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Cinq leçons à tirer du No Brexit provisoire. Voici pourquoi la Grande-Bretagne sera gagnante à la fin
©Isabel INFANTES / AFP

London calling

Au lendemain du rejet définitif du “projet d’accord” qu’avait négocié le gouvernement de Theresa May, la question que Valéry Giscard d’Estaing avait posé lors d’une séance de Conseil Européen - “Madame, ne savez-vous dire que non?” - revient à l’esprit.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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La Grande-Bretagne sort d’une semaine où toutes les solutions ont été rejetées, que ce soit par des votes dits indicatifs, mercredi dernier (No deal, union douanière, second référendum....)ou, hier, plus solennellement, le troisième vote sur l’accord proposé par Theresa May. Ce matin, sur le continent, nombreux sont ceux qui dodelinent du chef avec un air de commisération envers ces “pauvres Britanniques”; n’ont-ils pas fait preuve d’une totale incapacité à comprendre les enjeux de l’instant? A Bruxelles, on ne sait pas s’il faut se réjouir de ce que, potentiellement, le Brexit puisse, désormais dérailler, ou être accablé du temps qu’il va falloir encore passer à négocier avec les Britanniques, dans tous les cas. Qu’est-ce qui est le pire? Avoir les Britanniques dehors ou les avoir à l’intérieur, à nouveau, après l’échec de deux ans et demi de négociations et, selon toute vraisemblance, un pays ingouvernable? 

En fait, il me semble que la plupart des commentateurs font fausse route. Il y a, derrière les apparences, quelques réalités simples que l’on peut identifier, et qui font penser que c’est la Grande-Bretagne, pas l’Union Européenne, qui sortira gagnante de l’actuel bras de fer. Je propose de tirer cinq leçons provisoires du “Non-Brexit”: 
1. L’Union Européenne est dans une impasse.
L’Union Européenne a définitivement prouvé sa stérilité et son pouvoir de nuisance. C’est elle qui “ne sait dire que non”. Quand on regardera ces événements avec le recul, c’est à propos de Bruxelles, Paris et Berlin qu’on pourra avoir des mines effarées. Fondamentalement, l’Union Européenne a refusé la négociation. Elle a voulu imposer un diktat, pour reprendre l’expression utilisée en Allemagne, en 1919, lors de la présentation du Traité de Versailles à l’opinion. Comme si, un siècle plus tard, l’Europe continentale confirmait qu’elle a complètement perdu la tradition de la négociation, du compromis politique et de l’équilibre européen. On nourrit encore à Bruxelles, je suppose, l’idée que l’on finira par faire craquer le Grande-Bretagne et qu’on la verra bientôt supplier de rentrer dans le club. Mais il s’agit d’un aveuglement profond. Comment imaginer que l’on puisse, face à la tradition politique britannique de liberté, de contrat et de négociation, agir par la menace, le chantage et la contrainte? Il y a eu des politiques et des hauts fonctionnaires britanniques pour être impressionnés. Mais, en face, le parlementarisme britannique apparaît bien vivant - trop vivant aux yeux de certains. 
2. Les gouvernements de l’UE révèlent leur degré d’autoritarisme dans leur degré d’hostilité à la Grande-Bretagne.Il est frappant de voir que l’attitude face au Brexit, sur le continent, dépend largement du degré d’autoritarisme des gouvernants. Dans les pays où le gouvernement repose sur une base électorale solide, on commence à voir poindre l’envie de trouver une sortie de l’impasse. Au contraire, c’est dans le pays où le gouvernement est le plus impopulaire, la France, que l’on trouve l’attitude gouvernementale la plus intransigeante vis-à-vis de la Grande-Bretagne. En fait, le Brexit sert de révélateur sur les valeurs politiques sous-jacentes. Il faut complètement abandonner l’opposition favorite des experts et des médias entre les populistes et les gens raisonnables ou celle d’Emmanuel Macron entre nationalistes et progressistes. Plus les gouvernements ont tendance à se présenter comme raisonnables, plus ils se sont montrés déraisonnables dans la négociation du Brexit, peu soucieux de trouver un compromis. 
3. La faille britannique: un problème de leadership. Il y a indéniablement un problème de leadership actuellement dans la classe politique britannique. Theresa May est la première responsable de son triple échec devant le Parlement. Elle a très mal négocié, durant deux ans, alors qu’elle avait de bien meilleures cartes que l’Union Européenne. Elle n’a pas le goût que possédaient ses prédécesseurs pour la négociation et la persuasion permanente au sein de son gouvernement et son parti. Elle est victime de son “exercice solitaire du pouvoir”. Qu’elle soit tenace au point de ne pas avoir présenté sa démission au soir du 29 mars et envisage même un quatrième vote, montre bien l’étendue du problème. Il est accru par le fait que personne, au sein du parti conservateur, ne réussisse, apparemment, à s’imposer comme un successeur évident. Non moins frappante est l’incapacité du chef de l’opposition, Jeremy Corbyn, à construire une alternative crédible. Jamais le chef du parti travailliste n’est sorti, au cours de ces longues semaines, avec une alternative crédible. Là est la difficulté britannique, s’il y en a une. 
4. La solidité de l’état de droit britannique.Cela fait ressortir avec plus d’évidence encore la solidité de l’état de droit britannique. Je viens de passer quelques jours en Grande-Bretagne. J’ai été impressionné par la sérénité profonde qui règne dans le pays. On y débat franchement du nombre réel de manifestants, samedi dernier, à Londres, en faveur du Remain. La marche des Leavers à travers le pays, a donné lieu à de belles manifestations populaires. La gauche a beau expliquer que Nigel Farage est un extrémiste, ses discours sont tout imprégnés de l’amour des institutions britanniques. On ne comprend pas pourquoi les marchés sont aussi calmes si l’on ne voit pas la confiance profonde que l’on continue à avoir, partout, dans la stabilité du système politique britannique. Certains se demandent comment un parlement peut, à ce point, se diviser; il y avait, avant les votes indicatifs de mercredi, dix-sept motions proposées; le Speaker n’en a gardé....que huit; elles ont toutes été rejetées. On ne peut qu’être impressionné par l’indiscipline des députés du Labour ou du parti conservateur qui n’ont pas suivi, hier, ce que demandait leur parti. Cela montre une liberté et une capacité à défendre ses convictions qui présage bien de la suite. Quand bien même certains trouvent la Chambre des Communes trop encline à échapper à un Brexit dur, l’observateur extérieur est frappé par l’esprit de liberté qui y règne, loin de beaucoup de parlements du Continent. Et quand bien même certains, à Bruxelles ou ailleurs, entretiennent l’espoir secret de faire passer la Grande-Bretagne sous des fourches caudines, on voit bien que le vrai drame du Brexit est ailleurs pour l’Union Européenne: en ayant laissé partir la Grande-Bretagne, l’UE se prive d’une culture politique de liberté, essentiellement libérale au sens politique de ce terme. 

5. Cette vague populaire qui monte en faveur d’un No Deal.Tandis que le Parlement britannique n’arrive pas à se décider, une option est en train de monter dans les sondages: le No Deal. Vu l’affaiblissement de Theresa May, la perspective d’une élection générale se précise. Et le grand dilemme, pour les membres de la Chambre des Communes, va être de savoir s’ils se représentent devant leurs électeurs avant ou après le Brexit. Si une élection générale avait lieu avant que le Brexit ait été décidé, le résultat sera dévastateur pour tous les parlementaires qui ont auront tergiversé. J’étais lundi soir à un meeting de la gauche pro-Brexit. Les orateurs se demandaient doctement comment faire parvenir Jeremy Corbyn au pouvoir; et l’un d’entre eux avait même tendance à penser qu’il valait mieux Corbyn sans le Brexit que le Brexit sans Corbyn. Une militante s’est alors levée dans la salle, pour demander la parole et a eu ces mots: “A Labour Brexit? A Tory Brexit? I don’t mind. I just want this bloody Brexit!”. (Un Brexit travailliste? Un Brexit conservateur? Ça m’est égal. Je veux juste ce foutu Brexit !”). C’est elle qui, ce soir-là, a été le plus applaudie. Et tous ceux qui sont allés dans son sens ont mobilisé la salle. Les intervenants avaient l’air, au bout de la séance, dépassés par un profond mouvement d’opinion, que l’on sent monter en Grande-Bretagne: l’idée qu’il faille en finir rapidement est en train de devenir majoritaire. Cela exclut de frapper à nouveau au pont-levis de la forteresse bruxelloise. Les semaines et les mois qui viennent vont être pleins de rebondissements. Mais une grande vague est en train de monter, qui engloutira ceux qui ne l’ont pas vu venir: le peuple britannique va exiger, de plus en plus clairement, que soit respecté le vote de 2016. Et la classe dirigeante britannique a suffisamment d’instinct de conservation pour l’entendre.

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