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Sri Lanka : une opération de Daesh dans le cadre de son plan de "vengeance pour le Levant"?
©Jewel SAMAD / AFP

Terrorisme

Depuis la fin de la guerre civile en 2009 menée par les Tigres de libération de l’Îlam tamoul (LTTE) - un mouvement marxiste-léniniste séparatiste défait après 33 ans de guerre - , le Sri Lanka n’avait plus connu d’attentat même si la tension intercommunautaire semblait s'amplifier depuis plusieurs mois.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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C’était si perceptible que le ministère français des Affaires étrangères français sur son site de conseil aux voyageurs n’écartait pas la possibilité d’actions terroristes. "Le risque de reprise d’actes violents ne peut toutefois être écarté et des tensions ethniques et/ou religieuses sont perceptibles dans l’ensemble du pays". A noter que le Guide du Routard plus optimiste classait le Sri Lanka comme un pays "pas dangereux".

Le dimanche 21 avril, jours de Pâques, sept attentats coordonnés ont été commis contre quatre hôtels (Kingsbury, Shangri-la, Cinnamon Grand et The Tropical à Deliwala-Mount Lavinia),  les églises Saint Antoine (Colombo), Saint Sebastien à Negombo et celle évangélique "Zion" à Batticaloa. Un suspect s'est fait exploser dans un complexe résidentiel à Dematagoda alors que la police procédait à des investigations. Trois policiers ont été tués. Le bilan global non définitif est très lourd avec au moins 290 tués et plus de 450 blessés. Plus d'une vingtaine de suspects dont plusieurs femmes auraient été interpellés.

Maithripala Sirisena, le président sri lankais, a ordonné le déploiement de l’armée dans la capitale, l’établissement d’un couvre-feu ainsi que la constitution d’une unité d’enquête spéciale dédiée à cette affaire.

Le Sri Lanka compte quelques 21 millions d’habitants. 70% seraient bouddhistes, 12,6% hindouistes, 9,7% musulmans et 7,6% chrétiens (catholiques et protestants). Ces derniers sont aussi présents dans les communautés tamoules que chez les cinghalais et sont donc considérés comme un élément fédérateur. Il semble que ce ne soit pas la résurgence du conflit qui a ensanglanté le pays de 1977 à 1999 faisant 70 000 morts et 140 000 disparus. A noter que les terroristes du LTTE ont été les premiers à prôner l'attentat suicide avant que cette technique de combat soit reprise par le Hezbollah, les Palestiniens puis les salafistes-djihadistes. Mais, l’état d’urgence avait été proclamé en 2018 suite à des heurts survenus entre bouddhistes et musulmans.

Le 18 janvier, suite à l'arrestation de quatre activistes appartenant à un "nouveau groupe islamique radical", la police sri-lankaise avait saisi 100 kilos d’explosifs C4 et des détonateurs. A l’époque, des statues de Bouddha avaient été la cible d’attaques. Un responsable de la police avait alors déclaré à l’AFP : "L’information que nous avons pour le moment est qu’un groupe local radicalisé de musulmans est derrière les explosifs saisis […] Nous essayons de voir s’ils ont des liens avec des extrémistes à l’étranger". Cette affaire intervenait dans le cadre de la crise des Rohingyas, des musulmans de Birmanie considérés comme des étrangers (des Bangladeshi) rejetés par les Bama pour qui l'identité birmane est inséparable de la religion bouddhiste. Cela avait provoqué l'exode massif dans des conditions effroyables des Rohingyas vers le Bangladesh.

Au début avril, l’inspecteur général de la police, Pujith Senadhi Bandara Jayasundara, aurait été averti par un service de renseignement étranger que le "Sri Lanka Thaweed Jamath" (SLJT) peut-être aussi appelé "National Thaweed Jamath" (NTJ), une organisation islamique active depuis des années dans le pays, "envisageait de commettre des attentats-suicides contre des églises importantes et la Haute commission indienne à Colombo". Il aurait même reçu l'identité des suspects mais n'avait pas imaginé que cette opération aurait cette ampleur.

Les cibles étaient claires : les chrétiens célébrant les fêtes de Pâques d'un côté et les touristes fortunés de l'autre (35 étrangers dont des Américains et des Britanniques auraient été tués. L'option antagonisme entre bouddhistes et musulmans paraît donc exclue en dehors d'une provocation machiavélique peu probable. Le professionnalisme de l'action laisse à penser à un commando bien préparé, même si une partie est vraisemblablement locale (le Sri Lankais kamikaze de l'hôtel Cinnamon s'était fait enregistrer la veille sous le nom de Mohamed Azzam Mohamed avant de se faire exploser au milieu de clients).

Bien que des Sri Lankais ne semblaient pas être particulièrement présents au sein de Daech (une trentaine au maximum) un activiste avait tout de même été tué sur le théâtre syro-irakien en 2016. Il est possible que cette action coordonnée ait été l’œuvre d’un groupe qui avait préparé soigneusement son affaire. Si Daech venait à confirmer la paternité de ces explosions (1)- aucune revendication n'étant parvenue au moment où sont écrites ces lignes et on peut s'étonner de ce fait - , elles entreraient vraisemblablement dans le cadre de l’opération plus vaste "vengeance pour le Levant" déclenchée le 9 avril pour répondre à la chute de la dernière entité territoriale du califat en Syrie, la localité de Baghouz.

A savoir que Daech lance désormais des opérations coup de poing sur le théâtre syro-irakien (plus de 60 tués ces derniers jours même si Al-Qaida est aussi "dans le coup") mais également dans ses wilayat extérieures comme la Libye, le Sinaï, le Sahel, la Somalie, etc. Le fait nouveau est que le Sri Lanka avait été épargné jusqu’à présent n’étant à priori pas classé comme un théâtre opérationnel primordial. En fait, Daech joue sur la surprise et, malheureusement, il pourrait bien en avoir d’autres dans un proche avenir.

(1). Si l'opération avait été préparée depuis l'extérieur, il est vraisemblable que des communiqués - voire des déclarations de "martyrs" - auraient été enregistrés à l'avance de manière à être diffusés sur les réseaux sociaux rapidement. Or, pour le moment, ces derniers ne font que se "féliciter" de ces actions. Il est donc possible que, comme les autorités locales l'affirment, elles soient le fruit d'une cellule locale qui a suivi l'appel lancer l'opération générale destinée à "venger le Cham".

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