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La honte de l’empereur : loin du soleil d’Austerlitz, l’ombre infamante de la bataille de Toulouse
©TOMMY CHENG / AFP

Bonnes feuilles

Bruno Fuligni et Bruno Léandri publient "Les Guerres stupides de l’histoire" aux éditions Les Arènes. Ils retracent les conflits les plus particulièrement surprenants de l’histoire universelle. Puisse un jour le rappel de tant d’inepties sanglantes calmer de futures velléités belliqueuses ! Extrait 1/2.

Bruno Fuligni

Bruno Fuligni

Bruno Fuligni est écrivain, historien, maître de conférences à Sciences Po et auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire politique de la France. Il est l'auteur de "Le Monde selon Jaurès. Polémiques, réflexions, discours et prophéties" (Tallandier, février 2014). Il a aussi porté les discours de Jaurès à la scène avec ses pièces "La Valise de Jaurès" et "Quelle République voulons-nous ?"

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Bruno Léandri

Bruno Léandri

Bruno Léandri, écrivain, chroniqueur et scénariste, longtemps collaborateur du mensuel Fluide glacial, est l'auteur de La Grande Encyclopédie du dérisoire.

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En mars 1814, Napoléon, dont l’étoile a connu des temps meilleurs, tire les conclusions de la calamiteuse campagne d’Espagne et rappelle son armée du côté français des Pyrénées, avec pour mission d’empêcher l’ennemi à sa poursuite d’envahir le pays de ce côté-là. Il confie cette tâche au plus méthodique de ses maréchaux, même s’il n’est pas le mieux inspiré. C’est le maréchal Soult, qui va engager une des batailles les plus dérisoires de l’épopée napoléonienne, car doublement inepte. 

Empêcher l’ennemi de pénétrer en France c’est vite dit, car l’ennemi en l’occurrence est triple, conséquence des dérapages successifs de l’aventure ibérique : les armées espagnoles, portugaises et anglaises, alliées sous le  commandement de Wellington, ont continué à courir derrière le maréchal et ses troupes après leur retour en France, la frontière ne les a pas arrêtées. La tâche est d’autant plus difficile qu’elle arrive au plus mauvais moment : la France en a ras la casquette de son empereur. Après quinze ans de guerres quasi ininterrompues, même ses plus fervents soutiens éprouvent une certaine lassitude, les campagnes ne supportent plus les ponctions de plus en plus radicales de leur jeunesse et les villes les razzias de plus en plus gourmandes de leur patrimoine. Jusqu’aux militaires, après la débâcle de Russie et l’abandon des conquêtes européennes, qui ne croient plus au mythe de leur invincible chef. Déjà, on commençait à fatiguer quand la guerre était loin, à l’étranger, mais maintenant, elle est là, chez nous, au nord comme au sud, c’est dans nos campagnes que les cosaques et les féroces tiradores viennent mugir, la cote de popularité impériale est en chute libre chez tous les instituts de sondage. À Toulouse comme ailleurs, les appels à la levée en masse pour arrêter l’ennemi qui approche tombent dans un vide sidéral, ce n’est que sous la menace que la population de Haute-Garonne consent à aider l’armée. 

Mais Soult est un professionnel imperturbable. Il a réussi à garder jusque-là ses troupes cohérentes dans la retraite, malgré la recrudescence des désertions. Après avoir passé les Pyrénées à l’ouest, talonné par  Wellington, son plan est d’avancer vers Carcassonne pour rejoindre l’armée de son collègue, le maréchal Suchet, et faire face ensemble à l’arrogant duke. Mais arrivé à Toulouse, alors que son armée est affamée et épuisée, sans nouvelles de Suchet qui juge plus urgent d’attendre, il décide de profiter de la ville rose pour se refaire une santé, manger leur fameuse saucisse rose et utiliser ses fortifications roses pour arrêter l’envahisseur.

Il dispose ses divisions autour de la ville, sur les bastions ou sur des redoutes avancées. On estime à une quarantaine de milliers d’hommes les effectifs de Soult, en face, les trois armées alliées arrivent à cinquante mille, les forces sont équilibrées. Le 9 avril, les armées de Wellington ont partiellement encerclé la ville, l’ordre d’attaquer est donné le 10 à 7 heures du matin. Le duc anglais est décidé à porter un coup fatal au croquemitaine en redingote grise, Soult est décidé à défendre son empereur chéri à qui il doit sa fortune, ses galons et son bicorne à plumes. Cependant, pas plus Soult que Wellington ne savent ce qui se passe à Paris. Certes, il faut à l’époque au moins deux jours pour que le galop des chevaux emporte une dépêche urgente de Paris à Toulouse, mais la confusion dans la capitale doit sans doute rendre les transmissions plus chaotiques, car au moment où la brigade du général Barbot fait feu sur les assaillants du 57th Foot devant les remparts de SaintCyprien, ça fait exactement sept jours et trois heures que le croquemitaine en redingote grise n’est plus empereur des Français, qu’il a été déchu par le Sénat. Et ça fait quatre jours que c’est officiellement le roi Louis XVIII, ami des coalisés, qui gouverne la France : Wellington n’a plus aucune raison d’attaquer Toulouse, il a déjà gagné, Soult n’a plus aucune raison de la défendre, il a déjà perdu. Mais quatorze heures, mille morts et sept mille blessés plus tard, les deux chefs ne le savent toujours pas. La bataille se termine sur un ex aequo,  Wellington n’a pas réussi à entrer dans la ville, Soult ne l’a pas terrassé, mais a gardé suffisamment de forces pour pouvoir évacuer dans l’ordre en gardant la presque totalité de ses unités. Du reste, chacun des deux considérera la bataille comme une victoire.

Car une fois l’armée française partie, Wellington et ses troupes défilent dans la ville rose devenue rouge sous les hourras de la foule qui crie « Vive le roi ! », la nouvelle est enfin arrivée. Les Anglo-Hispano-Portugais ne sont plus l’ennemi mais officiellement les nouveaux alliés. 

Alors que fait Soult, après avoir appris l’abdication de son empereur chéri ? Il se rallie incontinent au nouveau régime, crie « Vive le roi ! » exactement comme les Toulousains souhaitant la bienvenue à Wellington, et il en sera récompensé en étant nommé quelques mois plus tard ministre de la Guerre de Louis XVIII. Pas plus blâmable que ses collègues maréchaux dont la plupart ont retourné leur tunique de la même façon, on peut juste relever au passage un détail particulier : sans parler du retard de l’information, alors même qu’il envoyait ses jeunes conscrits se faire mitrailler par les habits rouges, le maréchal Jean-de-Dieu Soult, duc de Dalmatie, était déjà secrètement prêt à changer de bord et clamait sa volonté de pourfendre son adversaire britannique alors qu’il souhaitait le même résultat que lui. Un enjeu périmé, un chef qui a changé de camp, on a connu des circonstances plus enthousiasmantes pour sacrifier sa vie… 

Les victimes de la bataille de Toulouse ont bien mérité la colonne commémorative qui sera érigée en 1839 sur une hauteur de la ville. Elle mesure 32,60 mètres, mais elle aurait bien pu en faire le double pour célébrer leur mort doublement inutile.

Extrait du livre de Bruno Fuligni et Bruno Léandri, "Les guerres stupides de l'histoire", publié aux éditions Les Arènes. 

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