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Ces implants révolutionnaires qui permettent désormais de transformer les pensées en parole
©JEFF PACHOUD / AFP

Avancée médicale

Une équipe de chercheurs de l'Université de Californie à San Francisco a mis au point un implant cérébral afin d'aider les personnes atteintes de troubles de la parole (maladie du motoneurone, lésions cérébrales, cancer de la gorge). Les résultats de leurs travaux ont été publié dans la prestigieuse revue Nature.

Hervé Platel

Hervé Platel

Hervé Platel est professeur de neuropsychologie à l’université de Caen. Il fait également partie d’une unité de recherche Inserm sur les effets de la musique sur notre cerveau.

Internationalement reconnu pour ses travaux sur la neuropsychologie de la perception musicale, il a montré les réseaux cérébraux impliqués dans la perception et la mémorisation de la musique. Ses travaux permettent également de développer des méthodes musico-thérapeutiques de prise en charge chez les patients déments Alzheimer.

Il a notamment co-écrit Le cerveau musicien (De Boeck Université, 2010).

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Atlantico :  Même si cette technologie de lecture mentale doit encore faire ses preuves, quels espoirs peut-on placer dans cette découverte que les chercheurs jugent "exaltante" ?

Hervé Platel : Lire et interpréter les activités cérébrales afin de reconstruire la nature des pensées d’un individu est une sorte de Graal des neurosciences. Depuis un peu plus d’une trentaine d’années, les travaux utilisant les techniques de neuroimagerie ont permis d’accumuler des observations sur la manière dont notre cerveau fonctionne et s’active pour une tâche donnée (par exemple lire des mots), et petit à petit, grâce notamment à des algorithmes d’apprentissage issus des travaux en intelligence artificielle, il est possible de construire une base de données permettant d’identifier précisément la signature cérébrale correspondant à une pensée (dans mon exemple la prononciation d’un mot précis). Cependant le défis est immense car il faudrait dans l’idéal une carte de correspondance entre l'activité cérébrale et la nature des pensées propre à chaque individu étant donné que chacun « construit » son cerveau et la manière dont il va répondre à l’environnement en fonction de son histoire et de ses expériences personnelles. Donc, si je demande à deux personnes de penser au même mot, il y a de grandes chances que les signatures cérébrales produites chez les deux individus soient différentes. Ainsi les résultats de cette étude sont un premier jalon effectivement prometteur de l’utilisation du décodage de l’activité cérébrale pour générer une information externe que l’individu n’est plus en capacité de produire.


Selon cette même étude publiée dans la revue scientifique Nature, cette technologie se fonde sur la forme de la bouche et les sons qu'elle produirait, au lieu de scruter le cerveau à la recherche de signaux électriques qui codent chaque mot. Dès lors, quelle valeur peut-on conférer au discours synthétisé qui sort de ce "conduit vocal virtuel" ? Est-il exact de dire que cet implant cérébral lit les pensées et les transforme en parole ?

Justement, l’astuce des chercheurs est d’avoir contourné le problème trop complexe de l’identification de la signature cérébrale de la pensée « globale » d’un mot, en utilisant uniquement le décodage des impulsions électriques produites par les régions motrices de notre cerveau qui contrôlent les muscles pharyngés et nous permettent d’articuler différentes syllabes. Ainsi, l’implant cérébral qui est posé en proximité de ces régions cérébrales contrôlant l’articulation des sons, identifie et décode par exemple le signal électrique correspondant à la syllabe « ba » ou au son « to ». Donc quand la personne veut prononcer le mot « bateau », l’implant va transmettre les signaux électriques du cortex moteur des signatures cérébrales des syllabes « ba » et « to » ,  qui seront ensuite identifiés et produits par une interface vocale. Donc, d’une certaine manière l’implant cérébral « lit » les pensées du patient en ce sens qu’il identifie les signatures électriques des sons du langage auxquels ce dernier pense. On se rend bien compte qu’il s’agit pour le moment d’une "lecture de pensée » très basique, néanmoins ce résultat est tout à fait remarquable et ouvre la voie (on pourrait dire « ouvre la voix » pour les patients) à des applications cliniques futures tout à fait extraordinaires. 


En plus de rétablir la parole chez ceux qui en ont perdu l'usage, les chercheurs nourrissent l'espoir, grâce à un tel appareil, d'aider des personnes qui n'ont jamais parlé, y compris des enfants atteints de paralysie cérébrale. L'invention de cette interface cerveau-machine ne soulève-t-elle pas un débat bioéthique quant à l'intervention scientifique sur des organes humains ?

Tout d’abord, la possibilité de redonner la parole à des personnes (en particulier des enfants) qui n’auraient jamais fait l’expérience du langage semble difficile car pour que votre cerveau soit en capacité de produire une activité liée à la prononciation de syllabes du langage encore faut-il qu’il ait appris à le faire. La capacité des régions cérébrales à produire de manière coordonnée les sons de la parole s’acquiert chez le bébé et en l’absence de pratique de l’articulation des sons de la parole il est peu probable que l’on puisse utiliser la même technologie de décodage utilisée dans cette expérience. La technologie utilisée ici est extrêmement pertinente pour des patients qui perdent l’usage de la parole, et en ce sens ne pose pas de question éthique car il ne s’agit pas d’essayer d’augmenter une quelconque capacité cognitive chez des sujets sains par cette interface homme-machine, mais clairement de proposer une technologie de réhabilitation permettant à des patients de pouvoir de nouveau communiquer presque « naturellement ». De la même manière, on ne se pose pas la question du débat éthique concernant les travaux qui permettent actuellement à des personnes paralysée de pouvoir remarcher grâce à des implants, mais bien évidemment il ne faut pas occulter que certains aspects de ces technologies pourraient à terme trouver des applications d’ordre militaire (commande par la pensée d’exosquelettes de combat ou de robots), et qu’il est toujours important d’être vigilant dès qu’il s’agit de suppléer ou de modifier le vivant.

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