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Mais pourquoi se poser la question sur l’origine de l’incendie de Notre-Dame classe-t-il automatiquement dans le camp des complotistes ?
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Complotisme

Mardi matin, devant Notre Dame, Nicolas Dupont-Aignan a décidé de rompre le silence de l’ensemble du corps politique et a posé la question de la possibilité d’un attentat - soit un incendie criminel de la cathédrale de Paris.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Atlantico :  Il s’est immédiatement fait traiter de complotiste. Comment expliquer que l’on soit si rapide à dégainer une telle accusation, alors que la question semble mériter d’être posée ?

François-Bernard Huyghe : Sur le fond, je n’ai aucune compétence, et je pense qu’à ce stade, personne n’en a véritablement puisqu’aucun enquêteur n’a pu aller sur le premier foyer de l’incendie. En soi, l’idée de se demander si l’incendie serait criminel après celui qui a survenu récemment à Saint Sulpice et d’autres plus anciens n’est pas une marque de débilité mentale. Un certain nombre de gens, à mon avis, se sont spontanément posé la question, et savent qu’ils n’auront la réponse qu’après une enquête scientifique.

Si Dupont-Aignan se voit critiqué aujourd’hui, c’est parce qu’il a rompu deux tabous. D’abord parce que sa question signifie nécessairement pour ses détracteurs qu’il sous-entend que c’est le cas pour lui, et donc c’est apparaître comme complotiste, ce qui va généralement de paire avec diffuseur de fake news et populiste, la Trinité des plus grands péchés dans le débat public. Et ensuite parce qu’en parlant d’attentat, il rompt le silence sur cette hypothèse à un moment où le mot d’ordre est au consensus national et où tout le monde communiait dans la douleur. 

La réaction qu’il suscite est pavlovienne : tout ce qui pourrait à un moment ou à un autre être perçu comme du complotisme ou du populisme est immédiatement catégorisé comme tel. Ainsi, celui qui s’en prend au « complotante » peut sans problème montrer sa grande vertu et sa grandeur d’âme. 

Autre coupable désigné : Donald Trump et ses Canadairs. Alors qu’il suggérait d’employer ces avions pour larguer de l’eau sur l’église (ce qui a traversé l’esprit de plus d’un spectateur ayant vu de tels avions en action lors de feux de forêts l’été), la réponse mesurée des pompiers a été suivie par une série de railleries dans les médias. Ne faut-il pas s’inquiéter de l’existence dans notre système médiatique d’une forme d’auto-censure, doxa méthodique de l’actualité ou l’avis de l’expert doit faire taire toute forme de commentaire extérieur - même celui du chef du pays le plus puissant du monde -, aussi inadapté soit-il ?

Je crois que c’est précisément parce que cette proposition est venue de Donald Trump, qui est notoirement connu pour sa capacité à tweeter plus vite que son ombre. Certes, une explication logique empêchait l’emploi d’un Canadair : le poids de l’eau lâchée par un tel avion et une telle masse d’eau aurait fait plus de dégâts que le feu qu’il prétendait éteindre. A mon humble avis, peu de gens pouvaient savoir ce détail technique avant que les pompiers, dont c’est le métier, ne l’explique dans les médias. 

La encore, la réaction au tweet de Trump tient du réflexe pavlovien. Tout ce que dit Trump est l’occasion de montrer combien on est éloigné de sa stupidité et de sa vulgarité. Ce qu’on pourrait en l’occurence reprocher à Trump, c’est d’avoir fait une faut typique en communication de crise : il s’est exprimé trop vite. Il aurait pu par exemple demander à un expert, même si je ne suis pas certain qu’un pompier de Washington ait toute les cartes en main pour connaître la situation. 

Plus généralement, n’est-il pas dangereux d’observer comment certains journalistes ou commentateurs ont pris l’habitude de renvoyer - avec une certain agressivité ou un certain mépris - à la bêtise ou au complotisme tout interventions de certains de leurs adversaires quand ils n’envisagent pas le bon déroulement de l’actualité comme eux - surtout quand on sait que ces derniers ont souvent une certaine capacité à sentir ce que ressent la population, les deux exemples précédents en sont un bon exemple ? N’est-ce pas prendre le risque d’alimenter le complotisme qu’ils combattent ?

Oui. Je crois que c’est typiquement le genre de discours qui risque de créer un effet boomerang. Et ce pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’en rangeant tout ses adversaires soit dans la catégorie de la bêtise - ils croient à la désinformation aux rumeurs - c’est risquer d’exaspérer ceux qui ne réfléchissent pas comme il faut. C’est quelque chose qu’on a beaucoup vu lorsque les Gilets jaunes ont été traité de fachos : cela ne leur a pas donné envie d’aller à la table des négociations. En démocratie, il n’est jamais très habile de dire que votre adversaire est uniquement idiot. 

Ensuite, il est dangereux d’assimiler des personnes qui potentiellement se trompent - voire probablement - à des complotistes, et ce même si des intérêts peuvent motiver ou orienter bien entendu l’analyse d’une situation. Car un vrai complotiste croit non pas à la possibilité d’un attentat quand cela ne serait qu’un incendie, mais à l’existence d’un vrai complot global, organisé par une entité secrète. En critiquant violemment une hypothèse, on donne du crédit à ceux qui voit dans ces critiques une façon de « cacher la vérité », et ce d’autant plus quand on manque comme dans notre cas d’éléments sérieux pour prouver le contraire, et donc faire disparaître le doute. 

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