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France-Pays Bas, des alliés sans rien en commun ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Union européenne

Ce lundi, Emmanuel Macron recevait le Premier ministre néerlandais Mark Rutte afin de trouver des compromis sur l'avenir de l'Union européenne et d'en faire son principal allié dans les élections européennes qui se tiendront dans trois semaines.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Ce lundi 6 mai, Emmanuel Macron recevait à Paris le premier ministre néerlandais, Mark Rutte et a déclaré sur son compte twitter : "Heureux de recevoir ce soir à Paris Mark Rutte : nous nous battons ensemble pour l’Europe dans un moment décisif. C’est l’enjeu des élections européennes : construire ou détruire. Nous sommes du côté des bâtisseurs, nos pays ont besoin d’une Europe souveraine." Au regard des positions défendues par les deux pays, de l'immigration à l'économie, peut-on réellement parler de ligne commune alors qu'Emmanuel Macron semble présenter le gouvernement Rutte comme un allié principal ? 

Christophe de Voogd : Il faut d’abord souligner que cette rencontre importante a été un peu éclipsée par les annonces du même soir et au même endroit (l’Elysée) sur la biodiversité. Rencontre qui a aussi fait l’objet d’un tweet (en français !) de Mark Rutte soulignant le caractère « crucial et stratégique » du partenariat avec Paris pour une « UE forte »…Il y a donc un vif intérêt de part et d’autre. Il s’explique par plusieurs raisons : d’abord le courant passe bien entre les deux hommes, jeunes et dynamiques, proches des milieux patronaux (Rutte a travaillé chez Unilever, Macron chez Rothschild), et au parcours politique assez semblable: tous deux ont démissionné de leur ministère pour jouer leur carte personnelle avec le succès que l’on sait. Dix ans les séparent certes, mais Rutte dirige son pays sans discontinuité depuis 2010, à travers vents et marées économiques et politiques. De quoi forcer le respect (et inspirer ?) le président français. De plus, les deux hommes, tous deux grandes pragmatiques, voient l’Allemagne (alliée de la France) s’effacer du leadership européen et la Grande-Bretagne (alliée des Pays-Bas) sortir de l’Union. Il faut donc de part et d’autre se trouver de nouveaux partenaires. Or les Pays-Bas pèsent bien plus lourd que l’on ne croit en France : 5èmeéconomie de la zone euro, l’un des plus grands investisseurs internationaux et siège de puissantes multinationales, attirant de plus en plus d’entreprises fuyant le Brexit. Diplomatiquement, La Haye pèse aussi bien plus lourd que par le passé avec la (re) constitution (passée quasiment inaperçue ici) de ce que l’on appelle, en référence aux républiques marchandes du Moyen-Âge, « la ligue hanséatique » : dix pays d’Europe du Nord et de l’Est, dont les Néerlandais sont les chefs de file. Bref, de quoi être pris très au sérieux à Paris, qui de son côté se trouve isolé sur la scène européenne, avec les déconvenues italiennes et allemandes rencontrées par Emmanuel Macron.

A l'occasion d'une interview donnée au Financial Times, le ministre des finances Wopke Hoekstra s'interrogeait sur l'incapacité de l'UE ou de la zone euro à attirer des pays riches, comme la Suisse , la Suède ou le Danemark, tout en perdant le Royaume Uni. Comment mesurer une telle interrogation avec le discours de campagne défendu par Nathalie Loiseau, tête de liste des européennes pour LREM ? 

C’est en effet là que le bât blesse. Le ministre des finances néerlandais, Wopke Hoekstra, un chrétien-démocrate qui est une étoile montante dans son pays, est un orthodoxe absolu en matière budgétaire : il veut même conditionner les crédits européens au respect des règles du pacte de stabilité. Et l’on sait la fragilité française en la matière. Davantage, il s’oppose (avec la « ligue hanséatique » justement) à toute nouvelle intégration supranationale et notamment à un budget spécial de la zone euro : surtout si c’est pour venir en aide aux pays défaillants, comme le propose Paris. Hoekstra assume explicitement le rôle de contre-pouvoir à la France sur tous ses sujets. Or Rutte pense la même chose que lui sur ces questions. Idem pour la PAC et la politique régionale dont il veut réduire les crédits : casus belli pour les Français !

Au regard de ces différences, quel est le réel ciment qui unit les deux pays dans le contexte européen actuel ?

Le ciment tient d’abord à l’intensité des liens économiques: les investissements et les flux commerciaux de part et d’autre sont considérables. Air France/KLM en est le symbole : malgré les tensions, l’imbrication des intérêts force à la coopération. On l’a bien vu lors du dénouement de la crise récente provoquée par la montée soudaine de l’Etat néerlandais au capital de la compagnie. Coup d’éclat (dû au même Wopke Hoekstra) qui montre encore que ce « faux petit pays » est désormais totalement décomplexé dans le concert européen.

Le dialogue va donc être franc et difficile, mais les deux dirigeants ont aussi des projets et des intérêts communs : d’une part la transition écologique, mis en avant avec la même force par les deux dirigeants, qui vont d’ailleurs la porter ensemble aujourd’hui même à Sibiu au Conseil européen. De l’autre, la solidarité en matière migratoire, que les deux pays veulent imposer aux récalcitrants : ils veulent en faire une des conditions des aides européennes.

Les intérêt politiques internes sont aussi convergents : Mark Rutte comme Emmanuel Macron sont fortement concurrencés chez eux par les partis populistes. On connaît le duel LREM/RN en France ; aux Pays-Bas, le « Forum pour la démocratie » de Thierry Baudet, qui vient de gagner les élections provinciales, fait jeu égal avec le Parti libéral dans les sondages pour les Européennes. Pour contrecarrer ce rival, Mark Rutte tente de se rapprocher des écologistes, qui ont eux aussi le vent en poupe. D’où l’insistance sur les thèmes écologiques qui n’étaient pas du tout dans son logiciel initial. Décidément que de ressemblances troublantes…

Ce rapprochement franco-néerlandais est en tout cas passionnant à suivre : sa réussite est tout sauf garantie car notre imagination en matière de dépenses et d’institutions nouvelles, comme on le voit dans le programme de LREM, n’est pas du tout du goût des Néerlandais. Pas plus que la « convergence sociale et fiscale » (comprendre l’alignement sur les hauts niveaux de prélèvements français), totalement exclue par La Haye. Laquelle reste toujours aussi critique de l’indiscipline budgétaire de Paris et du retard de la réforme de l’Etat-providence que la réponse à la crise des gilets jaunes ne fait qu’accentuer. Reste l’ouverture probable de grands chantiers communs de coopération. En matière de défense, d’industries innovantes, de création de géants européens, les visions de part et d’autre sont désormais très proches. « Abandonnée » par Londres, inquiète des poussées hégémoniques russe et chinoise, désolée par les incertitudes américaines, la diplomatie néerlandaise fait de grands pas dans le sens d’une « Europe puissance » chère à la France. Mais pas à n’importe quel coût…

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