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Emmanuel Macron : l’homme qui rêvait de refonder l’Europe
©LUDOVIC MARIN / AFP

Bonnes feuilles

Coralie Delaume et David Cayla publient "10+1 questions sur l’Union européenne" aux éditions Michalon. Ils abordent les enjeux des élections européennes, se demandent pourquoi tant de pays européens sont tentés par le populisme, s’interrogent sur le couple franco-allemand et analysent la vision de l’Europe d’Emmanuel Macron notamment. Extrait 2/2.

Coralie Delaume

Coralie Delaume

Coralie Delaume est une blogueuse, journaliste et essayiste française. Elle est diplômée de l’Institut d'études politiques de Grenoble, elle devient ensuite journaliste et chroniqueuse pour plusieurs médias. Spécialiste de la gouvernance économique européenne, elle crée le blog L'arène nue en février 2011.

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David Cayla

David Cayla

David Cayla est économiste. Il est membre du collectif Les Économistes atterrés. Il est l'auteur de L'économie du réel. Face aux modèles trompeurs (De Boeck, 2018). 

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Emmanuel Macron avait un rêve : devenir l’homme qui allait refonder l’Europe. Il l’a exprimé tout au long de sa campagne électorale, égrainant ses projets. Il l’a réaffirmé une fois élu, de manière amphigourique et exaltée, dans son « grand discours » prononcé à la Sorbonne en septembre 2017. 

Dans ce discours, il semblait avoir réponse à tout. L’Union européenne manque de démocratie ? Il proposait d’utiliser les 73 sièges laissés vacants par le Royaume-Uni après le Brexit pour constituer des listes paneuropéennes. Les peuples européens se défient de l’UE ? Pour les en rapprocher, « chaque étudiant devrait parler au moins deux langues européennes » et la moitié d’une classe d’âge devrait avoir passé au moins six mois dans un autre pays d’Europe avant ses 25 ans. On créerait des universités européennes, on harmoniserait les enseignements du secondaire. L’Union européenne n’a pas de politique africaine ? On imposerait, dans chaque pays, une « taxe sur les transactions financières » qui serait affectée à l’aide au développement. Il existe du dumping social et fiscal ? On obligerait chaque État à harmoniser son impôt sur les sociétés et les fonds européens de cohésion seraient conditionnés au respect de cette harmonisation fiscale car, martelait-il, « on ne peut pas bénéficier de la solidarité européenne et jouer contre les autres ». Il y aurait partout un salaire minimum et l’on organiserait la convergence sociale. Pour le travail détaché, les cotisations devraient être payées au tarif le plus élevé et la différence reversée au pays d’origine pour abonder un « fonds de solidarité ». On créerait un budget de la zone euro grâce à des « taxes européennes dans le domaine numérique ou environnemental », on nommerait un ministre des Finances européen, on fonderait une « Académie européenne du renseignement », une « Agence européenne pour l’innovation de rupture », on lancerait un « programme commun d’intelligence artificielle », on imposerait une taxe carbone « aux frontières de l’Europe », on intégrerait des normes sociales et environnementales dans les accords commerciaux et on les négocierait dans la transparence. Il faudrait également refonder la politique agricole commune et mettre en place un « programme industriel européen de soutien aux véhicules propres ». Rien que ça.

À la fin de son discours, pour rendre les choses plus concrètes et pour convaincre un auditoire qui l’écoutait avec circonspection, Emmanuel Macron invitait « tous les pays qui le souhaitent » à organiser un vaste débat pour nourrir cette feuille de route. Tous ceux qui adhéraient à sa démarche étaient conviés à rejoindre la France, qui allait lancer « dans les prochaines semaines » un groupe de la refondation européenne composé des États membres volontaires et des institutions européennes. 

« Moi, je n’ai pas de ligne rouge, je n’ai que des horizons », avait asséné Emmanuel Macron. Le problème de l’horizon, c’est qu’on n’y parvient jamais. Il se dérobe toujours face à celui qui l’approche. Aujourd’hui, nous connaissons la suite : il n’y en a pas eu. Tel Napoléon sur le pont d’Arcole, Macron s’est saisi du drapeau européen et s’est vaillamment élancé. Puis il a constaté que personne ne suivait. C’est le problème lorsqu’on veut construire l’Europe tout seul. Aucune des propositions annoncées à la Sorbonne n’a été suivie d’effet. 

Aucune ne sera jamais mise en œuvre. Ce discours décrivait une Union européenne qui n’existe pas. C’est la même Europe Potemkine qu’on nous ressert à chaque élection, depuis des décennies. « L’Europe qui protège », « l’Europe-c’est-la-paix », la « belle idée européenne », l’Europe de l’innovation, de la culture, de la recherche ; l’Europe de la défense, de la protection, de la prospérité. Prenez un joli mot du dictionnaire, accolez-lui le terme « Europe », et construisez ainsi un discours de deux heures devant un parterre de dignitaires, vous aurez la politique européenne d’Emmanuel Macron. Une ambition faite d’envolées lyriques, d’affabulations et de déclarations d’intention vouées à rester lettre morte. 

L’Union européenne n’est pas un rêve. C’est une réalité économique et juridique. Ce sont aussi des pays avec des intérêts nationaux, des histoires et des cultures singulières, des dynamiques  politiques différentes. 

En matière d’Europe, difficile de savoir si Emmanuel Macron croit vraiment à ce qu’il dit ou s’il compte cyniquement sur la candeur des électeurs. Mais ce qui est certain, c’est que les deux premières années de son mandat ont attisé les tensions intra-européennes plus qu’elles ne les ont apaisées. Macron a agacé le Royaume-Uni en soutenant une ligne intransigeante lors des négociations sur le Brexit ; il s’est fâché avec la Pologne et la Hongrie en accusant leurs dirigeants de « mentir à leur peuple » ; il a détérioré les relations diplomatiques avec l’Italie en évoquant la « lèpre qui monte en Europe » à son propos. Il n’a pas su refonder, surtout, les relations franco-allemandes, qui restent totalement déséquilibrées. 

Après le rêve, il y a le réveil. La politique européenne du verbe creux s’est fracassée sur les réalités du monde. Le mouvement des « gilets jaunes » a montré que les Français ne se contentent plus de mots. Il est urgent de desserrer le carcan supranational et indispensable de mettre en place un rapport de force pour y parvenir. Pour cela, il faut accepter de voir l’Europe telle qu’elle est, non de l’imaginer dans un rêve messianique.

Extrait du livre de Coralie Delaume et David Cayla,"10+1 questions sur l’Union européenne", publié aux éditions Michalon.

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