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La Chine est désormais le premier partenaire commercial de l’Allemagne et voilà ce que ça change pour l’Europe
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Autre enjeu post Européennes

La Chine est devenue le premier partenaire commercial de l'Allemagne, devant les Pays-Bas, les Etats-Unis, la France et l'Italie. Et cela veut dire beaucoup plus de choses qu'il n'y paraît.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : La structure du top 3 des partenaires commerciaux de l'Allemagne pose question. Un seul européen, les Pays-Bas, se retrouve en 2e position. Cela pourrait-il entraîner une réflexion allemande tournée au-dehors de l'Union européenne ?

Michel Ruimy : La Chine a été, en 2018, pour la troisième année consécutive, le premier partenaire commercial de l’Allemagne avec un volume total d’échanges de près de 200 milliards d’euros. Ce montant se ventile respectivement en près de 93 milliards d’euros d’exportations en provenance d’Allemagne et 106 milliards d’euros d’importations en provenance de Chine, l’Allemagne ayant traditionnellement un léger déficit commercial avec l’empire du Milieu.
Mais la Chine n’est pas la principale destination des exportations de l’Allemagne. Elle est devancée par les États-Unis (113 milliards d’euros) et la France (105 milliards d’euros). A cet égard, les exportations allemandes sont surtout constituées de produits industriels : voitures, camions, machines, produits chimiques. On peut dire que l’Allemagne mériterait, peut-être, plus que la Chine, le surnom d’« atelier du monde ». Pour ce qui concerne les importations, la Chine occupe la première place, suivie des Pays-Bas avec 98 milliards d’euros et de la France avec 65 milliards d’euros.
Le quasi-équilibre commercial de l’Allemagne avec la Chine suggère qu’avec de bons produits, il est possible de s’engager dans un commerce mutuellement bénéfique. L’excédent commercial de l’Allemagne le plus élevé est réalisé avec les États-Unis (49 milliards d’euros), suivis du Royaume-Uni (45 milliards d’euros) et de la France (40 milliards d’euros).
Ainsi, l’Allemagne entretient des relations commerciales excédentaires avec de nombreux États mais une grande partie du déséquilibre est interne à l’Europe et même à la zone euro. Ce déséquilibre constitue aujourd’hui l’un des obstacles à une vraie reprise économique, notamment dans les pays de l’Europe du Sud. Cette situation a évidemment de très grandes implications. Dans un environnement où l’Economique prime sur le Politique, est-il besoin de réfléchir lorsque vous devez gérer un important volume d’affaires extra-européen, presque disproportionné comparé aux flux intra-européens ? 
Pourtant, devant les défis géopolitiques (protectionnisme de M. Trump, recentrage de la Chine) et le ralentissement économique mondial, il suffit d’observer les difficultés de l’industrie automobile, cheville ouvrière du modèle industriel exportateur allemand, représentant, à elle seule, 20% de l’industrie nationale et exportant plus des ¾ de ses véhicules. Les cailloux qui s’accumulent sur sa route constituent un concentré des défis auxquels l’Allemagne se trouve confrontée. 
Si l’actuel ralentissement ne conduit pas à une profonde réflexion sur son modèle de croissance, l’Allemagne pourrait connaître, à l’avenir, de sérieuses difficultés économiques.

L'Allemagne a tout intérêt à alimenter son économie d'exportation en entretenant de bonnes relations avec ses partenaires commerciaux étrangers, mais elle doit aussi réfléchir à ses relations européennes. Cette position est-elle tenable économiquement ? Est-elle de nature à remettre en cause l'unité économique européenne ?

La vigueur économique de l’Allemagne repose notamment sur le dynamisme de ses exportations. Depuis l’avènement de l’euro, l’attractivité de sa production aussi bien en matière de compétitivité que de valeur ajoutée lui a permis d’accroître significativement ses parts de marché au niveau mondial. Pourtant, la finalité de la zone euro, lors de sa mise en place, n’a jamais été d’accroître la prédominance des marchandises allemandes dans les échanges internationaux. Elle avait été construite pour offrir un espace commun privilégié afin de maximiser le commerce entre ses pays membres. Ce concept reposait sur la création de la monnaie unique et sur le libre-échange.
Toutefois, les Allemands, à l’affût des marchés en devenir, ont orienté leurs opérations en fonction de la dynamique des marchés mondiaux. Ainsi, la Chine et les pays de l’Est ont constitué des destinations privilégiées pour les exportateurs d’outre-Rhin. Doit-on blâmer les Allemands d’avoir misé sur le reste du monde et d’être allés chercher des axes en développement ? Certainement pas, la France aurait dû en faire autant. Ainsi, l’Allemagne n’a pas soutenu l’économie européenne. Elle n’y a ni investi, ni consommé. Elle l’a affaiblie. Les Allemands ont joué leur partition en solo en orientant leur surplus d’épargne en dehors de la zone euro alors que les autres pays membres continuaient de plébisciter la production allemande en achetant massivement leurs voitures et leurs machines - outils.
Or, aujourd’hui, le vent tourne. Les limites du modèle économique d’outre-Rhin apparaissent alors. L’Allemagne est vulnérable du fait de sa trop forte dépendance au commerce mondial. Le nouvel ordre géopolitique et économique est une vraie menace pour l’industrie allemande dans son ensemble. Le pays fonctionne, en quelque sorte, comme un pays émergent qui, faute de pouvoir stimuler sa demande interne, cherche des relais de croissance et des débouchés en dehors de ses frontières.
Pourtant, malgré les difficultés, l’Allemagne reste, pour beaucoup, le modèle à suivre. La bonne situation des comptes publics laisse penser qu’il reste des marges de manœuvre pour stimuler la demande interne. Mais, en cherchant à tout prix l’équilibre de ses finances, le gouvernement allemand en a oublié l’importance de l’investissement. Il lui faut, pourtant, rénover d’urgence ses infrastructures en piteux état. 
Un autre indicateur de la spécificité allemande pourrait sonner son glas : le vieillissement de sa population. En effet, l’effondrement des naissances, s’il n'est pas inversé, amènera, outre-Rhin, un différentiel entre retraités et population active insoutenable tant pour le paiement des retraites que pour le maintien d’un fort taux d'emploi. Selon certaines prévisions, l’Allemagne aurait besoin de 260 000 immigrés par an durant les quarante prochaines années !
Si cette situation ne va évidemment pas transformer l’Allemagne en « boulet » de l’Europe, elle peut d’une part, remettre en cause le leadership allemand dans la vision économique de l’UE, et d’autre part, mettre le pays devant une conséquence évidente : la nécessité d’un plan de relance. Mais, elle est également problématique pour la France, qui n’est pas non plus dans une situation enviée. Il faut bien comprendre que les difficultés de notre principal partenaire économique est une mauvaise nouvelle pour nous. Quant à l’UE, elle a besoin de retrouver une Allemagne forte, mais cette dernière a également besoin du retour de la croissance des autres pays pour réussir. Autant dire que la situation n’est sans doute pas près de se décanter.

Une remise en cause du modèle allemand - qu'on sait en crise car le demande intérieure est insuffisamment stimulée - est-elle envisageable ? Sous quelle forme ? 

Le modèle mercantiliste allemand est-il résilient ? Une réponse positive suppose un rebond des exportations grâce à la reprise du commerce mondial. Or, rien n’est moins sûr. Depuis vingt ans, le succès exportateur allemand s’est construit sur deux piliers : la modération salariale et l’avancée technologique, sur deux secteurs : l’automobile et les biens d’équipement, et sur un marché principal en croissance : la Chine. Ce modèle est désormais clairement menacé.
Une remise en cause nécessite de demander aux Allemands de rediriger leurs investissements vers l’intérieur du pays. Or, si les flux se sont dirigés jusque-là vers l’extérieur, c’est parce que d’autres zones géographiques promettaient des rendements plus importants qu’en Allemagne. Pour autant, ceci ne signifie pas qu’il n’existe pas, en Allemagne, de possibilités d’investissements de long terme. L’investissement public dans les infrastructures et l’éducation, par exemple, pourrait bénéficier au secteur privé de sorte que celui-ci deviendrait, à son tour, plus attractif pour les capitaux allemands.
En outre, elle demande une hausse des salaires. Les emplois à bas salaire demeurent importants. Près de 25% des salariés allemands touchent une rémunération inférieure aux 2/3 du salaire médian en dépit de l’introduction d’un salaire minimum. Donc, pour une grande partie des Allemands, le plein-emploi n’est pas synonyme de bien-être et, partant, leur consommation est nécessairement contrainte. De manière générale, le taux de chômage très bas en Allemagne cache une part importante de bas salaires et de temps partiels qui sont entretenus par la flexibilisation du marché du travail et réduisent ainsi la prise de relais de la consommation dans la croissance.
Enfin, l’industrie allemande est menacée d’accumuler du retard sur le plan technologique. Les investissements en équipement restent insuffisants pour faire face à ceux, chinois, dans des domaines clés que sont notamment l’électromobilité et l’intelligence artificielle. Si l’Allemagne vient à rater le train de cette révolution, les conséquences seraient désastreuses compte tenu de l’importance des sous-traitants locaux de cette industrie. Le risque est même plus global. Avec sa stratégie « made in China 2025 », Pékin accompagne la transition de l’économie chinoise : une industrie haut de gamme capable de répondre à son marché intérieur. Une stratégie qui attaque de front les marchés allemands.
Dès lors, l’Allemagne se retrouve face à des choix délicats. Jusqu’ici, la Chine était plutôt perçue comme un allié pour deux raisons : elle défendait le libre-échange contre les tentations protectionnistes des Etats-Unis et elle permettait à l’Allemagne de ne pas relancer sa propre économie, mais de profiter de la relance chinoise. Cette stratégie a ses limites : au fil des relances chinoises, Pékin a renforcé l’investissement public, réduit l’avance technologique allemande et… la demande de produits allemands. La question est désormais de savoir si l’Allemagne doit se montrer plus offensive en envisageant une nouvelle politique industrielle.
Déjà, le ministre des Finances a proposé une « Stratégie nationale industrielle 2030 » prévoyant un changement radical de stratégie du gouvernement fédéral : protéger les entreprises allemandes contre les offensives chinoises, enfermer une partie de la chaîne de valeur dans l’UE aux importations extérieures à l’UE, de créer des « champions nationaux » et de soutenir avec des fonds fédéraux les secteurs de « grande importance économique ». De manière complémentaire, pour stabiliser sa croissance et moins dépendre de l’extérieur, l’Allemagne devrait relever davantage les salaires et renforcer les transferts sociaux. Cette politique permettrait de dynamiser la consommation des ménages et de compenser les trous d’air de la demande mondiale. Mais, ceci signifierait modifier le modèle allemand.
La question du « comment ? » reste ouverte. Les résistances sont fortes à toute idée de relance keynésienne outre-Rhin et l’on préfère réclamer une baisse du taux d’impôt sur les sociétés, ce qui permettrait de maintenir, en partie, l’illusion du modèle actuel. Ce serait un pari : relancer la concurrence fiscale en Europe tout en limitant la capacité d’action de l’État. Le tout, sans certitude que les profits supplémentaires des entreprises se traduiront par des investissements et/ou des hausses de salaire.

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