce développement?

Cette découverte assez sensationnelle débouche sur plusieurs pistes de recherche. Elles ne sont encore qu'embryonnaires. Ce qu'il faut retenir de ce travail, c'est qu'il a mis en évidence un facteur explicatif – parmi d'autres - de la forte agressivité de certains cancers. C'est une avancée importante, car cela devrait aider à maîtriser cette agressivité, à défaut de pouvoir éradiquer le cancer.

On a vu que ces formations néo neuronales intra-tumorales secrétaient entre autres de l'adrénaline et que cette dernière contribuait à ce que le cancer se développe. On a rapproché cette découverte de la constatation selon laquelle les individus prenant un médicament bêtabloquant au long cours, s'ils avaient un cancer évolutif, leur cancer avait une évolution très ralentie. La prise de bêtabloquant semblant donc freiner l'évolution des cancers. Et justement les bêtabloquants diminuent la production d'adrénaline. Il y a donc là probablement une voie de recherche et de traitement des cancers agressifs.

Il est aussi envisageable que les progéniteurs neuronaux soient détectables dans le sang : leur présence indiquerait qu'ils ont réussi à franchir la barrière hémato-encéphalique et qu'en cas de cancer, ils pourraient s'y installer, s'y développer et contribuer ainsi à une évolution particulièrement sévère. On pourrait aussi concevoir la mise au point d'un traitement qui éliminerait sélectivement ces progéniteurs neuronaux circulants. Donc, plusieurs pistes thérapeutiques envisageables.

Cette découverte rend-elle certains traitements du cancer obsolètes, ou du moins relativise leur efficacité ? Comment allier ces résultats aux méthodes habituelles de lutte contre le cancer ?

La plupart des méthodes thérapeutiques actuelles des cancers sont peu satisfaisantes. La chimiothérapie non sélective est une arme de destruction massive. Elle atteint autant le reste du corps que le cancer (si ce n'est plus dans certains cas de cancer chimiorésistant). La radiothérapie est également destructrice et donc source de beaucoup d'effets secondaires qui sont parfois très douloureux et invalidants. Quant à la chirurgie, son efficience est très variable selon le type de cancer : la chirurgie en cas de micro cancer intra tissulaire est salvatrice et en général non mutilante ; mais nombre d'interventions chirurgicales carcinologiques sont seulement réductrices (palliatives) et en même temps invalidantes.

L'immunothérapie anticancéreuse est tout de même une arme de faible intérêt, bien que théoriquement séduisante.

Les vrais traitements dignes de ce nom des cancers sont les thérapies ciblées qui s'attaquent aux cellules cancéreuses sans détruire le reste du corps. Mais elles sont peu nombreuses et fort coûteuses.

Si l'on parvenait à exploiter les conséquences de cette découverte sensationnelle, cela devrait déboucher sur une nouvelle ère dans les traitements des cancers agressifs : ce serait un gros progrès qui éviterait aux cancéreux gravement atteints de mourir dans un court délai, comme cela reste encore non rarement le cas. Il faudrait également comprendre pourquoi les progéniteurs neuronaux ont une telle affinité pour certains cancers et l'on pourrait peut-être empêcher leur intégration dans ces tumeurs malignes. Donc, plusieurs pistes de recherche très prometteuses, mais beaucoup reste à faire.

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