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L’Europe sans les autres Européens : le grand paradoxe d’Emmanuel Macron
©SYLVAIN THOMAS / AFP

Paris isolé au milieu de l’Union

Après une prise de position isolée concernant le Brexit, la France d'Emmanuel Macron a choisi de voter contre le mandat donné à la Commission dans le cadre des négociations commerciales entre UE et Etats Unis, (contre 26 oui et l'abstention de la Belgique), une situation sans précédent concernant un sujet de cette importance.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico :  Une position prise par la France le jour même de son allocution prévue devant les Français dans le cadre du Grand débat - avant qu’elle ne soit reportée du fait de l’incendie à Notre Dame de Paris. Ne pourrait-on pas voir ici un grand paradoxe de la vision européenne d'Emmanuel Macron, promouvant une Europe à dimension fédérale, tout en soutenant une approche de l'Union tenant plus d'une vision nationale de l'Europe selon les souhaits de Paris ?

Edouard Husson : Admettons qu’Emmanuel Macron se dise qu’il est bon, en ces temps d’élections européennes, de défendre une position ferme en Europe. Imaginons-même qu’il s’agisse d’un tournant de type mitterrandien - jamais explicitement assumé mais sans équivoque dans l’action. (A vrai dire, cela consisterait à faire l’inverse de Mitterrand en 1983, refaire passer l’intérêt français devant un hypothétique intérêt européen). On aurait tout de même le droit d’être sceptique sur la méthode: cela fait deux fois en quelques jours que la France défend une position isolée, ou presque, et, surtout, différente de celle de l’Allemagne. Certains se réjouiront. Là encore, ne s’agit-il pas d’un anti-1983? Je ne suis pas sûr que cela ait été préparé sérieusement. En 1983, François Mitterrand avait laissé débattre, pendant des semaines, de façon dramatique, ses conseillers; il y avait des visiteurs du soir plus ou moions discrets. La haute fonction publique était divisée, tout comme le monde économique. C’est d’autant plus intéressant de faire la comparaison que François Mitterrand traversait alors une période de profonde impopularité. Cependant, on voit bien la différence aujourd’hui: le président consulte peu et aucun débat de fond n’occupe nos milieux dirigeants. En fait, nous sommes entrés dans une ère des conséquences paradoxales: le président français est sur une ligne européiste extrêmement idéologique....qui produit un isolement de notre pays au moment où, ailleurs en Europe, on cherche plutôt s’adapter au changement de la politique américaine et au retour de sentiments nationaux fortement exprimés. 

Comment expliquer ce qui pourrait apparaître comme un revirement européen ?  

Nous n’en sommes pas encore au revirement. En fait, Emmanuel Macron fait bouger les lignes par la radicalité de ses positions. Il est un ultra des positions dominantes au sein de la haute fonction publique française. Alors que ses trois prédécesseurs, parce qu’ils avaient une expérience politique ancienne, avaient l’art de camoufler les avancées fédéralistes européennes derrière une rhétorique de droite ou de gauche traditionnelle, l’actuel président, lui, a renoué avec la façon giscardienne de faire: il n’y a pas de raison de dissimuler le grand dessein européen; il est même allé plus loin que VGE en son temps: il a ouvertement considéré que c’était tant pis pour ceux qui ne pourraient pas suivre. Le mouvement des Gilets Jaunes, c’est l’effet boomerang intérieur. Mais il est intéressant de remarquer qu’il s’est passé aussi un retournement fondamental sur la scène européenne: Emmanuel Macron s’attendait à ce que tout le monde se rallie à son panache blanc de chevalier de l’Europe, en commençant par Angela Merkel. Or non seulement la Chancelière n’a pas suivi, mais le président français ne s’est pas rendu compte à quel point le reste de l’UE prenait mal sa méthode, ou plutôt son absence de méthode européenne. Tout le monde n’est pas comme les dirigeants français, prêt à ne miser que sur l’Allemagne - a fortiori à suivre une France que suivrait l’Allemagne! Le président français l’a mal pris: il s’est laissé aller à critiquer l’Italie ou la Hongrie. Et il a continué d’ignorer l’Europe du Nord. La rencontre entre les deux effets boomerang, intérieur et extérieur, est spectaculaire: le reste de l’UE ne prend plus au sérieux un président français qui, après avoir affiché une ambition fédéraliste démesurée et fait la leçon à de nombreux pays, a dû, en catastrophe, lâché 13 milliards pour essayer de faire refluer le mouvement des Gilets Jaunes. 

Quels sont les risques et les atouts d'une telle stratégie, notamment du point de vue de Berlin ?

En fait, les Européens vont lire un éventuel repli sur des positions nationales comme le revers de la médaille européiste jusque-là arborée par le président français. Ils le mettront sur le compte d’une réputation d’arrogance qui nous colle à la peau en Europe. Nos députés européens ne sont pas assidus; nous sommes mauvais en lobbying; nous n’occupons plus, depuis un moment, des postes-clé dans les services de la Commission. Et notre actuel gouvernement a une vision étroite de la négociation européenne: il suffirait encore de s’entendre avec Berlin pour que les autres suivent. Or il se passe, précisément, que Berlin suit de moins en moins. Et donc Paris est tenté par le repli sur soi. Il faudrait faire exactement le contraire: cesser de ne parler qu’avec Berlin en Allemagne; comment se fait-il que nos parlementaires aient été aussi peu assidus à préparer la première assemblée franco-allemande? Comment nos présidents de région ne s’entendent-ils pas entre eux et avec le gouvernement pour développer systématiquement un lobbying sur les Länder allemands? Comment se fait-il que nous n’ayons pas une diplomatie des coalitions pour préparer les votes au Conseil européen? Comment pouvons-nous ne pas voir que l’Europe est en train de se désidéologiser et qu’il devient possible de construire des colaitions pragmatiques autour de postions raisonnables? Pourquoi notre président ne voit-il pas que la négociation permanente, au sein de l’UE et avc le monde extérieur, est la clé du succès - au lieu de la défense de positions idéologiques (punir la Grande-Bretagne, refuser de négocier avec les USA par écologisme etc....)? 

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