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Les effroyables supplices infligés à Ravaillac, l’assassin du "bon roi" Henri IV
©LOIC VENANCE / AFP

Bonnes feuilles

Olivier Coquard publie "Tuer le pouvoir" (First éditions). L'assassinat politique est avant tout un acte public, spectaculaire, presque théâtral. Pourtant, la plupart des assassinats politiques furent, au fond, des échecs. Dans cet ouvrage passionnant, Olivier Coquard revient sur les plus grands complots et actes de folie isolés qui ont littéralement "tué le pouvoir". Extrait 1/2.

Olivier Coquard

Olivier Coquard

Ancien élève de l'ENS de Saint-Cloud-Fontenay-aux-Roses, docteur en histoire, Olivier Coquard est professeur de chaire supérieure en classes préparatoires littéraires au lycée Henri-IV à Paris. Spécialiste de la Révolution française, il est l'auteur de plusieurs ouvrages – on lui doit notamment Quand le monde a basculé, une nouvelle histoire de la Révolution française aux éditions Tallandier (2015) – et collabore à des revues spécialisées.

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Le supplice final de François Ravaillac, le 27 mai 1610, commença à dix heures du matin pour s’achever vers 18 heures. Le criminel fut conduit depuis la Conciergerie dans la chambre de la buvette du Parlement pour y entendre l’arrêt rendu contre lui à l’issue de son procès et la description des tortures qu’il allait subir avant qu’on le laisse mourir. Puis on le soumit à nouveau à la « question » (la torture légale) pour lui arracher le nom de ses complices : les pieds écrasés dans les brodequins, il persista dans l’affirmation incroyable pour tous qu’il avait agi seul et reconnut l’horreur de son geste. 

Le supplice de Ravaillac 

On le plaça dans la chapelle du palais de la Cité, avant de le reconduire à la Conciergerie où les autres prisonniers le huèrent et manquèrent de le lyncher. Il fut ensuite hissé sur un tombereau (une charrette découverte) qui roula jusqu’à l’entrée de Notre-Dame de Paris, au milieu d’une foule qui l’injuriait, lui jetait des cailloux et pressait les gardes pour tenter de le massacrer. Malgré l’escorte, il n’échappa pas à des coups, voire à des griffures et des morsures de femmes que la rage rendait folles. Il fit, devant l’entrée de Notre-Dame de Paris, amende honorable. En chemise, portant une torche de dix livres, il reconnut à nouveau le crime de parricide (l’une des appellations juridiques du régicide puisque le Roi est le père de ses sujets) accompli sur la personne du roi Henri IV et fut reconduit à la Conciergerie. 

Puis, vers trois heures, on l’amena place de Grève sous les mêmes huées haineuses d’une foule en délire. La place était noire de monde, certains venus de loin, hommes et femmes, pauvres et nobles montés sur leurs chevaux. Un échafaud y avait été dressé. L’exécution commença : sa main droite (celle qui avait porté les coups meurtriers) fut brûlée au soufre, et il fut tenaillé sur tout le corps ; les bourreaux prenaient garde à le tenir éveillé et vivant. Lui ne cessait de clamer son regret d’avoir été trompé. Il aurait dit, selon le Journal de Pierre de l’Estoile : « On m’a voulu persuader que le coup que je ferais serait bien reçu du peuple. » 

On l’allongea ensuite pour l’écartèlement. Celui-ci fut terriblement long : Ravaillac demanda son confesseur, M. de Filesac, docteur de la Sorbonne fort respecté. On interrompit la traction, espérant qu’il allait enfin révéler le nom de ses complices : il demanda qu’on dise pour lui un Salve Regina, appelant sur lui la miséricorde de la Vierge Marie. La foule hurla qu’il était un démon et qu’il n’en était pas question. Un cheval s’épuisant, l’un des spectateurs offrit le sien pour poursuivre le supplice. Quand il fut mort, la foule se rua sur lui pour une épouvantable curée : il ne fut pas possible de brûler le corps démembré comme l’arrêt du Parlement l’avait prévu. « Voilà avec quelle furie et rage tout le peuple, tant des champs que de la ville, tesmoingna le grand regret qu’il avoit à la mort de ce bon Roy », conclut Pierre de l’Estoile.

Un meurtre en plein Paris 

Le meurtre qu’expie ainsi Ravaillac a eu lieu neuf jours auparavant, le 14 mai. Ce jour-là, Henri IV avait décidé de rendre visite à son ministre et vieil ami Sully, souffrant. Vers 16 h 10, le modeste cortège qu’il avait choisi fut arrêté par une charrette de foin bloquée rue de la Ferronnerie, une rue étroite de l’actuel quartier des Halles. L’escorte quitta le carrosse royal pour l’attendre plus loin. François Ravaillac s’approcha, monta sur la roue arrière du carrosse sans protection et frappa le roi de deux coups de couteau ; après avoir assuré qu’il n’était que blessé, Henri mourut en quelques instants. Ravaillac resta interdit, bras ballants, sans profiter de la confusion pour tenter de s’enfuir. 

Le duc d’Épernon empêcha que l’assassin soit immédiatement exécuté : il fallait connaître les tenants et aboutissants de ce crime. En 1589, le moine Jacques Clément, qui avait mortellement blessé Henri III, avait été immédiatement tué et il avait été impossible de connaître les véritables mobiles du crime. L’assassin de son successeur devait être interrogé et jugé. L’enquête fut menée à Angoulême, dont Ravaillac était originaire, à Paris, dans tous les lieux où il avait été. Sa famille, les notaires pour lesquels il avait travaillé, la communauté des Feuillants où il avait espéré en vain être reçu, les jésuites qu’on suspectait toujours de vouloir attenter à la vie du roi : tous furent longuement interrogés. 

L’enquête fut menée d’une façon approfondie. Les interrogatoires de François Ravaillac furent terribles : la torture lui fut infligée avec une épouvantable régularité. Il affirma toujours avoir agi seul, sans aucune aide ni intervention extérieure : cette affirmation était tout simplement incroyable.

Un événement bien documenté 

L’assassinat d’Henri IV a donc laissé un grand nombre de sources. Des sources matérielles d’abord : les lieux, depuis la rue de la Harpe où Ravaillac séjourna avant son forfait jusqu’à la rue de la Ferronnerie où il l’accomplit, la prison de la Conciergerie existent encore – une très riche iconographie immédiatement produite montre la victime, le criminel et son geste.

Les sources littéraires abondent : de nombreux témoins ont raconté leur vision de ce moment immédiatement ressenti comme capital. Enfin, l’instruction a laissé un très épais dossier dont les pièces ont été publiées dès le xviie siècle. Ce meurtre, dans sa matérialité, est donc précocement et extrêmement bien connu : entre le xve siècle et le xvie siècle, la pratique de l’écrit s’est largement répandue, en même temps que l’imprimerie en assure une diffusion de plus en plus importante ; l’imprimerie assure aussi la diffusion de l’iconographie par l’intermédiaire de gravures qui touchent un public large, bien au-delà des seules élites lettrées.

Complot ou acte isolé ? 

Pourtant, ce meurtre n’a jamais cessé de susciter des débats. Nicolas Pasquier, l’un des narrateurs contemporains, développe un long parallèle entre l’assassinat d’Henri IV et celui de Jules César dès les lendemains du crime ; son texte est un exemple des très nombreuses tentatives de réflexion et de mise en perspective immédiatement suscitées par le drame. Les débats les plus virulents sont juridiques ou policiers : était-ce le geste d’un homme isolé ? Le fruit d’un complot machiavélique ? 

Présentes dès le moment de l’instruction, ces interrogations sont devenues celles des historiens à partir du XVIIIe siècle. En 1964, Roland Mousnier proposa un ouvrage fondateur à de multiples titres dans la collection « Trente journées qui ont fait la France » : L’Assassinat d’Henri IV. Dans cet ouvrage, l’événement proprement dit, soigneusement décrit, ne représente qu’une grosse quarantaine de pages sur les plus de deux cent cinquante qu’il comprend. Roland Mousnier sort des interrogations policières : sans chercher à savoir si, oui ou non, il y avait eu complot, il veut surtout comprendre comment ce crime avait été possible dans la France du « bon roi Henri ». 

Ses successeurs comme Bernard Barbiche, Jeanine Garrisson ou Joël Cornette ont mis en évidence le fait que, précisément, l’image du « bon roi Henri » était principalement liée à sa mort. En mai 1610, l’image du Vert Galant était en fait très sérieusement dégradée dans l’opinion publique : sa mort en fit le martyr de la paix du royaume, puis de la cause de la tolérance religieuse. Le dossier judiciaire continue cependant d’intéresser les historiens : Jean-Christian Petitfils a récemment renouvelé la thèse du complot – sans emporter l’adhésion de la communauté savante. L’intérêt des historiens est évidemment lié non seulement à l’importance effective du crime commis par Ravaillac, mais aussi – surtout – à la très grande célébrité d’un crime commis sur un roi dont l’image reste adorée par les Français.

Extrait du livre "Tuer le pouvoir" d'Oliver Coquard, publié chez First éditions.

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