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Barbecues sur les ronds-points : au-delà des Gilets jaunes, une France en mal de sociabilité
©JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

Mouvement social

A l'occasion de la date anniversaire des deux ans de mandat d'Emmanuel Macron, François Ruffin, député LFI, a lancé un appel aux Gilets jaunes sur les réseaux sociaux. L'objectif est de reconquérir les ronds-points.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Ce samedi, à l'occasion du second anniversaire de l'élection d'Emmanuel Macron, François Ruffin, député LFI, a lancé un appel à la "reconquête des ronds-points par le barbecue". Au delà de la démarche purement politique, ce genre d'action est marquante par l'accent qu'elle met sur la nécessité de reconquérir une forme de convivialité dans notre société. On a ainsi beaucoup parlé de la "fraternité des ronds-points". Quelles évolutions géographiques cette ambition de resociabilisation est-elle le signe ?

Laurent Chalard : Premier élément qu’il faut prendre en compte, c’est que nous vivons dans une société où depuis plusieurs décennies, on a une baisse de la sociabilité et donc de la convivialité. Globalement, aussi bien dans le cadre familial, que dans le cadre professionnel ou social, on constate une baisse de la sociabilité. Mais cette baisse a été renforcée par des éléments géographique, en particulier dans les territoires ruraux ou semi-ruraux. Dans les temps anciens, ils étaient animés par des chefs-lieux de cantons et les villes moyennes. C’était ce qu’on appelle les bourgs-centre, où se tenait toutes les activités. On avait le marché hebdomadaire, un ensemble de petits commerces et toutes les fêtes comme les bals. C’était le lieu de vie de base pour les ruraux. A l’échelon du dessus de ce chef lieu de base bourg-centre, on avait la ville moyenne qui elle offrait encore plus de services, et globalement presque tous les services qu’on trouvait dans la plupart des grandes villes. Que ce soit en termes de théâtres, de cinéma ou de musée, il y avait toute une offre culturelle qui était présente. Ces centres-villes, au début des 30 Glorieuses, étaient fréquentés et animés. 

Aujourd’hui en 2019, la situation a totalement changé sur le plan géographique. Si on excepte les cas de chefs de canton touristiques, où la fréquentation une partie de l’année permet aux commerces de perdurer, on a vu un véritable effondrement commercial dans le reste des autres cantons. C’est un effondrement des commerces, des services et donc de la vie collective qui a d’abord été déplacée vers le supermarché, puisque dans ces petites villages ou gros villages, le principal lieu de convivialité se trouve en dehors du bourg dans le supermarché. La rue principale du chef de canton, lieu de convivialité, à disparu.

Dans la ville moyenne, on a le même processus qui s’est produit. Le phénomène d’effondrement n’est pas total, car elle conserve toujours un centre-ville. Mais on a souvent un centre-ville piétonnisé, dont le centre-ville est devenu payant et dans un contexte de paupérisation de la population parce que ces villes moyennes vivaient souvent de l’industrie et donc ont plus fortement souffert de la paupérisation. On est face à un centre-ville qui a perdu de son attractivité, quand il n’est pas perçu comme répulsif. Il n’est plus perçu comme un lieu aussi important qu’auparavant, d’autant plus que certains services disparaissent et que dans le même temps on a eu une explosion du développement des commerces dans des grandes zones d’activités commerciales sans âme en périphérie de ces villes où souvent prolifèrent des ronds-points. On a vu d’abord le départ des commerces. Le centre commercial peut même paraître disproportionné par rapport à la ville, comme c’est le cas par exemple à Cholet, ville moyenne, où il n’y a plus de centre-ville animé mais des centres-commerciaux d’une taille qui me paraît excessive. Dans le même temps, on a vu les activités culturelles suivre le même chemin. Les petits cinémas ont fermé, et se sont installés en périphérie eux aussi. Les lieux de convivialité traditionnels ne fonctionnent plus. 

Les lieux existent, mais ils ne sont plus nécessairement concentrés, et ne sont accessibles qu’en voiture. Les lieux de convivialité dès lors sont moindres qu’auparavant. 

Le gouvernement a annoncé des maisons de service au public pour remédier à cette situation. Le fait qu'il  s'agisse uniquement de services mais pas de lieu de convivialité ne limite-t-il pas l'efficacité de tels "relais" ?

Ces maisons ont été pensées pour regrouper en un même lieu un certain nombre de services qu’on n’est plus capable d’exercer dans des lieux différents. On procède à une concentration en un seul lieu des offres de services public. Pourquoi pas. Mais on est sur une situation moins bonne qu’auparavant pour commencer, et comme vous le dites un lieu de services publics n’a jamais été perçu comme un lieu de convivialité. Ce n’est pas parce que vous êtes en train de faire la queue à un guichet que vous êtes en train de vous faire des amis. La bureaucratie lente, et pas toujours aimable ne résoudra pas ce problème. Ce n’est donc pas une mauvaise idée, mais cela ne résout pas un certain malaise qui touche ces lieux dépourvus de lieux de convivialité. Un tel lieu nécessite qu’il y ait plusieurs raisons pour que vous vous y rendiez. Si c’est uniquement pour obtenir un service, vous ne vous attarderez pas une fois le service obtenu. La question géographique en cela reste très importante : la disparition des services ou sa dispersion entraine cette situation. 

Ce besoin de convivialité rappelle l'apparition il y a quelques années de la Fête des Voisins, célébration organisée par une association pour redonner aux gens le goût de vivre à côté de chez quelqu'un d'autre. Un tel événement montrait la perte de liens élémentaires dans un espace géographique pourtant très restreint. Faut-il considérer que le malaise que vous nous décrivez connait un équivalent urbain ?

Oui. Mais pas pour les mêmes raisons. Comme dans l’ensemble de la société, les tissus de liens sociaux sont de plus en plus faibles entre les individus. Quel que soit les individus, ils interagissent moins avec les autres parce que notre modèle de société est hyper-individualiste. Ce problème qui touche la France rurale se retrouve dans la France urbaine. Cependant, dans cette France urbaine on est face, en règle générale, à des populations diplômées, qui ont des réseaux sociaux beaucoup plus large que les réseaux sociaux des villes moyennes ou périurbaines. Par contre le problème de ces réseaux sociaux larges urbains est qu’il forment une distance importante entre les individus. Au sein d’une métropole, la distance kilométrique n’est pas forcément très élevée, mais la distance pratique peut-être énorme si vous habitez dans des quartiers éloignés. Pour la convivialité, c’est compliqué. Vous pouvez vous donner des rendez-vous dans un lieu central, souvent intra muros, mais cela limite malgré tout la convivialité. La fête des voisins essaye de proposer de créer des réseaux sociaux plus proches pour pallier cette société où la convivialité de quartier en tant que telle n’existe plus. Mais la convivialité en tant que telle existe cependant plus que dans une ville moyenne. C’est faire en sorte que la convivialité s’exerce à l’échelle du lieu. C’est donc une forme de retour au local, considérant que c’est bien d’avoir des amis, mais qu’il faut aussi habiter et avoir une vie sociale dans le lieu précis qu’on habite. 

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