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L’économie allemande, trou noir de la zone euro ?
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Fin de cycle

Selon un document publié par l'OFCE, la contribution de l'Allemagne dans la croissance de la zone euro serait passée de 0.8 à 0.2% sur la dernière année.

Xavier Timbeau

Xavier Timbeau

Xavier Timbeau est directeur du département "Analyse et prévision" à l'Ofce.

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Atlantico : Selon un document publié par l'OFCE, la contribution de l'Allemagne dans la croissance de la zone euro serait passée de 0.8 à 0.2% sur la dernière année. Comment expliquer cette contre-performance de Berlin, faisant de l'Allemagne une sorte de trou noir de la croissance européenne ? Pour quelles conséquences pour le reste de la zone ? 

Xavier Timbeau : Plusieurs éléments se rejoignent pour expliquer cette contre performance allemande. D'abord le modèle industriel allemand arrive au bout d'un cycle, l'investissement massif dans les pays d'Asie en développement rapide. La mondialisation a porté l'industrie allemande et permis à l'Allemagne de résister à la baisse de la part de l'industrie dans la valeur ajoutée. De plus, la suprématie allemande dans les équipements industriels masque un retard dans les technologies de demain, du numérique, de la communication, de l'intelligence artificielle, de la bio-ingénérie, des nanotechnologies. Des investissements modérés et peut-être un modèle éducatif peu tourné vers l'innovation pourraient être les boulets de l'économie allemande dans le futur. Ensuite, le vieillissement de la population est un contraste saisissant avec d'autres zones géographiques. Même si le lien n'a pas été mis en évidence avec la capacité à se réinventer, on peut craindre de ce côté-là un facteur d'immobilisme important. L'immigration est dynamique en Allemagne, mais là aussi la dualité du marché du travail allemand ne fait pas espérer une intégration complète des nouvelles populations. 

Ensuite, la production d'automobile est au coeur de l'accident de croissance allemand. Le durcissement des normes, après des années de connivences entre régulateurs et producteurs, est la réponse aux scandales autour des moteurs diesels. Ce changement est un des premiers à ne pas être "négocié" avec les constructeurs et il a beaucoup perturbé leur capacité à produire. Après une vague massive d'immatriculation en septembre 2018, pour échapper à la nouvelle règle, les constructeurs ont du rendre conforme leur offre. Tous les véhicules, y compris les modèles déjà homologués, doivent respecter la norme WLTP. Cela pèse sur le catalogue. Mais, plus profondément, chacun comprend que l'automobile est à un tournant majeur. Dans beaucoup de pays, les combustibles fossiles pour le transport non-aérien ont une fin annoncée. Il reste 20 à 30 années, ce qui est largement plus que la durée de vie d'un véhicule particulier, mais les centres-villes se ferment, les prix des carburants augmentent, la pression sociale se matérialise vers des véhicules emettant moins voire plus de gaz à effet de serre lors de leur utilisation. Or, les constructeurs européens n'ont pas une offre hybride ou électrique bien établie. Les infrastructures sont en cours de développement et les technologies ne sont pas complètement matures. Difficile de produire, difficile de vendre et difficile d'arriver à faire jouer les économies d'échelle qui sont au coeur du modèle d'affaire de l'automobile depuis Henry Ford. Tesla y joue son avenir et rien n'indique qu'ils vont y arriver.

Le ralentissement allemand pèse bien sûr sur la zone euro dans son ensemble, même si à part quelques pays d'Europe de l'Est, le secteur automobile y est beaucoup moins développé qu'en Allemagne (il pèse 3% de l'activité directement en Allemagne, contre 3/4 de point en France par exemple).

Quels seraient les moyens, pour l'Allemagne, de contre efficacement ce phénomène ? De quelles réserves dispose le pays pour ce faire ? 

Paradoxalement, l'Allemagne est dans une situation confortable malgré le ralentissement. La dette publique est basse et continue de se réduire puisque le déficit public est bien en dessous (0%) de celui qui stabilise la dette (autour de 2.5%). Le chômage est aussi bas, et un ralentissement est presque bienvenu pour modérer les tensions inflationnistes. L'immigration a ralentit et elle pourrait être contrôlée dans les années qui viennent, ce qui limitera également les tentations de virage à l'extrême droite ou les sirènes du populisme. La question est plus structurelle : comment investir dans le futur, comment former les acteurs des prochaines vagues d'innovation, comment continuer et accélérer la transition environnementale. L'Allemagne dispose de marges de manoeuvre budgétaire et peut soutenir le pouvoir d'achat facilement si le ralentissement se prolonge, mais la sagesse voudrait que ces réserves soient consacrées à impulser le futur. 

Ce premier trimestre 2019 révèle un rebond chinois, à 6.4% de croissance. En quoi cette situation pourrait "sauver" la croissance allemande de 2019 ? Quels sont les risques qui pourraient encore invalider une telle hypothèse ? 

La Chine poursuit son développement à un rythme accéléré et le spectre d'un retournement profond, lié à la soutenabilité de l'investissement et à la rentabilité du capital s'éloigne un peu. On peut aussi voir le verre à moitié vide en se demandant s'il ne s'agit pas d'une fuite en avant et que le retournement sera inéluctable et d'autant plus violent qu'il tarde à se produire. Cela peut être bien entendu une bonne nouvelle pour l'Allemagne qui pourra continuer à alimenter les investissements chinois en biens d'équipement. Mais la Chine d'aujourd'hui n'est plus celle d'il y a 10 ans. Elle est aujourd'hui en position de leader sur plusieurs segments technologiques dont ceux qui montent particulièrement aujourd'hui : mobilité électrique, énergie renouvelable. Or le changement de régime de croissance de la Chine implique de développer un marché intérieur, mais est aussi explicitement, comme le révèle le plan "Made in China 2025", celui d'être un acteur majeur sur les marchés de demain. La fin presque programmée de l'Organisation Mondiale du Commerce en décembre 2019 (le dispositif de règlement des conflits deviendra inopérant) va ajouter au désordre et pourrait coûter cher à l'Allemagne. Ceci d'autant plus qu'elle n'a pas toujours veillé à ce que ses partenaires européens aient des intérêts alignés avec les siens. Au moment où tout peut basculer, disposer d'une solide base d'activité économique et d'une surface diplomatique plus étendue peut être un atout décisif.

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