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Nouveaux venus (de la gauche comme de la droite) à l’Elysée : nouvel équilibre politique ou trompe l’œil ?
©PATRICK KOVARIK / AFP

Entourage

Jérôme Peyrat, ex-directeur général de l'UMP sous Nicolas Sarkozy, vient d'être recruté à l'Elysée comme conseiller politique. Il rejoindra l'équipe de conseillers rassemblée autour de Philippe Grangeon, ancien collaborateur de diverses personnalités du Parti Socialiste, et travaillera avec Maxence Barré, ancien membre du MJS.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Jérôme Peyrat, ex-directeur général de l'UMP sous Nicolas Sarkozy, vient d'être recruté à l'Elysée comme conseiller politique. Il rejoindra l'équipe de conseillers rassemblée autour de Philippe Grangeon, ancien collaborateur de diverses personnalités du Parti Socialiste, et travaillera avec Maxence Barré, ancien membre du MJS. Emmanuel Macron a-t-il réussi une véritable synthèse politique entre les divers courants d'où sont issues ces personnalités ? Ou est-ce un faux équilibre ne reposant pas sur un véritable alliage politique ?

Jean Petaux : On peut répondre que les deux hypothèses ont leur propre pertinence et conviennent toutes les deux. Parce qu’elles ne sont pas contradictoires. D’une part elles correspondent bien à la logique du « en même temps » chère à Emmanuel Macron et d’autre part parce qu’il n’y a pas vraiment d’équilibre dans cet alliage macronien puisqu’il s’agit plus d’une démarche pragmatique que d’une philosophie politique. Ce quje vous mentionnez dans votre question rentre bien dans le schéma du discours présidentiel : « Je suis et de droite et de gauche ». En réalité on sait ce qu’il en est advenu. Après 18 mois d’une présidence où, selon la formule consacrée, « En Marche » avait surtout fait fonctionner la « jambe droite », depuis la première réponse aux « Gilets Jaunes », le 10 décembre 2018, la « jambe gauche »  semble avoir complètement effacé la « droite » au point que Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, qui incarne en quelque sorte « la jambe gauche », peut dire ce matin dans les colonnes du Parisien Dimanche : « Avec 17 milliards redistribués je considère que le « compte social » y est désormais ». Cette anecdote de la nomination de tel ou tel conseiller dans l’équipe élyséenne s’inscrit pleinement dans cette sorte d’équilbre. Mais elle me semble signifiante à un autre titre : s’intégrant au « pôle » dirigé par Philippe Grangeon, expert en dialogue social, proche de la CFDT, l’un des rares à avoir maintenu des contacts avec les corps intermédiaires et les relais sociaux, surtout pendant la crise récente, aussi bien Maxence Barré que, surtout, Jérôme Peyrat ont une expérience politique et organisationnelle réelle. Peyrat, personnage haut en couleur, maire de la Roque-Gageac, magnifique petit village de caractère surplombant la Dordogne, est un vrai organisateur et homme d’appareil. Il a été, auprès de Chirac et de Juppé, puis de Sarkozy, un directeur général du RPR et de l’UMP très méthodique. Sympathique, drôle, truculent, n’ayant pas sa langue dans sa poche, il a dirigé pendant quelques semaines la campagne régionale de la candidate LR alliée au MODEM et à l’UDI, Virginie Calmels, en Nouvelle-Aquitaine, à l’automne 2015. La relation entre la tête de liste et son directeur de campagne n’a pas tardé à se dégrader et à faire des étincelles. Elle lui reprochait son dilettantisme, il l’a vite considéré pour ses qualités réelles. En fait avec l’intégration de Jérôme Peyat dans son équipe élyséenne, Emmanuel Macron achète un carnet d’adresse auprès des élus locaux et une batterie de « capteurs », de « sondes Pito-litiques » qui s’avéreront très utiles dans la séquence électorale prochaine, celle des « Municipales 2020 », qui débutera dès le soir des « Européennes 2019 ». Il est vrai que par rapport aux « Petits marquis  élyséens » soi-disant « disrupteurs » qui constituaient la « garde rapprochée » du président jusqu’à ces dernières semaines, le changement semble, sur le papier, réel. Le foie gras et le confit de canard du Périgord contre les sandwichs clubs bios de la rue du Faubourg Saint-Honoré : si la France des territoires met les pieds au cœur de l’appareil d’Etat et court-circuite des puceaux politiques au degré zéro de la compréhension des phénomènes politiques, personne ne s’en plaindra.

La politique du Président peut-elle vraiment se construire sur des conseillers aux références aussi disparates ? Les repères droite-gauche ont-ils disparu à ce point ?

La politique du Président elle se construit, sous la Vè République, sur et à partir de ce que le Président décide et conçoit. Si les conseillers qui « murmurent » à son oreille ont un rôle, il ne faut pas l’hypertrophier d’une part et surtout considérer que le Président (surtout celui-là) serait, tel un personnage de Luigi Pirandello, « en quète d’auteur ». Emmanuel Macron n’est ni Ronald Reagan, ni Georges W. Bush Jr, ni Donald Trump, totalement sous la coupe de leurs conseillers, de leurs spin doctors et autres « influenceurs ». L’actuel président de la République, comme ses prédécesseurs, comme François Mitterrand qui le premier avec Antoine Riboud a contribué à construire cette image des « visiteurs du soir », dans les années 82-83, consulte, récolte des opinions, multiplie les contacts et est destinataire d’une pluralité de messages. Certains de ces « messagers » peuvent s’estimer plus écoutés (et donc entendus) que d’autres… Mais, en réalité, seul le Président lui-même serait à même de faire le tri entre les influenceurs et pourrait dire à qui, à quelle sensibilité politique, idéologique, il a prêté une oreille plus attentive qu’aux autres… Et il ne faut pas imaginer par exemple que ces influences  multiples (qu’à tort on pourrait qualifier de « droite » ou de « gauche ») le sont du fait du positionnement particulier d’Emmanuel Macron, comme on l’a dit dans notre précédente réponse. Sous ses prédécesseurs, y compris sous le plus illustre d’entre eux dont il a dit au petit-fils, lors des cérémonies du 8 Mai sur les Champs-Elysées, qu’il s’en inspirait, sous le Général de Gaulle donc, les influences multiples et variées se faisaient entendre. Il suffit de relire Alain Peyrefitte (« C’était de Gaulle ») ou les mémoire d’Edgar Pisani, celles de Michel Debré et mêmes les commentaires de Georges Pompidou dans la correspondance avec son fils Alain. Et le Général décidait, aussi, en fonction de ces entretiens. Un des plus beaux exemples est celui qu’a rapporté Lucien Neuwirth à propos de son échange avec le chef de l’Etat, en 1966, sur la légalisation de la pilule anticonceptionnelle en France…

Donc ce qui peut apparaitre disparate dans l’équipe élyséenne telle qu’elle se reforme avec un ancien responsable du MJS (il ne faut pas exagérer quand même l’importance de cette petite écurie, appendice caudale du PS, dont François Mitterrand (qui s’y connaissait en la matière) avait coutume de dire que « c’était l’école du vice ») d’un côté et un organisateur chiraquien de l’autre, n’est sans doute que l’addition d’expériences et de sensibilités convergentes au profit d’un seul homme : le président de la République. Si cela peut contribuer à améliorer la réception et la compréhension d’un certain nombre de signaux faibles en provenance de la société française, par une complémentarité de ces « sonars » ou de ces « capteurs » à même de percevoir des messages émis sur des longueurs d’onde différentes et sur des bandes passantes juxtaposées, ce sera tout bénéfice pour le locataire de l’Elysée…

Certains livres publiés ces dernières semaines ont montré comment les sarkozystes et les juppéistes ont progressivement intégré la macronie et ont changé son orientation. Cette nomination a-t-elle le même sens selon vous ? 

Je pense que c’est un peu compliqué que cela. Le meilleur indice est justement que certains maires qui étaient plutôt « Macron-compatibles » au début du quinquennat (évidemment Estrosi le maire de Nice, ou Robinet le maire de Reims, pour ne citer que les plus connus…) sont en train de revenir dans le « lit de LR » à la faveur des Européennes. Ce qui tendrait à prouver que tous les cadres, en tous les cas les plus ouverts, de LR ne sont pas en train de quitter le navire barré par le capitaine Wauquiez. Jérôme Peyrat, pour revenir à lui, n’avait, semble-t-il, pas payé sa cotisation à LR en 2018 déjà. Donc, d’une certaine façon il était dans une démarche comparable à celle de son illustre voisin, ex-maire de Bordeaux, Alain Juppé. La vraie question que vous posez est celle-là : quand une personnalité politique qui a eu un engagement dans son histoire militante ou ses mandats publiques antérieurs rejoint l’équipe présidentielle, transfère-t-elle son « background » (idéologique, politique, partisan) dans la nouvelle équipe au point de transformer l’orientation idéologique de cette dernière ou bien cette même personnalité se dépouille-t-elle de  ses « oripeaux » passés pour une conversion en bonne et due forme ? Il me semble, là encore, que tout est affaire de dosage. Tout est lié à la manière avec laquelle se fait le départ de l’ancien territoire idéologique et surtout tout dépend de la manière avec laquelle le « migrant » est reçu… Si c’est en tant que ministre des Comptes publics (Darmanin) ou  de l’Economie (Le Maire) il est évident que celui-ci va peser sur l’orientation politique compte tenu de son « poids » dans la nouvelle équipe. Encore que, même cette proposition se doit d’être relativisée : on a bien vu un certain ministre de l’Economie quitter, à la fin du mois d’août 2016, le « navire de Bercy » justement parce qu’il estimait qu’il ne pouvait pas assez peser sur la politique conduite par le président de la République d’alors… Il est vrai, me direz-vous, que c’était pour « s’établir à son compte »… Et non pas venir renforcer une autre équipe !

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