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Emmanuel Macron et l’Europe fantôme
©ARIS OIKONOMOU / AFP

Ecran de fumée

Cinq mois après le point de départ du mouvement des Gilets jaunes, et dans une séquence intervenant un mois avant les élections européennes, Emmanuel Macron a pu, lors sa conférence de presse de ce 25 avril, annoncer ses mesures et répondre aux questions des journalistes.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Du point de vue de la politique européenne, comment évaluer l'intervention du président de la République ? Ses déclarations annoncent-elles un virage européen de la part d'Emmanuel Macron ?

Christophe Bouillaud : Etant donné qu’il n’a pratiquement rien dit en matière européenne aussi bien dans son propos liminaire que lors des réponses aux questions posées par les journalistes présents, il est difficile d’en juger. Il faut dire que les journalistes présents ont perdu le sens de réalités en posant toute une série de questions portant sur les états d’âme présidentiels qui ont fait perdre du temps sans rien apporter à l’auditeur.

Emmanuel Macron a toutefois évoqué une réforme de l’espace Schengen au détriment des pays qui se refuseraient à accueillir des réfugiés sur leur sol. La provocation à l’égard de Viktor Orban et des alliés parait de bonne guerre, mais elle n’est guère crédible tant les enjeux économiques de la libre circulation dans l’espace Schengen dépassent les simples problèmes migratoires. Et pour obtenir une telle modification des règles Schengen, il faut avoir des alliés. L’allusion à l’écologie au niveau européen est trop incantatoire pour être notée.

Le point le plus intéressant en matière européenne est, sur une question du correspondant de la FAZ, le grand journal conservateur allemand, son admission à demi-mot que les intérêts français et allemands pouvaient parfois ne pas converger dans certains cas pour des raisons économiques.

Plus généralement, tout le contenu et le ton de la conférence de presse peut laisser à penser qu’Emmanuel Macron n’est pas complètement prêt à « mourir pour l’Europe ». Il y a de vraies ambiguïtés par exemple dans le discours qui peuvent laisser à penser que la réduction du déficit public n’est plus l’objectif majeur qu’il a été. Il y a en fait des annonces de dépenses – comme une réduction de l’impôt sur le revenu, face auxquelles les réductions de dépenses – suppression d’organismes publics non précisés par exemple- font pâle figure.

Lors du débat télévisé opposant les chefs de partis, François Bayrou, allié d'Emmanuel Macron, a ciblé Laurent Wauquiez en raison de son alliance européenne avec la CDU de Annegret Kramp Karrenbauer, marquant une rupture de plus en plus profonde entre les exécutifs allemands et français. En quoi l'intervention d'Emmanuel Macron apporte-t-elle une précision sur cette question d'un couple franco-allemand mal en point ?

Il n’y eu aucune précision en dehors de la reconnaissance déjà citée qu’il existe parfois des divergences entre France et Allemagne pour des raisons économiques. Cette conférence de presse, même si elle se tient à moins du mois de la date des élections européennes (le 26 mai), était d’ailleurs intéressante en ce sens que les enjeux européens ou internationaux en ont été presque entièrement absents. Paradoxalement, ce Président si européiste se trouve complètement pris dans une sphère politique franco-française, où tout est apparemment du ressort des autorités françaises et du Président de la République en premier lieu.  Emmanuel Macron a même pris le temps de renvoyer chaque Français à sa propre responsabilité dans l’état du pays, mais il s’est bien gardé de resituer sa propre action présidentielle dans le cadre européen. Il est vrai qu’un « monarque républicain » ne peut pas avouer devant ses sujets qu’il n’est pas totalement maître en ses domaines. Le « bon peuple de France » ne le comprendrait pas. Finalement, ce qu’il y avait de plus européen dans tout ce propos, c’était les drapeaux européens dans la salle…

Shahin Vallée, ancien collaborateur d'Emmanuel Macron lors de son passage à Bercy, publiait en ce mois d'avril une tribune dans le Guardian critiquant la stratégie européenne du président, révélant la réalité de fractures internes au camp présidentiel. En quoi Emmanuel Macron a-t-il ici apporté une réponse à ces inquiétudes ?

Autant que je puisse en juger pour n’avoir à disposition que l’aspect public de cette conférence de presse, Emmanuel Macron n’a répondu en rien à ces inquiétudes. Par contre, mon impression est qu’il a « pris ses pertes ». Il admet que l’Allemagne n’est pas un partenaire facile, et que la France peut être en minorité au sein de l’Union européenne. C’est bien sûr du simple réalisme, puisque ce sont là des faits publics. Il lui reste toutefois à définir une ligne de conduite pour l’avenir, ou, tout au moins, à la formuler publiquement si nécessaire. Cela n’a pas été le cas ce soir. Mais, de toute façon, je ne crois pas que les électeurs attendent une telle vision, leurs demandes sont plus directes et prosaïques. N’oublions pas que cette conférence de presse était la conclusion du « Grand débat » de la part d’Emmanuel Macron. Or, dans ce dernier, comme d’ailleurs dans les revendications des Gilets jaunes, les questions directement européennes sont très peu présentes. Il y aura sans doute d’autres occasions pour Emmanuel Macron de se donner une doctrine européenne.

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