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Ce pays d’Europe où un humoriste pourrait gagner la présidentielle
©Reuters

C'est l'histoire d'un mec

Et il n'est pas là pour rigoler...

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico: Ce 31 mars, les Ukrainiens se rendront aux urnes à l'occasion du premier tour de l'élection présidentielle. Le président Porochenko se présente à sa propre succession, d'autres figures, comme Ioulia Timochenko participeront au scrutin, dont le favori serait, à l'heure actuelle, Volodymyr Zelenski, acteur de 41 ans, et regroupant 25% des intentions de vote. Quels sont les rapports de force ?

Cyrille BRET : en Ukraine comme en Europe occidentale, il ne fait pas bon d’être le président sortant. Petro Porochenko a été élu il y a cinq ans, en juin 2014 dans un contexte dramatique pour l’Ukraine. Le soulèvement de la place Maïdan commencé à l’automne 2013 avait été réprimé dans le sang. La Crimée avait été annexée par la Russie le 18 mars 2014, ce qui a été un traumatisme pour une large partie de la population, pas seulement dans l’ouest du pays. La guerre dans le bassin du Don (Donbass) a non seulement fait de nombreuses victimes mais également paralysé une bonne partie de l’outil industriel qui fait la richesse du pays depuis le 19ème siècle. Il y a cinq ans, lors des dernières élections présidentielles et législatives, le pays est entré dans la crise morale, économique, financière, politique et internationale la plus grave depuis son indépendance à la fin de l’URSS en 1991.

Aujourd’hui le pays est en train de relever la tête. Sur le plan budgétaire, il est soutenu par le FMI et l’Union européenne par des plans de soutien. Sur le plan économique, la croissance – essentiellement de rattrapage après la récession des années de guerre – est repartie : entre 2% et 3% de croissance du PIB cette année et l’année dernière. Sur le plan moral, le pays se redresse : les derniers sondages attestent que les attentes de changement de la population sont élevés. Sur le plan religieux, le président Porochenko a soutenu et obtenu l’autonomie de l’église orthodoxe ukrainienne à l’égard du patriarcat de Moscou auprès du patriarche œcuménique de Constantinople. Sur le plan militaire, il a fait appel au soutien des Etats-Unis et dispose sur son territoire de conseillers américains et du soutien de la Pologne ainsi que des Etats baltes.

Toutefois, il n’est crédité que de la 2ème ou de la 3ème place dans les sondages pour le premier tour de cette élection présidentielle. Cela augure mal également de sa majorité au Parlement, la Rada Suprême. Car les élections législatives auront lieu à l’automne. Dans un régime parlementaire, cela aura une incidence importante sur le cours politique du pays.

Les principaux adversaires politiques du président sortant sont des figures connues du public en Europe occidentale. Ioulia Timochenko, ancienne Première ministre, égérie de la Révolution Orange de 2004 et figure de proue de Maïdan, le talonne avec un programme assez proche où la candidature à l’Union européenne et à l’OTAN figurent en bonne place. Elle a donné un tour social plus ou moins réaliste à sa campagne en promettant des aides massives pour les tarifs de gaz et d’électricité. Leur hausse constitue la préoccupation majeure des Ukrainiens.

Parmi la quarantaine de candidats, seul Iouri Boïko est ouvertement pro-russe. A l’issue de la campagne électorale confuse, deux tendances s’affirment : d’une part, les pro-russes traditionnellement regroupés dans le Parti des régions s’effacent devant les pro-Maïdan. D’autre part, un candidat inattendu et original s’affirme, Volodymyr Zeleski.

Dans quelle mesure  Volodymyr Zelenski pourrait-il être en mesure de remporter l'élection ? Avec quels changements pour le pays ? 

L'acteur, réalisateur et producteur de télévision Zelenski a bâti sa popularité sur le rôle qu’il a incarné, avec brio, dans sa série « Serviteur du peuple ». C’est l’histoire d’un enseignant en lutte contre la corruption dont l’action lui vaut d’être élu… président d’Ukraine. Par-delà l’ironie de la situation, la candidature Zelenski porte certaines aspirations des Ukrainiens. Une méfiance certaine envers les élites issues de l’indépendance, de la Révolution Orange et du Parti des régions conduit les Ukrainiens à réclamer un renouvellement du personnel politique. De ce point de vue, les candidatures en présence ne peuvent pas les satisfaire : Petro Porochenko est un oligarque du chocolat implanté de longue date en politique ; Ioulia Timochenko est au centre de la vie politique depuis plus d’une décennie ; Hritsenko a été ministre de la défense…

C’est l’attrait pour le renouvellement et pour la jeunesse de la candidature Zelenski qui se conjuguent pour lui octroyer, dans les sondages, 20% à 25% des intentions de vote au deuxième tour.

Mais des sondages à la victoire, le pas est énorme, surtout en Ukraine. D’une part, les sondages récents montrent une grande volatilité des électorats. D’une part, le sortant a infléchi sa campagne pour insister sur le besoin d’expérience politique dans une crise multiforme. Enfin, la popularité d’un comique ne se transforme pas toujours en voix. On l’a vu dans la figure italienne de Beppe Grillo qui a été apprécié pour ses talents de « poil à gratter politique » mais n’a pas été considéré comme un potentiel homme d’Etat.

Alors que Ioulia Timochenko et Petro Porochenko sont au coude à coude pour faire face à  Volodymyr Zelenski au second tour de l'élection. Comment évaluer la proximité de ces trois figures pouvant prétendre à la présidence, à l'égard des européens, et à l'égard de Moscou ?

Les programmes et les candidats majeurs ont des similitudes évidentes. Tous les trois militent pour un cessez-le-feu en Ukraine orientale en impliquant les partenaires occidentaux (UE, OSCE) de l’Ukraine. Tous les trois cherchent à rétablir la souveraineté et l’intégrité territoriale du pays à l’égard de la Russie en se rapprochant de l’OTAN. Tous les trois formulent un programme énergique pour améliorer les conditions de vie des Ukrainiens notamment dans le domaine de l’énergie et de la santé.

C’est que tous les trois sont issus du camp de Maïdan. Aujourd’hui, le clivage entre pro-européens et les pro-russes est de moins en moins structurant pour la vie politique ukrainienne. Le camp pro-européen et pro-occidental a remporté une victoire politique et symbolique. Il est en train de se diviser comme la vie politique ordinaire d’un pays le réclame souvent quand la crise s’estompe.

Les autorités russes ne restent pas inactives durant la campagne. Elles sont conscientes qu’elles ont perdu l’Ukraine durablement. L’annexion de la Crimée et les combats endémiques dans le Donbass permettent à l’influence russe de s’exercer par la négative en présentant un visage repoussant de l’Ukraine dans les médias. Mais, actuellement, la Russie n’est pas capable d’attirer à elle les Ukrainiens dans sa sphère d’influence. C’est pour cette raison que les médias russes mettent en cause la sincérité du scrutin à venir. C’est pour cette raison également que le Premier ministre russe a reçu devant les médias le seul candidat pro-russe, Boïko. Aujourd’hui, la Russie a gagné sur le terrain militaire en Crimée. Mais elle a perdu la bataille de l’opinion en Ukraine, en Europe centrale et orientale ainsi que dans toute l’Union.

Comment évaluer les conséquences du scrutin, aussi bien du côté de Moscou, que du côté des capitales européennes ?

Les élections ukrainiennes sont aussi des élections européennes. Ce sont en effet des élections entre Europe et Russie, dans un Etat anciennement République soviétique au sein de l’URSS qui est devenu depuis plus de dix ans un des partenaires les plus importants de l’Europe à l’est. L’Ukraine est en effet, avec la Géorgie, la Moldavie, le Belarus, l’Arménie et l’Azerbaïdjan membre du Partenariat oriental de l’Union européenne. A ce titre, la transformation de son système judiciaire, de ses institutions et de son économie font partie intégrante des politiques de l’Union européenne. Des élections libres, sincères et transparentes débouchant sur la constitution d’un exécutif stable et disposé aux réformes à Kiev est dans l’intérêt direct de l’Union européenne. Cette élection ne doit pas être négligée par l’Europe en général et par la France en particulier car une partie de notre futur se joue en Ukraine.

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