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Se saisir du défi climatique pour bâtir le futur de l'Europe
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Tribune

Trois instruments économiques sont nécessaires : un pilote et une Autorité pour conduire la transition énergétique ; un cadre réglementaire pour réorienter les flux financiers ; un Plan d’investissement européen multiplié par trois, à 2.000 milliards d’euros.

Dominique Perrut

Dominique Perrut

Docteur en sciences économiques (Paris-1), chercheur indépendant à Paris, Dominique Perrut est l’auteur de communications, articles et ouvrages portant sur les intermédiaires financiers, la régulation et l’économie européenne (L’Europe financière et monétaire, Nathan ; Le système monétaire et financier français, Seuil, coll. Points).

Professeur associé des universités, il a enseigné l’économie européenne en France et en Europe (1992-2013). Il participe aux travaux de plusieurs Think Tanks et ONGs européens. Il est membre du Comité de pilotage de Confrontations Europe.

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Affaiblie par la crise financière, l’Europe est traversée par de nettes fractures économiques entre pays du Nord et du Sud. L’essor des partis populistes est en partie la conséquence de ces tensions. L’Union affronte un autre défi de taille, celui de la transition climatique. Ce chantier colossal doit constituer la voie du redressement de l’Europe. À la veille des élections européennes, à l’heure où la majorité dévoile ses priorités en ce domaine, les candidats devraient être jugés en bonne partie sur leur programme sur ce point. Après avoir envisagé ci-après les termes de la transition climatique et les réponses de l’Union, nous définirons ce que devrait être une feuille de route pour la prochaine législature[1].

Une économie européenne atone face au défi climatique.

Mal remise de la crise de 2008, en retard sur les États-Unis, l’Union doit relever son potentiel de croissance pour éviter l’enlisement dans une stagnation séculaire. Aujourd’hui insuffisant, notamment dans l’innovation et les infrastructures, l’investissement doit être le moteur de cette relance. La transition énergétique, qui exigera des montants de capitaux considérables, peut-être l’axe de la reprise européenne, mais se heurte à de redoutables obstacles.

Outre les risques humanitaires et politiques liés aux migrations massives, on compte trois risques financiers liés au climat[2] : le risque de catastrophe, lié à la dégradation climatique (cyclones, inondations) ; Le risque de transition, où des dépréciations brutales d’actifs liés aux énergies fossiles, peuvent entraîner des crises financières ; le risque de contentieux, enfin, résultant de la multiplication des actions en justice contre les responsables d’accidents climatiques[3]. Par ailleurs, la nécessaire transition se heurte à un obstacle politique, celui de la tragédie des horizons, résultant du fossé séparant l’horizon très court du mandat des responsables politiques et les conséquences à long terme de leur éventuelle inaction, qui pèserait sur les générations futures, alors qu’il pourrait déjà être trop tard.

Autre obstacle, le changement de modèle énergétique exigera des investissements massifs, égaux au montant d’une année du PIB mondial. Rappelons de plus que la transition, qui intégrera les technologies digitales, devra aussi répondre aux questions de l’exclusion et de la pauvreté, qui risquent d’être aggravées par ce processus.

Face à la menace climatique, la communauté internationale a mis en place un cadre d’action comprenant, tout d’abord, l’Accord de Paris sur le climat de 2015 et les Objectifs de développement durable de l’ONU à l’horizon 2030 ; ensuite, le Plan d’action énergie et climat pour la croissance, défini par le G20 en 2017 ; enfin, les recommandations du Conseil de stabilité financière, en juin 2017, portant sur les informations que les entreprises devraient fournir sur leur situation face au questions climatiques. D’ores et déjà, de nombreux responsables économiques ont proclamé leur intention d’adopter ce référentiel.

Les réponses européennes : le programme énergie et climat et le Plan d’investissement.  

L’Union a pour objectif de réduire de 40 % les émissions de CO² à l’horizon 2030, par rapport à 1990, et de parvenir en 2050 à la neutralité climatique. Après l’Accord de Paris, la Commission a proposé une Union de l’énergie dans le cadre du Programme énergie et climat de 2014. Chaque État membre devait avoir remis à la fin 2018 son Plan national afin de fixer les objectifs européens pour 2030 et la stratégie pour 2050 en vue de la Convention de l’ONU de 2020. Par ailleurs, le Plan d’action « Financer la croissance durable » de mars 2018, propose un cadre réglementaire pour progresser vers une économie bas carbone.

Le Plan d’investissement[4], mis en œuvre pour la période 2015-2027 afin de relancer l’investissement dans l’Union, en lourde chute depuis la crise financière, doit jouer un rôle central dans la transition énergétique. Ce programme vise des investissements stratégiques à l’échelle européenne, notamment dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Inspirée par la vision internationale qui prévaut aujourd’hui, la logique du Plan consiste à attirer par un effet multiplicateur très important (de l’ordre de 15), de gros volumes de capitaux, publics et privés, vers des projets à valeur ajoutée européenne, ceci à partir d’un engagement public limité, sous forme de garantie, passant progressivement de 21 Mds€ à 47 Mds€. Cet effort financier public fait intervenir le budget de l’Union, la Banque européenne d’investissement et prochainement des banques de développement nationales. Les Etats membres ont aussi été invités, sans succès jusqu’à présent, à se joindre à la mise de fonds initiale.

Ce Plan, qui exprime une volonté nouvelle de politique industrielle, devrait totaliser, sur l’ensemble de la période 2015-2027, 1.150 Mds€ d’investissements, soit environ 8 % du PIB actuel de l’Union, dont un tiers dans la transition, soit 400 Mds€. Ces montants, certes élevés, restent cependant très en deçà des besoins de la transition, estimés, on l’a vu, à un an de PIB, soit 13.500 Mds€[5], soit 900 Mds€ par an pendant 15 ans.

Un pilotage doublé d’un Plan d’investissement renforcé pour conduire la transition

Un régulateur et un pilote. C’est au Conseil européen qu’il revient de définir la stratégie à long terme en matière de transition. Pour mener à bien celle-ci, une Autorité de régulation pour la transition devrait être instaurée par un règlement de l’Union. Chargée de veiller, au nom de l’intérêt général, sur l’environnement, cette instance serait, de par sa vision à long terme et son indépendance à l’égard du pouvoir politique, en position de dépasser l’obstacle de la « tragédie des horizons ». Elle surveillerait le respect des engagements pris par les États membres et disposerait le cas échéant, d’un pouvoir de sanction.

Par ailleurs, composé de responsables publics, d’experts et de financiers, un Comité de pilotage devrait être mis en place pour fixer les grands axes du Plan d’investissement et de la transition, tout en identifiant les grands projets prioritaires[6]. Le Plan deviendrait ainsi un véritable outil de politique industrielle[7].

Un cadre réglementaire pour réorienter les flux financiers vers la transition. L’essentiel des investissements dans la transition proviendra du secteur privé. Il s’agit donc de créer, dans l’Union, selon le cadre défini par les organisations internationales[8], un corpus de règles et d’outils, en matière comptable, prudentielle, financière et fiscale, apte à réorienter les investissements des actifs bruns vers les actifs durables.

Quant à l’information et au cadre comptable des entreprises, il s’agit d’établir des règles harmonisées, applicables à toutes les entreprises, relatives aux risques et opportunités climatiques qu’elles connaissent.

Les banques centrales, de leur côté, pourraient : prendre en compte les risques financiers d’origine climatique dans leur politique macro-prudentielle ; soutenir les marchés de titres tels que les obligations vertes ; aménager, enfin, les règles prudentielles imposées aux banques pour répondre aux exigences du développement durable[9].

Des instruments financiers sont par ailleurs nécessaires pour réorienter l’épargne vers les investissements verts. Il peut s’agir d’actifs durables titrisés pour les marchés des capitaux, du développement du capital-investissement durable, ou encore de l’application des Fin-Tech aux projets durables.

La question de la fiscalité environnementale doit être repensée autour de trois axes : l’arrêt des subventions aux énergies fossiles, entamé depuis 2009 dans le cadre du G20 ; le soutien aux énergies propres, par des taxes environnementales et des tarifs préférentiels pour le rachat des énergies renouvelables ; une redéfinition de la taxe carbone pour en faire un instrument stable et efficace de la transition, en mettant fin à sa grande volatilité en raison des manipulations des États.

Le Plan d’investissement doit être démultiplié, par un élargissement de son assise publique. Dès l’origine du Plan, on l’a noté, il était prévu que les Etats membres puissent contribuer directement au Plan, via le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS)[10]. Ceux-ci n’ont pas saisi cette opportunité. Il s’agit maintenant d’organiser un réseau d’Etats membres décidés à s’engager directement en capital dans le Plan, pour doubler ou tripler sa base publique, afin de faire jouer l’effet multiplicateur attendu sur une bien plus grande échelle. Avec une masse critique de 1.500 à 2.000 Mds€ le Plan fournirait une impulsion décisive, à la hauteur de l’enjeu[11].

Défi politique, technique et financier considérable, la transition énergétique se présente aussi comme une opportunité unique de redresser une économie européenne anémiée et souffrant de fractures internes. Les responsables de l’Union devraient cette année confier à la nouvelle Commission une feuille de route pour la transition comportant : la création d’une autorité de régulation et d’un comité de pilotage du Plan ; la mise en place, déjà entamée, d’un cadre réglementaire pour réorienter les flux financiers en direction des projets verts. De pair, les États membres devraient s’engager financièrement dans le Plan pour que cet outil efficace joue un rôle majeur, à la hauteur de l’enjeu climatique. L’Union est en position de prendre le leadership mondial de la transition, tout en donnant un élan nouveau à son économie. Ce faisant, l’Europe pourrait chercher des alliances avec d’autres zones pour mettre en place les futures normes internationales en matière de climat. Ce serait une parade efficace face au risque de domination de la planète par deux superpuissances, la Chine et les États-Unis, imposant des situations de fait. Ce serait aussi la meilleure réponse aux eurosceptiques. C’est sur cette feuille de route que les électeurs devraient aujourd’hui interpeler les candidats aux élections européennes.


[1] Cet article est tiré d’une étude récente de l’auteur : D. Perrut, « Se saisir du défi climatique pour bâtir le futur de l’Europe », Question d’Europe n° 500, janvier 2019, Fondation Robert Schuman

[2] M. Carney (2015), Breaking the Tragedy of horizons ; (2018), A transition in thinking and action, 6 April.  

[3] En janvier et février 2018, par exemple, les villes de New York et Paris ont assigné en justice plusieurs compagnies pétrolières pour leur rôle dans le changement climatique.

[4] Le Plan d’investissement (ou Plan Juncker), lancé à la fin de 2014, se déroule selon trois phases : 20156-2017, 2018-2020 et 2021-2027, avec le mécanisme InvestEU à négocier dans le prochain budget.

[5] PIB de l’Union à 27 en 2018.

[6] M. Aglietta (dir.), 2018, « Transformer le régime de croissance », CEPII. Conclusion générale.

[7] La mise en place d’un tel comité de pilotage est esquissée dans la prochaine phase du Plan, définie par le projet de règlement sur InvestEU de juin 2018.

[8] Citons notamment l’Unep de l’ONU, le G20, le Conseil de stabilité financière et l’OCDE.

[9] Notamment : - en intégrant le risque climat dans la politique de gestion des risques des banques ; - et en recalibrant les obligations réglementaires portant sur le capital en fonction de la nature durable ou non des opérations concernées.

[10] « Les États membres auront la possibilité directement ou par l’intermédiaire des BDN (…) de contribuer au Fonds au moyen d’apports de capitaux »… »Les investisseurs privés peuvent également se joindre au Fonds ». Un plan d’investissement pour l’Europe, COM(2014) 903 final.

[11] Pour la période 2021-2027, le projet InvestEU (3ème phase du plan d’investissement) prévoit un objectif de 650 Mds€ d’investissements, à partir d’une base publique de 47 Mds€. Un triplement de cette base de par l’intervention des États, permettrait de vise un objectif de 1.950 Mds€.

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