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Révolution et règle des 3,5% : comment une minorité peut changer le monde
©FREDERICK FLORIN / AFP

Avis aux Gilets jaunes ?

Selon un ouvrage publié en 2011 par Erica Chenoweth et Maria Stephan, intitulé Why Civil Resistance Works, les manifestations qui ont le plus de chance d'amorcer des changements socio-politiques sont les manifestations pacifistes qui engagent un seuil de 3,5% de la population.

Olivier Fillieule

Olivier Fillieule

Olivier Fillieule est sociologue du politique, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (Centre de recherches politiques de la Sorbonne, CRPS Paris I Sorbonne).

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Atlantico: Malgré les divergences quant au nombre de participants aux manifestations des Gilets jaunes, cette manifestation a en tout et pour tout réuni plus de 3,5% de la population française. Est-ce à dire qu'elle façonnera la politique mondiale dans les prochaines années ?

Olivier Fillieule : Il faut rester très prudent face aux résultats de Why civil resistance works. Ce qui y est présenté comme lien causal se limite en fait à l'établissement de corrélations, qui plus est à partir de données agrégées de mauvaise qualité et dans une perspective comparative qui traite sur le même pied des situations socio-politiques extrêmement variées. Mais surtout, c'est une illusion totale de s'imaginer pouvoir bâtir des modèles prédictifs à propos d'événements par essence imprévisibles. Il en va ainsi des mouvements sociaux, des révolutions etc.

Le nombre de manifestants jetés dans la rue par un mouvement n'est qu'un indicateur, parmi d'autres, du succès d'une lutte. Dans le cas des gilets jaunes, qui n'ont jamais mobilisé des foules immenses, ce qui prime me semble-t-il, pour en apprécier l'impact futur, c'est sa durée inédite (plus de six mois…), sa base militante extrêmement hétérogène et le soutien incroyable de l'opinion, même après la violente campagne de dénigrement dans la presse et à la télévision, et les violences qui ont marqué les manifestations partout en France.

Certaines manifestations pacifistes comportent parfois des dérives violentes : c'est le cas des Gilets jaunes. Pourquoi les manifestations sociales génèrent-t-elles si fréquemment des violences et quelles conséquences peuvent avoir ces dérives violentes sur le mouvement initial ?

Il faut savoir de quelles violences on parle.

Du côté des violences manifestantes, plusieurs facteurs peuvent jouer: parfois la violence est une stratégie revendiquée, par exemple pour la mouvance autonome, que ce soit par goût du jeu ou au nom de calculs, souvent naifs, visant à révéler la violence d'Etat en la provoquant. Mais le plus souvent la violence survient lorsque les manifestants ne sont pas entendus par les destinataires des revendications. En France, Où par ailleurs le seul moyen de se faire entendre entre deux élections est le recours à la rue, faute d'instruments de démocratie semie-directe, la tradition veut que les pouvoirs publics ne commencent à répondre aux revendications qu'à partir du moment où l'ordre public est troublé. Il y a donc dans ce pays une vieille habitude d'avoir recours à la violence, plutôt contre les biens que contre les personnes, pour se rendre visible et se faire entendre. Tous les grands mouvements du monde agricole sont ainsi passés par le recours à des formes parfois tout à fait importantes, de violences contre les biens, qu'il s'agisse de biens publics ou privés. Enfin, la violence manifestante est très souvent le résultat de l'expérience d'une répression parfois incomprise dans ses modalités, parfois féroce et inexcusable.

Du côté de l'autorité civile et des forces de l'ordre, le recours à la violence peut être le produit d'une situation légale de légitime défense, d'une volonté délibérée des pouvoirs publics de vouloir faire mal pour stopper un élan mobilisateur et parfois de manquements individuels.
Dans le cas du mouvement des gilets jaunes, la violence policière s'explique par ces trois facteurs. Et je serai tenté de conclure que la violence des gilets jaunes est d'abord le produit d'une gestion politique que j'estime avoir été calamiteuse. Notamment parce que l'autorité civile, au plus haut niveau, a clairement annoncé qu'elle couvrirait tous les manquements à l'éthique professionnelle et s'y est effectivement employée.

Si 3,5% de la population suffit à bousculer un système, quel est l'impact des manifestations qui n'atteignent pas ce seuil ? Jusqu'à quel degré de désordre social peut se maintenir un système ?

Sur le premier point, je crois qu'il faut oublier ce chiffre, anecdotique et certainement pas prédictif, de 3,5%. Pour ma part, j'ai essayé de montrer en travaillant sur des séries longues de manifestations recensées par les brigades de voie publique en France (entre 1966 et aujourd'hui), que les chances de succès d'un mouvement sont liées certes au nombre, mais aussi à beaucoup d'autres facteurs, en premier lieu les niveaux de soutien de l'opinion, le trouble apporté à l'ordre public et partant le blocage de flux de circulation ou d'échange. Il s'agit donc d'une alchimie complexe irréductible à quelques facteurs immuables. Les exemples de mobilisations massives qui ne débouchent sur rien sont légion. Que l'on songe seulement au mouvement contre la loi travail qui n'aura rien obtenu.

Quant au degré de troubles qu'un système politique peut supporter avant de s'effondrer, là encore, il n'y a pas de réponse simple. Dans un pays comme la France, dont les institutions sont démocratiques, on voit bien comment depuis en tout cas 2005 les libertés publiques se sont raccornies au profit d'un système de plus en plus autoritaire et intolérant à la contestation, pour semble t il aujourd'hui prendre la voie d'un autoritarisme sans fard qui nous éloigne d'un fonctionnement réellement démocratique au profit d'une dérive autoritaire qui fait de plus en plus penser au second Empire. A contrario, le régime tunisien, dont tant d'experts s'accordaient à décrire le verrouillage et la solidité, s'est effondré comme un château de cartes, contre toute attentes. Ce qui nous ramène à mon propos précédent. En matière de mobilisaitons sociales et de phénomènes révolutionnaires toute prédiction est au mieux une illusion, au pire une manipulation.

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