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Superstars ET super-riches : quand 1% des artistes captent 60% des revenus de l’industrie musicale
©KEVIN WINTER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

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Selon une analyse d'Alan Krueger, économiste de l'Université de Princeton, ancien conseiller de Clinton et d'Obama, récemment décédé, 60% des revenus générés par les billets de concerts vendus dans le monde ont été captés par 1% des artistes les plus riches. En 1982, ce chiffre était de 26%.

Françoise Benhamou

Françoise Benhamou

Françoise Benhamou est économiste, professeur à l'université Paris 13 et chercheur au CEPN.

Elle tient une chronique régulière sur Livres Hebdo et Rue89.

 

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Atlantico.fr : Cette domination du marché de la musique par les "nouveaux 1%" doit-elle inquiéter ?

Françoise Benhamou : Alan Krueger avait déjà fait une étude comme celle-là, il y a quinze ans. Il est le premier à avoir mis en évidence un double mouvement : l'accentuation - qui n'a fait que se prolonger - de ce star-system, et en même temps, le fait que pour les artistes de la musique les plus connus, les revenus provenaient de plus en plus de la scène et de moins en moins de la musique enregistrée. Ce mouvement de star-system s'est renforcé et il est bien-sûr inquiétant parce qu'on le retrouve dans une moindre mesure dans tous les pays, y compris en Europe ; cela veut dire que dans le partage de la valeur, qui est déjà difficile, certains artistes parviennent à tirer leur épingle du jeu tandis que la plupart des autres ne peuvent pas vivre de leur métier.

On s'est aperçu que l'économie numérique démultiplie l'offre mais qu'elle accentue en même temps la position dominante des artistes les plus cotés, parce qu'ils tournent en boucle sur les radios et qu’ils sont les plus recommandés sur les plateformes : les économies de réseau accentuent leur attractivité. On a longtemps cru qu'il y aurait des phénomènes de "longue traîne", mais l'apparition de petits artistes va de pair avec des stars qui sont de plus en plus adulées et « consommées ».

En quoi l'industrie musicale, qui a beaucoup évolué sous l'effet du streaming, est-elle différente des autres industries ?

Toutes les industries ont leur spécificité. L'industrie musicale marche sur deux jambes : la scène et la musique enregistrée. C'est la première industrie qui a été impactée - de manière très violente - par le numérique : elle a servi de laboratoire des effets du numérique. C'est une industrie dans laquelle les effets de réseaux sont très forts : ceux qui sont sur le haut du pavé le restent quasi-définitivement. Cela avait déjà été démontré par des économistes américains pour l'industrie du disque, mais c'est évidemment encore plus fort dans le monde numérique.

Avec le streaming, l'offre est quasi infinie. On s'était attendu à ce que cela aide à faire connaitre des artistes nouveaux. D'ailleurs les plateformes de streaming, bien qu'elles proposent en premier lieu dans leurs recommandations des artistes qu'on entend déjà le plus, font aussi des recommandations plus originales. Mais on voit bien que ça n'empêche pas un phénomène de concentration des revenus sur quelques-uns. C'est d'autant plus inquiétant que le streaming rapporte très peu : si vous n'avez pas énormément d'écoutes, vous ne gagnez pratiquement rien. Comme le streaming apparaît comme l'avenir de l'industrie musicale, car c’est grâce au streaming qu'on arrive enfin à faire payer les gens et à réduire le piratage, c'est vrai que le fait qu'on n'arrive pas pour autant à trouver le modèle économique qui fasse que les artistes puissent en vivre est assez inquiétant.

Dès lors que le streaming rapporte très peu de revenus aux artistes (il y a d'ailleurs eu des batailles, y compris chez les stars, pour essayer de négocier des contrats plus avantageux), les artistes ne peuvent trouver un avenir que dans une combinaison entre les différentes formes d’expression(le streaming, le disque, l'écoute à l'unité, la scène, les produits dérivés : ces différents éléments sont à la base des fameux contrats à 360 degrés que les labels signent avec les artistes).

En revanche, l'évolution de l'industrie musicale, notamment face au numérique, est riche d’enseignements pour d’autres industries. L’industrie musicale, au fur et à mesure qu'elle migrait vers lenumérique, créait en même temps de nouvelles occasions pour le live, pour le spectacle vivant, tout en assumant des phénomènes de concentration industrielle. On retrouve ce phénomène dans tous les domaines : par exemple, le commerce de détail a migré vers le e-commerce tout en maintenant la possibilité du click and collect : les gens vont dans les magasins pour récupérer les commandes effectuées sur Internet, notamment parce qu'ils aspirent à un contact humain. De même, la musique a beaucoup développé la réflexion sur les algorithmes de recommandations, que l'on retrouve dans toutes les autres industries.

Peut-on prédire l'évolution du marché de la musique dans les années à venir ? Quel avenir pour le disque, le streaming, les labels ?


C'est toujours difficile de prédire le futur. On peut en tout cas imaginer une consolidation de la consommation en format streaming et, progressivement, l'invention du modèle économique qui va avec, car aujourd’hui les plateformes de streaming atteignent très difficilement la rentabilité : elles sont assises sur un modèle assez paradoxal, puisque les abonnés les plus rentables sont les petits consommateurs et que ce sont les gros consommateurs qui acceptent de payer. Donc le modèle économique équilibré de l'industrie musicale est encore à inventer.

En revanche, on peut raisonnablement penser que le streaming continuera à se développer et que les artistes seront appelés à diversifier de plus en plus leurs sources de revenu, en travaillant peut-être pour d'autres industries, ou pour des commandes de plus en plus variées (la publicité, le cinéma, les séries télévisées).

Dans l'avenir, les festivals joueront certainement un rôle très important, plus encore qu’aujourd’hui. On peut aussi prévoir la montée de l'autoproduction par les artistes, avec des plateformes sur lesquelles les labels tenteront de repérer les nouveaux talents. Certes, les labels ont toujours essayé de promouvoir ce qui marche déjà. Mais en même temps, un label qui ne prend pas un peu de risque, qui ne va pas chercher de nouveaux projets, c'est un label qui est appelé à mourir. Ils sont donc voués à promouvoir un peu de diversité.

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