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Semaine à haut risque pour Emmanuel Macron : les trois erreurs qu’il risque de ne pas avoir le temps de corriger
©FREDERICK FLORIN / AFP

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Les élections européennes vont se jouer comme un référendum pour ou contre Macron. Et à ce jeu-là, il risque de perdre, en emmenant l’Europe avec lui.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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La descente aux enfers du président français depuis un an restera une énigme. Les analystes politiques débordent d’imagination et d’outils techniques pour nous expliquer les raisons profondes de ce déclassement dans les sondages : situation économique, colère chronique des gilets jaunes, retournement de l’environnement international, crise de la mondialisation... Tout cela est vrai mais n‘explique rien. Le métier de président de la République et son devoir étaient d’assumer la situation, son évolution et ses vibrations, comprendre et expliquer la situation internationale. Son métier était d’écouter les gilets jaunes et de leur répondre au plus vite. Son job était de prendre en compte la situation économique. Son devoir était d’accompagner les évolutions socio-culturelles.

Par les temps qui perturbent autant l’Union européenne, il faut obligatoirement lire ou relire Machiavel : « la politique a deux fonctions, écrit-il, la première est d’accéder au pouvoir et d’y rester, la seconde est de gérer la cité. Mais en réalitéce sont des deux facettes d’une seule et même ambition. La politique a pour but d’optimiser l’efficacité de l’action du prince, pour le bien du prince et par conséquent, pour le bien du peuple, dit encore Machiavel. Si un gouvernement obtient des résultats, il sera conforté par le peuple. Si le prince fait ce qu’il a promis de faire ou alors s’il en est empêché et qu‘il explique clairement pourquoi, il sera compris et protégé ».

Quand Machiavel parle du Prince, il parle de tous les princes, princes de sang, princes d’armes ou princes élus par des processus démocratiques et même ceux qui pensent s’inspirer de Jupiter. L'essence du pouvoir change les conditions d'accès au pouvoir, mais ne change guère les conditions d'exercice du pouvoir. Les principes de Machiavel s’adressent aussi bien au roi, qu’à l’empereur ou au président élu. Il s’adresse aussi aujourd’hui au chef de l’entreprise. Aucun pouvoir n’est acquis définitivement, sauf peut-être celui d’un artiste et c’est pour cette raison que Machiavel a tellement aimé la Renaissance. Malraux disait la même chose sur le pouvoir de l’artiste « qui appartient à l’ordre du divin ».

Nicolas Machiavel n’a pas été seulement cet intellectuel de Florence, il est aussi passé à l’action. Quand il entre au service des Médicis en 1514, après la sortie de son livre Le Prince, il a parfaitement compris l’ambition de cette famille qui était une des plus riches d’Europe. Il s’agissait de prendre le pouvoir à Florence et de contribuer à l’unification de l’Italie. Mais pour cela, il fallait faire émerger la culture de la république, diffuser les idées de la Renaissance. Les Médicis ont consacré leur immense fortune acquise dans la banque contre la pression du pape pour financer les intellectuels et les artistes qui feront la renaissance, puis l’émergence des idées modernes. On est loin des petites combines politiciennes et des jeux de pouvoir « machiavéliques » pour reprendre cet adjectif assez péjoratif tiré de son nom, entré dans le dictionnaire avec cette connotation qui est loin de sa réalité. Peu importe ? 

On a peine à réaliser aujourd’hui en France pourquoi un homme aussi brillant, intelligent et jeune qui a pris le pouvoir contre tout le monde parce qu’il avait pressenti qu’un vieux monde s’effondrait sous le poids de la révolution technologique et de la mondialisation ait pu commettre de telles maladresses qui le font trébucher.

Machiavel, encore lui, disait (repris par Raymond Aron qui n’aimait guère pourtant le Florentin) qu’« il ne suffit  pas d’avoir les qualités pour accéder au pouvoir, encore faut-il avoir les qualités pour exercer et conserver le pouvoir. »

Emmanuel Macron a commis trois séries d’erreurs qui seront difficilement réparables sans une légitimation du projet.

La première erreur aura été de ne pas prendre en compte le besoin de liberté individuelle et de désengagement de l’État. E. Macron a été élu sur un diagnostic de la situation économique juste, mais il ne l’a pas expliqué et n’a pas proposé une politique économique qui aurait pu correspondre totalement à la situation. Donc il n’a pas provoqué un choc capable de générer des résultats rapidement. En retenant que la France souffrait d’un déficit de compétitivité, il n‘a fait que reprendre les analyses mille fois faites par les experts de la droite libérale et même ceux du centre gauche. Il fallait dont mettre le paquet sur la politique de l’offre et libérer toute l’énergie possible afin de booster l’innovation, la création de valeur, l’esprit business. Emmanuel Macron a commencé par la fiscalité du capital et par la règlementation du travail mais il n’a pas été au bout de sa logique. Il s’est enfermé dans une logique budgétaire, qui était assez incompréhensible et qui pouvait même faire douter de l'efficacité de son projet. Il y avait (il y a toujours) une forte aspiration à la liberté individuelle dans ce pays.

La deuxième erreur aura été de ne pas proposer très rapidement un projet d’approfondissement de l'Union européenne. Il avait certes le projet, il en connaissait la nécessité mais il s’est laissé enfermé par les exigences allemandes alors qu’il aurait fallu négocier des accords de liberté avec eux. Il s’est laissé piéger par des contingences comptables alors qu’il aurait fallu dessiner les chemins d’un nouveau rêve. Comment réveiller les foules par un critère de Maastricht ? Il a par ailleurs accepté la critique d’une Europe trop prenante, trop accaparante, alors que c’est l’inverse. L’Europe n’a pas trop de pouvoir, elle n’en a pas assez...Et quand on laisse dire aujourd’hui, qu’en dépit du referendum sur la réforme de Maastricht, la France s’est arrangée pour tourner le dos aux résultats, c’est complètement faux. La réforme refusée par référendum proposait un exécutif européen pour deux ans, la réforme mise en place a installé un pseudo exécutif tournant pour une durée de six mois, ce qui le rend complètement impuissant.

La troisième erreur a été de ne rien faire pour reconstruire des corps intermédiaires et des contre-pouvoirs. Il n‘y a pas plus d’oppositions politiques à droite comme à gauche que d’oppositions syndicales. Les syndicats n’ont jamais été aussi peu représentatifs et utiles qu‘aujourd’hui. Du coup, le système sans contrepouvoir s’inscrit dans des logiques de conflit permanent, alors qu’il devrait fonctionner dans des logiques de compromis.

On reproche à Macron d’avoir détruit les contre-pouvoirs et accéléré le « dégagisme » à tous les étages de la société. La réalité est que les contre- pouvoirs se sont autodétruits au cours des 20 dernières années. La crise de 2008-2009 leur a assenés le coup de grâce. La gauche s’est effondrée, asphyxiée toute seule, incapable d’apporter des réponses cohérentes et partagées. La droite s’est éclatée et est discréditée.

Les syndicats se sont également autodétruits et ils ont complètement oublié qu’ils devaient eux aussi faire des offres désirables. Les syndicats ne sont pas protégés du syndrome Machiavel. Le prince syndical ne tient pas son pouvoir à vie. Il doit lui aussi prouver son utilité au peuple. Il n’y a sans doute que Laurent Berger, patron de la Cfdt, à avoir relu Machiavel. Le seul à avoir prospérer est surement le pouvoir entrepreneurial quand il a eu l’intelligence de prendre en compte le désir des clients consommateurs, de comprendre l‘état des salariés et les objectifs des investisseurs.

Alors Emmanuel Macron n’avait pas à reconstruire des contre-pouvoirs politiques, administratifs ou syndicaux, ça n’est passon job. Mais il aurait pu simplement créer les conditions pour que les contre-pouvoirs puissent exister.

Il ne l’a pas fait. Il se retrouve seul et désarmé.

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