Voter pour changer, sauver ou abattre l’Europe ? L’énorme escroquerie intellectuelle de la campagne électorale européenne<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Voter pour changer, sauver ou abattre l’Europe ? L’énorme escroquerie intellectuelle de la campagne électorale européenne
©JOEL SAGET / AFP

Paradoxal

Les Européens s'apprêtent à voter pour les élections européennes sur des enjeux tels que l'écologie et l'économie, mais leur vote n'a pas vocation changer la structure fondamentale de l'Europe.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

Voir la bio »

Atlantico : Les Européens s'apprêtent à voter pour les élections européennes sur des enjeux certes importants tels que l'écologie, l'économie. La campagne s'articule autour de ces sujets. Pour autant, ce vote n'a pas vocation changer la structure fondamentale de l'Europe. Quelle influence a-t-il réellement sur ce changement de l'Europe auquel aspirent nombre d'électeurs ? Ne trompe-t-on pas les électeurs en faisant croire que l'UE peut être véritablement changée par ces élections européennes ?

Christophe Boutin : Commençons si vous le voulez bien par une, ou plutôt deux précisions. La première est que, pour nombre de ces électeurs que vous évoquez, les élections européennes ont fort peu d'intérêt. C’est ce que manifeste avec constance un taux d'abstention qui est classiquement le plus important de toutes les élections auxquelles sont conviés les citoyens français, mais aussi les autres citoyens européens. Nous verrons s’il en est autrement cette année, mais certains sondages évoquent en France 60% d’abstention.

La deuxième précision à donner est que, pour une part non négligeable des électeurs qui se déplaceront la semaine prochaine, il ne s'agira pas tant de voter sur l'Union européenne qu'en fonction de critères nationaux, et notamment, en France, pour ou contre Emmanuel Macron. Et le fait que ce dernier ait voulu apparaître, en interne en France, mais aussi, par une chronique diffusée à l'ensemble des Européens, comme le porteur d'un projet de renouveau de l'Union européenne pèsera moins que l’ensemble des problématiques apparues par exemple lors de la crise des « Gilets jaunes ».  

Vous évoquez ainsi la question de l’écologie. C'est Emmanuel Macron qui a choisi d’insister sur ce thème, pour tenter de donner un nouveau souffle à une campagne de LREM plombée par la faible popularité du Président au bout de deux années de pouvoir, par l'absence de relais suffisants dans l'opinion publique de ministres et députés qui sont, soit des transfuges, soit sortis de nulle part en 2017, et, bien sûr, par le choix de sa tête de liste, Nathalie Loiseau. Mais il n'est pas certain que ce thème apparaisse essentiel à tous nos concitoyens, y compris dans la question du rapport de notre pays à l’Union européenne, comparé à d’autres comme celles de l'identité, de la souveraineté, de l'indépendance. Elles ont été centrales, il y a six mois maintenant, lorsqu'est apparu le mouvement des « Gilets jaunes », et elles sont toujours présentes, comme l'est aussi, ne l’oublions pas, le traumatisme né de la gestion catastrophique de la crise migratoire par l’Union européenne.

En ce sens, le changement auquel aspirent les Français et simple : ils veulent plus de vraie Europe lorsqu'il s'agit de protéger leurs intérêts, dans les domaines de la défense, de l'immigration, de la lutte économique face à la Chine ou aux USA, et moins de cette Union européenne tatillonne qui fait crouler les États membres et leurs citoyens sous des réglementations toujours plus détaillées et toujours moins utiles, niant ainsi ce principe de subsidiarité qui était pourtant essentiel. Moins, par exemple, de cette Union qui permet entre les États membres cette concurrence permanente du moins-disant social qui porte de graves coups à notre économie.

Dans ce cadre, la question se pose effectivement de savoir si le Parlement européen serait à même d'amorcer des changements importants de structure de l'Union européenne. La réponse est bien évidemment non : de tels changements passent par la volonté des États qui s'exprimerait par la modification des traités européens. Pour autant, il ne faut pas négliger certaines possibilités d'action du Parlement européen. Bien sûr, il ne propose pas les textes, puisque c'est le monopole de la Commission européenne. Mais il a, d’abord, un rôle à jouer dans la nomination de cette dernière, puisqu'il valide sa composition, par deux votes, le premier concernant son président, après proposition par le Conseil européen, le second validant la composition de l'ensemble de la commission après avoir entendu les différents commissaires désignés par les États membres et répartis par le président de la Commission. Or on a vu précédemment des commissaires être refusé par le Parlement européen, comme en 2004 l’Italien Rocco Butiglione jugé être trop près du Vatican. Par ailleurs, le Parlement a fréquemment un rôle de co-législateur, votant les textes comme le Conseil des ministres et peut bloquer ainsi certains d’entre eux – mais non imposer ses propres choix, car la Commission a toujours la possibilité de retirer un texte qui, à la suite de modifications, ne correspondrait plus à ce qu’elle souhaitait imposer aux États.

Si le changement structurel de l'UE passe plus par l'élection du dirigeant national que des députés européens, ne faudrait-il pas envisager de présenter la campagne européenne non plus comme un référendum sur le pour ou contre l'Europe, ou sur la vision générale et symbolique de ce qu'est l'Europe, mais comme une plateforme de propositions législatives, ces dernières étant décisives pour tous les Européens ?

Pour les raisons que j'ai indiquées, il n’est pas plus cohérent de présenter la campagne des européennes comme une campagne « pour ou contre » l'organisation institutionnelle de l’Union européenne que « pour ou contre » les choix législatifs qui sont faits. En effet, même si le Conseil européen, qui réunit les chefs d'État et de gouvernement, donné une tonalité sur les grands choix, c’est bien à la seule Commission qu'il appartient de transcrire cela en faisant des propositions de textes, et non au Parlement. L'élection européenne ne changera donc pas la donne, sauf, comme je l'ai dit, à prendre en compte ici le vote opérée par le Parlement sur la composition de la Commission.

Il n’en reste pas moins que, nous l’avons vu, le Parlement peut amender et parfois bloquer certains textes, et que l’autre élément important du vote aux élections européennes consiste à répartir les pouvoirs en son sein. On sait que les députés n'y siègent pas par État d'appartenance, mais se répartissent dans des groupes politiques européens. On sait aussi que l'alliance de deux groupes, d’une part le Parti populaire européen (PPE), réunissant des élus de droite, centre-droit ou démocrates-chrétiens, et, d’autre part, le Parti socialiste et démocrate (S&D), lui clairement socialiste, permet actuellement à ces deux groupes, qui sont les plus importants et sont tous deux globalement favorables à « l’approfondissement » de l’actuelle Union, c’est-à-dire à son renforcement, un contrôle de tous les organes essentiels du Parlement européen.

Si lors de ces élections de 2019, devait monter un vote « eurosceptique », de droite comme de gauche, et si ces derniers, à droite et à gauche, s'alliaient dans des groupes cohérents, ou, au moins, acceptaient plus souvent de voter de concert, les choses pourraient peut-être partiellement changer. C'est d’ailleurs pour cet éventuel poids des « eurosceptiques », que les élus d’Emmanuel Macron pourraient s'inscrire dans un troisième parti politique européen, situé lui au centre de l’échiquier, entre le PPE et le S&D, le groupe de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE). Il y aurait alors une alliance centriste autour de trois partis, allant jusqu'à la droite classique d'un côté et à la gauche socialiste de l'autre, excluant les eurosceptiques « extrémistes ». La réédition en Europe de la tentative macronienne avec LREM.

Quels leviers restent-ils, en dernier ressort, aux électeurs pour réaliser ce changement fondamental ? 

On l’a vu, peser sur le seul Parlement européen pout conduire à gêner l’activisme de la Commission, mais sans parvenir à un vrai changement de perspective, et, en tout cas, pas à une reconstruction de l'Union européenne. On pourrait penser qu’après 2019, l'élection ultérieure, dans les parlements nationaux de chaque État membre, de représentants de partis eurosceptiques dopés par cette élection, leur permettrait de s’opposer aux dérives de l’UE, en votant des lois nationales contraires aux textes européens. Mais ce serait compter sans compter le poids des juges, du juge européen de la Cour de justice des communautés, bien sûr, mais aussi des juges internes - pour prendre le cas français du Conseil constitutionnel, de la Cour de Cassation pour l'ordre judiciaire et du Conseil d'État pour l'ordre administratif -, qui font tous primer le droit européen sur le droit interne, même postérieur, et veillent donc à ce que le législateur français ne puisse aller à l'encontre de l’ordre juridique voulu par la Commission.

Voulu par la Commission, mais aiguillée par le Conseil européen, et voté ensuite par le Conseil des ministres. Devenus ministres, chef de gouvernement ou parfois chef d'État, les représentants de partis « eurosceptiques », qui y siégeraient, pourraient donc peser dans les décisions de ces deux organes. Mais on rappellera cette fois que les décisions s’y prennent à la majorité, et qu’il faudrait donc une poussée « euosceptique » portant au pouvoir de tels partis dans un certain nombre de pays européens - plus ou moins grand selon le nombre de voix dont ils disposent respectivement dans ces votes -, une perspective qui n’est certes pas irréalisable, sur laquelle on peut exprimer des doutes dans les prochaines années.

Restera alors à ceux qui ne parviendraient pas à se faire entendre la seule solution qui vaille – encore qu’un doute plane toujours sur sa réalisation effective - : la sortie de l’Union européenne, soit à la suite du choix d’un gouvernement eurosceptique et de sa majorité parlementaire, soit à la suite d’un vote référendaire proposé par ce même gouvernement eurosceptique. Car en bloquant sciemment les autres possibilités d’évolution institutionnelle pour mieux préserver son processus de décision technocratique, l’Union européenne et l’oligarchie qui en dépend ne laissent finalement guère d’autres solutions.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !