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Emmanuel Macron avait mis Keynes au placard des économistes has been. Le revoilà revenu par la fenêtre sous la pression des gilets jaunes.
©Bryan R. Smith / AFP

Atlantico business

Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, a raison de s’inquiéter. Le chef de l’Etat a juré qu‘il ne changerait pas de cap, mais en réalité, il a déjà changé de direction en répondant aux revendications des Gilets jaunes.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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De pro-business à la tête de la startup-nation, le président est peut-être devenu pro-étatiste préposé à l’accueil aux consommateurs. Quand on fait le compte de tout ce que le président de la République a annoncé lors de sa conférence de presse, comme aides et primes en tout genre, qu’on y ajoute ce qu‘il avait déjà mis en musique en décembre de l’année dernière, on s’aperçoit qu’il a dépensé plus de 17 milliards d’euros en faveur des ménages, sous forme de primes, prestations et de baisses d’impôts directs. Ce qui représente des hausses de pouvoir d’achat, donc de la consommation, dont on voit déjà l’impact dans les indicateurs macro-économiques pour 2019. Merci aux Gilets jaunes d’avoir sauvé les grands agrégats !

Quand on s’aperçoit que le gouvernement n‘a a priori aucun moyen sérieux de financer ces dépenses nouvelles, et que ça finira forcément par un financement par la dette, on est bien obligé de constater qu’on a changé le logiciel de la politique économique.

Le quinquennat d’Emmanuel Macron avait commencé par des réformes structurelles importantes destinées à redonner aux entreprises de la marge (baisse d’impôts sur les bénéfices, flat tax et suppression de l’impôt sur la fortune), de la compétitivité (réforme du travail notamment) et des promesses de réduction des dépenses de l’Etat.

Après presque deux ans de prescriptions pro-business appliquées à l’offre de production, la deuxième partie du quinquennat démarre aujourd’hui par un changement de direction avec une distribution massive de pouvoir d’achat.

Pratiquement toutes ces mesures répondent aux demandes multiples des gilets jaunes et aux revendications sorties du grand débat, elles ont donc été prises pour calmer la colère sociale et stopper ces manifestations utilisées par les casseurs pour paralyser la France une fois par semaine, depuis plus de 25 semaines et sans préjuger de l’avenir, il en ressort que les Gilets jaunes sont en voie de démobilisation.

En théorie, toutes ces mesures vont très rapidement se retrouver sur les comptes d’épargne si l’inquiétude ne se tasse pas, mais surtout, cette distribution va se retrouver directement pour payer des dépenses de consommation de produits importés.

Sans le dire, le chef de l’Etat a offert aux Gilets jaunes et aux autres une relance de la demande très importante. Plus généreuse que celle qui avait clôturé les évènements de mai 1968, le président de la République n’a jamais reconnu qu’il s’agissait d’une politique de la demande qui sera financée principalement par un accroissement du déficit budgétaire, c’est à dire par de la dette.

Au contraire, Emmanuel Macron a beaucoup insisté pour qu’on comprenne bien que « les fondamentaux de sa politique menée pendant les deux premières années seront préservés, poursuivis et intensifiés. Et pour en être sûr, il a rappelé le chantier de l'assurance chômage et celui des retraites ». 

John Maynard Keynes doit se retourner dans sa tombe et frétiller de bonheur que le président d’un des pays les plus puissants de l‘Union européenne soit obligé de lui emprunter sa trousse à outils. Quelle revanche du destin !

John Maynard Keynes est sans doute l’économiste le plus connu dans le monde, lui qui a toujours considéré le rôle de l’Etat régulateur et investisseur comme incontournable. Mais disons que, depuis la fin du 20° siècle, depuis l’ouverture internationale et la concurrence généralisée, la montée des libéraux au sein des équipes de gouvernement ont un peu ringardisé ses concepts et sa théorie générale.

On a effectivement ressorti son vieux rival oublié des étudiants et des professeurs d’économie, Joseph Schumpeter, pour qui il n’y a de création de richesses et de croissance que dans les économies d’offre, c’est à dire des économies fondées sur le rôle de l’entrepreneur et de l’innovation. Toute la révolution digitale avec le développent des GAFA et la multiplication des start-up et des applications venues ubériser la société s’est construite sur les concepts de Schumpeter.

Cette logique d’offre qu’Emmanuel Macron a imposé comme doctrine officielle en arrivant est désormais battue en brèche par l’action des gilets jaunes. C’est à dire la prise en compte des états d’âme et des comportements réactionnels, des hommes et des femmes pour lesquels on gouverne.

Les fantômes du keynésianisme ont donc repris le pas sur ceux de Schumpeter.

Du coup, le monde des entreprises qui espérait tant de cette reconnaissance du business et du marché, a des raisons aujourd’hui de s’inquiéter. On a fait un pas en direction des patrons, voilà qu’on recule en balançant l‘essentiel des aides du côté des ménages, des salariés et des services publics, donc des dépenses de l’Etat.

Le patron des patrons a très bien compris que, si on supprimait les niches fiscales pour financer les retraites à taux plein ou les primes défiscalisées, on allait ré-augmenter les impôts.

La niche fiscale étant par définition une exonération de l’impôt dans un but bien précis, si on ferme la niche, le chien qui la garde ne pourra que pleurer.  Il n’empêche que pour le chef d’entreprise, la fermeture de la niche produira le même effet qu’une augmentation d’impôts.

Mais si le gouvernement ne parvient pas à fermer les niches fiscales, ce qui est probable parce que la niche a une utilité particulière, on sait que le plan de relance sera financé à crédit.

Pour Keynes et ses fans, c’est du pain béni, et pur jus, puisque l’on considère que le moteur de la croissance est dans la dépense de consommation et que le financement de cette dépense est dans le crédit.

Toute la question est de savoir si cette équation permettra de redresser durablement l’économie du pays parce que cette équation keynésienne qui pouvait marcher à plein régime dans les années 50 au lendemain de la guerre, porte en elle aujourd’hui des débats collatéraux que les économistes connaissent bien.

1er Keynes ne règle pas la question de la compétitivité. Or, la compétitivité, c’est véritablement le maillon faible. L’argent mis en circulation se retrouve en consommation. Si l’économie est fermée comme c’était le cas après la 2e guerre mondiale, l’argent de la relance se traduit par une hausse de la consommation de produits fabriqués en interne, donc une hausse de la production entraine une hausse de l’emploi.

Si l‘économie est ouverte et si l’appareil de production nationale est faible, la demande va s’adresser directement à des fournisseurs étrangers et principalement les Chinois. En bref, la relance « gilets jaunes » va calmer les esprits, donner de l’oxygène aux consommateurs, mais va creuser le déficit extérieur du montant de la relance. Les seuls agents économiques qui vont en profiter appartiendront à la grande distribution qui importe l’essentiel de ce qu’ils vendent.

2e Keynes ne règle pas la question du financement. Puisque le pouvoir d’achat distribué est gelé pour partie en épargne et pour l’autre partie dans le déficit de la balance extérieure, cet argent n’est pas recyclé dans le système économique national producteur de richesses. Il enrichit les fournisseurs (les Chinois, les pays du Golfe etc.) qui pourront ainsi venir chez nous pour investir. C’est ce qu’ils ont déjà fait avec Pierre et vacances et avec le Club Med.

3e Keynes ne règle pas la question de la croissance à moyen terme créatrice de richesses et d’emplois. C’est l’entreprise qui crée de la richesse par son travail, son talent, ses idées et sa production. D’où les réformes de structure lancées par Emmanuel Macron au début de son quinquennat et le risque pris aujourd’hui de passer à côté. Le patron du Medef ne fait pas d’autre raisonnement quand il fait part au président de son étonnement à l’égard d’une politique qui se révèle à l’inverse de celle avec laquelle le quinquennat avait commencé.

Les gilets jaunes sur les ronds-points ont oublié l’entreprise. Ils ont attaqué les propriétaires, mais jamais les entreprises. Keynes se préoccupe plus de macro économie que de micro économie.

Keynes ne se préoccupait pas de l’entreprise, les effets des réformes n’avait pour lui d’importance que parce qu’elles se jouaient sur du long terme. « Et à long terme, disait-il, on sera tous morts ». C’est un peu ce qui se dit aujourd’hui dans les cercles du pouvoir où la seule préoccupation est de refaire partir le système. « A long terme nous seront tous morts. » Nous oui sans doute, mais nos enfants ne le seront pas. Ils auront donc besoin d’un système qui fonctionne.

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