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Ingérences étrangères dans la campagne des Européennes : ces éléments qui motivent vraiment les Russes
©Reuters

Péril rouge ?

Mediapart a révélé un contrat de prêt russe décroché en 2014 par le parti de Marine Le Pen. Un cas qui démontre un intérêt particulier de la Russie envers le système politique européen.

Anastasiya Shapochkina

Anastasiya Shapochkina

Anastasiya Shapochkina est maître de conférences en géopolitique à Sciences Po Paris. Elle est notamment spécialisée sur l'Europe et de la Russie.

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Atlantico :Si ce n'est pas en soi une surprise, la Russie multiplie des actes d’ingérences. Dans quelle mesure la pratique-t-elle dans d’autres partis ?

Anastasia Shapochkina : Effectivement, le Front National n’est pas le seul concerné. Les Russes sont très présents dans le financement des partis européens, surtout l’extrême-droite ET l’extrême-gauche. La première se retrouve en Italie avec La Ligue du Nord. En Allemagne, AFD. En Hongrie, Jobbik…etc. Du côté de l’extrême-gauche, Jean-Luc Mélenchon.   En Allemagne, c’est le Die Linke. En Italie, le mouvement Cinq étoiles. Evidemment, ils nient ces soutiens mais de nombreuses études viennent corroborer ces rapports [ndlr. Anastasia Schapochkina fait référence aux travaux des institutions suivantes : Mark Galeotti, The Insitute of International Relations in Prague ; The Laudromat investigation ; Anton Schkhovtsov, The Insitute of Human Sciences in Austria].

La question est de savoir s’il s’agit de financement de l’ordre du FN, c’est-à-dire de prêts de 11 millions d’euros, ou de soutien. Ce dernier peut prendre la forme de visites diplomatiques ou soutien entre les partis. Certains partis ont ainsi fait des pactes de coopération. Des partis dont l’idéologie coïncide avec la leur en partie.  On voit bien l’ampleur de l’emprise russe avec la démission du vice-chancelier autrichien pour avoir été piégé à son insu, acceptant un soutien financier en échange de contrats publics autrichiens. Pour autant, des partis comme l’AFD peuvent tenir seul financièrement. Les financements sont donc maigres.

Néanmoins, ces soutiens sont-t-ils vraiment efficients ? Comment fonctionnent-ils ?

Pas forcément. Les partis comme le FN et l’AFD restent marginaux. L’effet est limité parce que la stratégie consiste à miser sur des partis minoritaires qui peuvent potentiellement accéder au pouvoir. L’exemple le plus frappant est celui de la Ligue en Italie qui a énormément gagné en ampleur suite à la collision avec le mouvement Cinq Etoiles dont la Russie est aussi proche. Maintenant, ces partis n’existeraient-t-ils pas sans ce soutien ? Je ne pense pas. Néanmoins, leur impact sur les politiques européennes est indéniable. Après ces pays (Italie, Hongrie) ne sont pas les importants au niveau européen comme le sont l’Allemagne ou la France. L’influence russe y fonctionne par personnalités dont l’approche dépend de ces interlocuteurs (corruption,  rapports diplomatiques). Un exemple frappant est le cas de l’ancien chancelier social-démocrate, ami de Poutine, qui devient le directeur  de Nord Stream 2, un des projets les plus controversés de ces dernières années entre l’Europe et la Russie.

Je voudrais attirer l’attention ici non pas sur les partis marginaux séduits par la Russie, mais plutôt le courting -courtiser- des personnalités au pouvoir dans des partis mainstream. Une des conséquences de ce courting se joue dans le Conseil de l’Europe puisqu’il y est question de restaurer la participation de la Russie dans le Parlement du Conseil de l’Europe sans qu’elle réponde à toutes les résolutions faites autour de l’Ukraine, et sans qu’elle remplisse ses obligations. Ça peut être vue comme le premier pas de la Russie vers son retour sur la scène diplomatique dans d’autres scènes européennes et la levée des sanctions en général. Alors certes, on voit des financements de partis d’extrême-droite. Ça fait des bonnes news, mais derrière il y a cette recherche de levée des sanctions qui est encore plus importante !

D’où vient cette volonté d’ingérence de la part de la Russie ? Serait-t-elle liée à une sorte de paranoïa de l’encerclement héritée de la chute du Mur, ou plutôt d’un esprit de revanche sur la disparition de l’URSS et d’un pays comme puissance hégémonique ?

C’est sûrement les deux. D’un côté, l’esprit de revanche est important pour un pays qui considère avoir perdu de sa force depuis la chute du Mur et souhaite retourner sur la scène internationale. De l’autre, l’esprit de paranoïa est un vrai esprit en Russie très utilisé en interne via les discours officiels, par exemple lorsqu’une flotte de l’OTAN entre dans la mer Noire en mars dernier. C’est avant tout un discours interne puisque ce n’est en réalité pas possible. Les traités de la loi internationale maritime établissent formellement quel type de bateau peut s’y installer, et certainement pas ceux-là. Ce « danger » n’a jamais existé mais ce discours en interne a été utile pour justifier leurs décisions. Une autre raison se trouve également dans la présence de personnes issues du secteur de la sécurité comme des anciens du KGB dans tous les organes gouvernementaux. Ils ont donc une vision du monde assez spécifique. L’ironie chez ces personnes se sentant encerclés est qu’ils ont tous des villas en Europe ou que leurs enfants étudient à Londres, par exemple. Ce n’est pas très cohérent [rires]. Enfin, l’esprit de revanche est également important pour un pays qui considère avoir perdu de sa force depuis la chute du Mur.  

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