Projet de loi santé : combien de temps nous faudra-t-il avant d’échapper à la pénurie de médecins ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Projet de loi santé : combien de temps nous faudra-t-il avant d’échapper à la pénurie de médecins ?
©Reuters

Assouplissement du numerus clausus

Le projet de loi Santé fera l'objet d'un vote solennel à l'Assemblée nationale ce 26 mars.

Claude Le Pen

Claude Le Pen

Claude Le Pen est un économiste français, professeur à l'université Paris-Dauphine où il dirige le master d’économie de la santé. Il est président du Collège des économistes de la santé.

 
Voir la bio »

Atlantico : Le projet de loi Santé fera l'objet d'un vote solennel à l'Assemblée nationale ce 26 mars. Une des mesures phares de cette loi est la suppression du numerus clausus qui fixe le nombre de places disponibles pour intégrer une deuxième année des études de médecine. Combien de temps faudra t il encore attendre pour voir se produire une augmentation du nombre de médecins ? 

Claude Le Pen : Il y a une ambiguïté sur cette question : que reproche-t-on au numerus clausus ? Limiter le nombre de médecins et organiser la pénurie ou déboucher sur une première année de médecine faite de bachotage intense et sélectionner les jeunes médecins sur des critères très académiques n’ayant peu à voir avec leur futur métier (ou les deux !) ?

Sur le plan des chiffres, iln’organise plus la pénurie : après avoir baissé jusqu’à 3.500 places en 2ème année des études de médecine dans les années90, il a été peu à peu remonté des dernières années. Il était par exemple de 8.205 en 2018 ! Plus du double. Paradoxalement ce chiffre est très proche de ceux qui prévalaient dans les années 70 (8.594 par exemple en 1971) au moment où le numerus clausus a été institué. Ces chiffresavaient affolé les pouvoirs publics de l’époque qui craignaient la « pléthore médicale » et avaient conduit au resserrement des effectifs et à l’intensification de la sélection, notamment à partir des deux lois de sélection de 1971 et de 1979 sous le ministère de Simone Veil. En termes relatifs, la densité médicale n’est pas inférieure à celle de pays comparables et elle s’est plutôt améliorée depuis les années 2000 (source OCDE).

Mais quoi qu’il en soit il faut plus de 10 ans pour « théser » un docteur en médecine et autour de 15 ans pour qu’il s’installe.On ne sent donc pas encore pleinement les effets de ce relèvement qui a été très progressif à partir de 2004/2005. Les « gros effectifs » (plus de 8.000) datent de 2012 à effet vers 2025/2030.Compte tenu de ces délais, les variations du nombre d’étudiants qui porte ses effets tardivement n’est pas nécessairement un paramètre adéquat pour résoudre le problème actuel des déserts médicaux.

L'objectif de former 20% de médecins supplémentaires est-il cohérent avec les besoins du pays ? 

Je ne sais pas trop d’où vient ce chiffre de 20%, qui devrait déboucher sur près de 10.000 places à offrir en seconde année. Je ne suis pas sûr qu’on y arrive à court terme compte tenu des contraintes liées aux capacités d’accueil des facs en locaux et en personnels enseignants.La situation est déjà très tendue dans beaucoup de facs. C’est d’ailleurs un des points aveugles de la loi : on supprime le numerus clausus mais par quoi le remplace-t-on compte tenu de ces capacités non illimitées ? 

Mais il est vrai, d’un autre côté, que les conditions d’exercice ont beaucoup changé : les jeunes médecins s’installent plus tardivement « en libéral » ; beaucoup choisissent des emplois salariés plus confortables dans des institutions qui recrutent beaucoup (notamment les collectivités territoriales) ; ils travaillent systématiquement en groupe, ce qui diminue mécaniquement le nombre des implantations ; le temps disponible pour les malades diminue sous l’effet des tâches administratives et, également, de la féminisation du corps médical ; etc. Il faut donc peut-être plus de médecins pour assurer le même temps dévolu aux patients.

Pour les prochaines années, faut-il s'attendre à un scénario de pénurie du nombre de médecins dans le pays ? Dans quelles zones ? 

Dans les prochaines années, la situation démographique évoluera lentement. Il faut mobiliser d’autres moyens pour faire face à la désertification : maisons médicales, télémédecine, hôpitaux de proximité, etc. Il faut aussi rendre l’exercice libéral plus attractif et inciter à l’installation en zone sous-denses quitte à jouer sur les primes ou les tarifs comme le prévoient d’ailleurs les conventions médicales. Mais il n’est pas exclu que la remontée des effectifs débouche à nouveau sur un excédent de médecins dans une dizaine d’années, surtout si le pays s’adapte à la situation actuelle. N’oublions pas qu’il n’y pas si longtemps, jusque dans les années 2000, on poussait à la cessation d’activité des médecins à travers le MICA, une prime encourageant un départ précoce à la retraite ! C’est le paradoxe des phénomènes démographiques qui surprennent souvent les dirigeants alors qu’ils sont très précisément prévisibles…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !