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Sommet de l’Otan : ces autres facteurs qui ont affaibli l'Alliance atlantique sans avoir besoin de Trump
©Reuters

70e anniversaire

Ce jeudi 4 avril, l'OTAN fête son 70e anniversaire dans un contexte marqué par la présidence - défiante à son égard -du président américain.

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Atlantico: Quels sont les autres facteurs, extérieurs à la présidence « atypique » de Donald Trump, qui peuvent être à l'origine des difficultés, ou de l'affaiblissement de l'OTAN ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Plus que de difficultés, il s’agit de doutes inspirés par divers propos de Donald Trump à l’égard de l’intérêt des Etats-Unis de rester investis dans l’Alliance atlantique et son prolongement militaire (l’OTAN). S’il faut porter attention à certaines des critiques formulées par le président américain, notamment sur le « partage du fardeau » (le « burden sharing ») ou encore la nécessité d’une approche d’ensemble prenant en compte la totalité du spectre des menaces dans un monde dont les équilibres de puissance se déplacent vers l’Asie, convenons du fait que les déclarations brusques et répétées de Donald Trump relèvent de son idiosyncrasie, non pas d’une intuition géopolitique profonde ou d’une compréhension des lois de la puissance. A bien des égards, Donald Trump peine à dépasser une approche strictement comptable et financière de l’OTAN : combien cela coûte-t-il à l’Amérique ? Combien cela lui rapporte-t-il ? Un approche « business » en quelque sorte.

Or, le « Politique », compris dans son essence (« lo politico » par opposition à « la politica »), n’est pas réductible à sa dimension économique et financière. Cette activité originaire, inhérente à la condition humaine, a sa finalité propre et ses moyens spécifiques (sécurité extérieure et puissance, définie comme capacité à faire prévaloir sa volonté, recours à la coercition voire à la violence armée). L’OTAN et l’ensemble des relations politiques et militaires qu’elle recouvre n’existent pas au seul avantage des alliés européens, bénéficiaires de la force militaire américaine. Dans le monde d’Etats-civilisations qui émerge, les Etats-Unis disposent d’un avantage comparatif par rapport aux puissances révisionnistes : leurs alliés. D’autant plus que Pékin et Moscou ont tissé les fils de ce qu’il faudra bien appeler une alliance, quand bien même serait-elle informelle et d’un autre type que l’Alliance atlantique (une Russie subordonnée dans une « Grande Eurasie » sino-centrée).

Il est donc logique et cohérent que les deux chambres du Congrès aient voté des résolutions et autres textes visant à garantir la perpétuation de l’OTAN. D’une manière générale, les milieux politiques, diplomatiques et militaires américains sont quasiment unanimes à réaffirmer l’importance et la valeur de cette alliance. Cela a des traductions militaires concrètes dans la zone euro-atlantique (voir ci-dessous). Cette importance conférée à la perpétuation de l’OTAN repose sur des facteurs objectifs. En définitive, son dépérissement n’est aucunement inscrit dans les lois de l’Histoire et la logique profonde du système international. Il reste que les perceptions peuvent influencer les décisions, au point de commettre des erreurs stratégiques majeures. Du côté des alliés européens, il serait erroné de faire confiance aux seules données fondamentales de la politique internationale et, pour certains, de persister dans le rôle de « passagers clandestins » (« free riders ») : chacun doit augmenter son effort militaire afin d’assumer sa part du fardeau (le « burden sharing »). En vérité, les dépenses militaires augmentent sur le Vieux Continent mais le plus grand nombre n’atteint pas encore l’objectif des 2% (2% du PIB consacré au budget de défense)

Quels sont les facteurs principaux de division interne à l'organisation ? 

De manière rituelle, l’observateur met en évidence les différences d’analyse des dangers et menaces entre les alliés du Centre-Est européen et ceux d’Europe méridionale. Quand la Pologne, les Etats baltes ou encore la Roumanie se soucieraient des seuls confins orientaux de l’Europe sur lesquels pèse la menace russe, la France, l’Italie et quelques autres riverains septentrionaux de la Méditerranée privilégieraient les dangers et menaces venant du Sud (le djihadisme de facture sunnite, le terrorisme, le possible chaos en Afrique du Nord et dans son hinterland sahélo-saharien). Bien entendu, la description a sa part de vérité, mais elle est réductrice. Dans un tel schéma, où donc placer le régime irano-chiite et la prolifération ? Un pays comme la France est engagé en Afrique sahélienne, participe activement à la défense de l’Europe continentale (renforcement de la posture de défense et de dissuasion) et se révèle très attentif aux agissements de Téhéran (voir notamment son programme de missiles et l’enracinement militaire des Pasdarans en Syrie). A l’Est comme au Sud, dangers et menaces se cumulent et se combinent : ils ne s’annulent pas.

Au demeurant, l’ensemble des mesures prises depuis 2014, à la suite du rattachement manu militari de la Crimée à la Russie et de la « guerre hybride » déclenchée par le Kremlin au Donbass, témoigne de la réalité d’un consensus à l’intérieur de l’OTAN. Des troupes des différentes nations alliées font rotation dans les Etats baltes, en Pologne, en Roumanie, soit d’un bout à l’autre de l’isthme Baltique-mer Noire, frontière au sens étymologique du terme (« faire front »), la « Russie-Eurasie » exerçant sa pression sur les confins orientaux de l’Europe qu’elle menace, agresse ou grignote. La Force de réaction de l’OTAN a été dotée d’un « fer de lance », i.e. d’unités destinées à agir très vite en cas d’agression à l’encontre d’un pays membre de l’OTAN. Exercices et manœuvres se succèdent. En rupture totale avec les propos de Donald Trump, les Américains ont accru leur présence militaire en Europe centrale et orientale : pas l’ombre d’un désengagement quelconque. Dans cette même partie de l’Europe, la diplomatie américaine soutient l’Initiative des Trois Mers. Proposée par la Pologne et la Croatie, cette initiative regroupe douze pays situés entre la Baltique, l’Adriatique et la mer Noire. Enfin, les Etats-Unis ont accepté de vendre des armes anti-chars à l’Ukraine (le dépôt reste sous contrôle américain et elles ne seront livrées à l’armée ukrainienne que dans le cas d’une offensive russe).

Quant aux dangers et menaces qui viennent de la « plus grande Méditerranée » (selon l’expression de Fernand Braudel et Yves Lacoste), Moyen-Orient et golfe Arabo-Persique inclus, ils sont pris en compte par l’OTAN et ses pays membres. Outre une diplomatie de défense active dans le bassin méditerranéen, l’OTAN conduit une mission de formation de l’armée irakienne. Elle est également partie prenante de la coalition qui a repris Mossoul (Irak) et Raqqa (Syrie) à l’Etat islamique. En cas d’accord politique en Libye, une mission de formation de l’OTAN pourrait être envisagée. Faut-il rappeler l’engagement de l’OTAN en Afghanistan ? Dans ce type de guerre qui ne peut être gagné, il importe d’y maintenir une présence et de conjurer le pire, i.e. la reconstitution d’un centre nerveux du terrorisme islamique. Le contre-terrorisme ne saurait être entièrement délégué à des forces locales, encore moins aux Talibans. Ces différents exemples montrent que dangers et menaces sont relevés, à l’Est comme au Sud, et ce jusqu’en Haute Asie. Cela vient singulièrement nuancer l’idée de divisions qui mineraient l’OTAN. Au vrai, c’est la question turque qui devrait attirer l’attention. La Turquie remplit ses obligations à l’intérieur de l’OTAN, mais le rapprochement tactique entre Moscou et Ankara a des implications stratégiques. L’acquisition de S-400 russes dans un pays intégré à la défense aérienne et anti-missile de l’OTAN est un sujet conflictuel. Ankara choira-t-il les S-400, quitte à ne pas recevoir ses F-35 ? Le litige pourrait se transformer en ligne de partage.

En quoi l'évolution de la nature des « menaces » pourrait-elle modifier la stratégie et les objectifs otaniens ? 

Une précision d’ordre sémantique : l’OTAN n’est pas un acteur géopolitique global des relations internationales, mais un cadre d’action. Stratégies, tactiques et objectifs se négocient entre ses Etats membres, le plus puissant d’entre eux et « assureur en dernier ressort » disposant bien entendu d’une grande influence. Stricto sensu, il n’y a donc pas de « stratégie otanienne ». En toute rigueur, il faudrait se contraindre à écrire systématiquement : « L’OTAN et ses Etats membres ont décidé … » (il en va de même pour l’Union européenne qui n’est pas une fédération). Quant à la nature des menaces, la nouveauté ne réside pas véritablement dans l’attitude de la Russie. Les événements de 2014 ont été précédés d’une longue phase de tensions amorcée dès la fin des années 1990, avec un court intermède après les attentats du 11 septembre 2001. Il aura simplement fallu attendre que l’attaque de l’Ukraine confirme celle de la Géorgie pour que l’OTAN et ses Etats membres considèrent officiellement la reconstitution de la menace russe et prennent les mesures adéquates (voir plus haut). Le discours tenu par Vladimir Poutine lors de la conférence de Munich, en février 2007, était explicite. Toutefois, les affaires du Grand Moyen-Orient accaparaient l’Administration Bush. De surcroît, certaines analyses persistaient à voir dans la Russie un simple Etat mafieux dont les dirigeants, prioritairement animés par le lucre, instrumentalisaient le nationalisme anti-occidental dans le seul objectif de manipuler l’opinion publique. La guerre russo-géorgienne d’août 2008 a matérialisé la menace russe, avec des effets au sein de l’OTAN (cf. le Concept stratégique de 2010). Pourtant, la politique du « reset » a prévalu. Toujours est-il que la nouvelle guerre froide, mutatis mutandis, semble être un retour du même. Les décisions prises depuis 2014 reposent sur un réel consensus (le Nord Stream 2 pourrait avoir des conséquences négatives sur ce consensus).

Au Moyen-Orient, les positions et les politiques sont moins alignés, les principaux Etats européens engagés dans cette partie du monde refusant de suivre les Etats-Unis dans la remise en cause de l’accord nucléaire iranien du 14 juillet 2015 (Donald Trump en fait sortir les Etats-Unis en mai 2018). Toutefois, l’unité occidentale demeure sur la question des « sunset clauses » (les clauses limitatives destinées à s’éteindre après 2025-2020), le programme de missiles de Téhéran (y compris des missiles de croisière) et l’impérialisme irano-chiite au Moyen-Orient. Pour l’essentiel, ces questions se traitent à l’extérieur de l’OTAN, mais le développement de graves désaccords pourrait avoir des conséquences à l’intérieur de ce cadre (tous ces enjeux et domaines stratégiques ne peuvent être indéfiniment compartimentés). Les ambitions géopolitiques de l’Iran, la prochaine levée de l’embargo sur les armes conventionnelles et la prochaine montée en puissance de l’armée iranienne, probablement équipée de matériels russes et chinois, devraient maintenir à l’arrière-plan les différences d’approche entre les Etats-Unis et leurs principaux alliés européens (l’UE-3 : France, Royaume-Uni, Allemagne), restés dans l’accord sur le nucléaire. L’important dans cette région du monde est de conserver l’unité du trio occidental Washington-Londres-Paris et de préserver les intérêts de sécurité de nos alliés régionaux, les régimes arabes sunnites.

La grande question qui mettra à l’épreuve la solidarité géopolitique occidentale, avec ses retombées à l’intérieur de l’OTAN, est celle de la République populaire de Chine (RPC). Si Donald Trump et son Administration insistent sur cette question, elle chemine en fait depuis les années 2000, lorsque le thème du « collier de perles » (une préfiguration des « nouvelles routes de la soie ») a percé. Dans ce cas de figure encore, les guerres du Grand Moyen-Orient ont occulté la réalité et le caractère pressant du défi stratégique chinois. Depuis la crise financière de 2008, les dirigeants de la RPC sont persuadés que leur heure est venue, et ils poussent les feux. Aux revendications sur les « méditerranées asiatiques » (mers de Chine du Sud et de l’Est) et prises de territoires (cf. la « politique du polder » et la transformation de récifs en bases militaires) s’ajoutent une montée en puissance spectaculaire sur le plan militaire, l’ouverture de bases (Djibouti) et le déploiement d’unités navales jusqu’en Méditerranée, en Baltiques et dans l’Arctique. Enfin, la dimension géoéconomique de cette rivalité sino-américaine est patente (voir notamment les accusations contre Huawei et les enjeux de la 5G). Washington demande l’appui de ses alliés européens et rappelle l’existence de l’article 2 du traité de l’Atlantique Nord (il porte sur l’engagement à mener des politiques économiques en accord les unes avec les autres). Ce n’est pas une lubie de l’actuel président des Etats-Unis.

Tout cela a été traité dans une autre interview. En bref, soulignons le fait que le nouvel expansionnisme chinois concerne également l’Europe. Pékin manœuvre sur un grand arc de cercle qui va de l’Arctique à la Méditerranée, investit dans les grands ports européens et opère dans des secteurs stratégiques de l’économie européenne, sans véritable réciprocité. Dans l’une ou l’autre instance, les Occidentaux de l’Ancien et du Nouveau Monde devront parler de la question chinoise. Le sujet dépasse la seule OTAN mais le thème de la « Global Nato » revient dans le débat transatlantique. Peut-être est-ce là une nécessité et, simultanément, la contrepartie logique de l’engagement américain en Europe.

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