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Ces risques malheureusement ultra prévisibles liés au retour de l’encadrement des loyers à Paris
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Encadrement à la hausse

Récemment, l’Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne (OLAP) a présenté les loyers de référence calculés à partir des niveaux des loyers parisiens constatés en 2018. Chaque loyer de référence correspond à un loyer médian déterminé en fonction du nombre de pièces du logement privé mis en location, de la date de construction de l’immeuble et de sa localisation géographique.

Michel Mouillart

Michel Mouillart

Michel Mouillart est professeur d'économie à l'Université Paris X, spécialiste de l'immobilier et du logement.

Il est le co-auteur de La modernité des HLM : Quatre-vingt-dix ans de construction et d'innovations (La Découverte, 2003).

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Ces loyers de référence ont été proposés au Préfet de région afin de préparer l’arrêté d’encadrement des loyers parisiens, dans le prolongement du décret publié le 12 avril 2019. L’encadrement en niveau devrait ainsi être de nouveau applicable dès l’été prochain. Dès lors, le loyer (hors charges) de chaque logement du parc privé devra être compris entre le loyer de référence majoré de 20 % et le loyer de référence minoré de 30 %.

Afin de préparer le retour de l’encadrement des loyers, les déclarations se sont au préalable succédé durant quelques semaines, tant du côté de la mairie de Paris que de celui d’associations, de locataires notamment. Et comme cela fut le cas lors de la promulgation de la loi ALUR, les arguments en faveur de cette mesure d’exception ont été largement repris par les médias. Déjà au début des années 2010, lorsque la précédente campagne présidentielle était en préparation, deux types d’arguments principaux ont été avancés afin de justifier « l’impérieuse nécessité » d’un encadrement des loyers en niveau. Le premier, était celui d’un intenable dérapage des loyers dans les grandes villes et principalement à Paris qui affecterait les ménages modestes et les étudiants. Le deuxième était qu’en Allemagne, un vertueux dispositif de miroir des loyers avait permis depuis longtemps déjà de réguler le marché locatif et d’éviter tous les excès constatés en France.

Bien sûr, depuis chacun a pu mesurer l’efficacité du fameux modèle allemand qui depuis quelque temps fait régulièrement descendre dans la rue les locataires de Berlin, Francfort, Duisburg, … : mais sans que les « importateurs » du fameux miroir des loyers n’aient jamais conté la suite de leur histoire, ni expliqué pourquoi leur modèle de référence s’était détraqué. Quant à l’argument du « fameux » dérapage des loyers du privé, l’INSEE et CLAMEUR s’accordent pour remarquer que si cela avait pu être jusqu’à la crise économique et financière internationale des années 2008-2009, dans le parc privé et dans le parc social d’ailleurs, cela n’était plus le cas depuis : le ralentissement des rythmes de progression étant rapide et spectaculaire au point que depuis 2007, dans le secteur privé par exemple, les loyers des nouveaux baux (pas ceux, bien sûr des baux en cours qui sont indexés sur l’IRL) ont juste progressé au rythme de l’inflation. Alors que sur Paris, ville qui souffre d’une pénurie ancienne aggravée par une politique locale du logement guère à la hauteur des enjeux, les loyers des nouveaux baux ont cru de 2.0 % en moyenne chaque année de 2007 à 2018 d’après CLAMEUR, pour une inflation moyenne estimée par l’INSEE à 1.2 %.

Il ne semble donc pas que la réalité ait laissé beaucoup d’espace à ceux qui déclarent que loyers ont augmenté de 50 % au cours des dernières années, et plus précisément entre 2005 et 2015. D’ailleurs, l’examen des loyers de référence récemment présentés par l’OLAP ne montre pas une augmentation à la hauteur des annonces des promoteurs de l’encadrement. Et il est bien dommage que l’évaluation de l’impact économique, social et environnemental qui avait pourtant été prévue par la loi ALUR n’ait pas été réalisée afin de rétablir de la sérénité dans le débat : le législateur qui a permis, avec la loi ELAN, de remettre en œuvre le dispositif de l’encadrement et les services de l’Etat qui avaient pourtant largement porté le dispositif ALUR ont sans doute oublié de la réaliser. Remettre en œuvre l’encadrement en niveau sur Paris sans procéder à l’évaluation de son impact, sur la base de ce qui s’est déjà passé montre bien qu’il s’agit plus de réaliser une ambition programmatique que de proposer une mesure allant dans l’intérêt des bailleurs et des locataires.

D’autant que la lecture des documents diffusés par l’OLAP suscite deux remarques.

Tout d’abord, s’appuyant sur les résultats du recensement réalisé par l’INSEE en 2014, l’OLAP confirme que de 2008 à 2014 le parc locatif privé parisien a perdu plus de 25 000 unités, soit 6.5 % de sa capacité d’accueil. Bien que souvent réfuté par les ministres du Logement, ce recul doit interroger : avant même la mise en œuvre de l’encadrement ALUR et alors que personne ne parlait encore d’Airbnb, les propriétaires bailleurs avaient déjà commencé à restructurer leur patrimoine. Il est bien dommage que là encore, aucune étude d’impact des pouvoirs publics n’ait été réalisée afin d’identifier les causes de cela : l’alourdissement de la fiscalité locale et nationale ; les effets négatifs de l’ISF ; la réponse au durcissement de l’encadrement des loyers en évolution décidé dès l’été 2012 ; la réponse des propriétaires bailleurs aux orientations de la politique locale du logement … Il est alors à craindre que le rétablissement de l’encadrement des loyers en niveau sur Paris ne vienne accentuer la pénurie de logements qui sévit déjà et est particulièrement catastrophique pour les ménages modestes. Car il ne faut pas oublier que l’encadrement des loyers prévoit le relèvement automatique des loyers inférieurs de 30 % du loyer de référence. Au-delà des déclarations de campagne, on peut alors rappeler que sur Paris l’encadrement va limiter le niveau des loyers de ménages dont les revenus mensuels sont au moins égaux à 4 ou 5 SMIC, alors qu’il permet la « remise à niveau » des loyers les plus faibles, ceux dont les locataires ne perçoivent bien souvent que des revenus inférieurs à 2 SMIC … et des aides personnelles particulièrement malmenées depuis quelques années. On voit mal l’intérêt social du dispositif, ou alors il faudrait le faire ressortir grâce à cette évaluation si souvent citée par des Ministres du Logement par le passé, mais jamais publiée.

Ensuite, il n’est pas inutile de rappeler que pour établir la grille des loyers de référence transmise au préfet, l’OLAP a au préalable découpé l’espace parisien en 224 segments de marché (4 tailles de logement x 4 périodes de construction de l’immeuble x 14 zones géographiques). Pour chaque segment de marché, un loyer de référence a alors été déterminé. Mais comme l’échantillon recueilli par l’OLAP est limité, il n’a pas été possible de calculer une médiane pour chaque segment : sur 29 segments (13.0 % de l’espace parisien), aucun loyer de référence n’est disponible ; en outre, sur 46 segments (20.5 % de l’espace parisien), le calcul a été remplacé par une « estimation économétrique » dont on est en droit de douter de la « qualité » si on se souvient des déboires du ministère du Logement lorsqu’il remplace le comptage du nombre de logements mis en chantier par le résultat d’une estimation obtenue par un « modèle économétrique ». Donc pour 46 segments de marché parisien, les loyers de référence imposés aux propriétaires bailleurs ne correspondront pas à une réalité, mais au mieux, à une certaine conception de la réalité ! Et que dire des 29 segments de marché pour lesquels aucune « estimation » n’est disponible : est-ce à dire que les propriétaires bailleurs seront libres de fixer le loyer ?

Tout cela mérite attention, soulignant encore que des dispositions d’exception prises sous la pression peineront à recueillir l’assentiment général dès lors que les procédures n’auront été que tronquées en amont (pas d’évaluation ni de retour d’expérience des années du précédent encadrement) et difficilement compréhensibles en aval (un tiers du parc parisien oublié ou singulièrement traité). Le risque de tout cela est double et malheureusement prévisible : un renforcement du désengagement des propriétaires bailleurs de la gestion locative et une nouvelle progression de la place de formules telles Airbnb peu en phase avec les enjeux de la politique du logement sur un territoire particulièrement convoité. Avec au final, un renforcement de la pénurie de logements entretenue sur Paris par les décisions publiques locales et une aggravation des difficultés d’accès au logement de ceux qui sont pourtant présentés comme les grands bénéficiaires de l’encadrement, les ménages modestes et les jeunes.   

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