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Amazon : l’heure du démantèlement a-t-elle sonné ?
©Reuters

GRAND BAZAR

Amazon, géant mondial de la vente en ligne est sous le feu des critiques en France sur la question de déréférencements des PME qui utilisent sa plateforme. Amazon serait seule, avec le géant chinois Alibaba, à avoir refusé de signer la charte de « bonne conduite » édictée par le gouvernement, ce qui a déclenché la colère de Mounir Mahjoubi.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Au-delà de ce cas d’espèce montrant une forme de déséquilibre de forces entre parties en présence, ne pourrait-on pas considérer que le temps d’un questionnement concernant le « démantèlement » des géants du numérique serait arrivé ?

Michel Ruimy : Il n’est pas aussi facile de démanteler Facebook, Google et Amazon que le pensent leurs détracteurs. Regardons ce qui se passe aux Etats-Unis. La législation antitrust avance des critères stricts qui ne permettent pas d’intervenir simplement si une société est jugée trop grande. Ce qui importeest que cette société profite de sa taille pour nuire aux intérêts des consommateurs.

Or, ceci va être difficile à prouver. Google et Facebook sont gratuits tandis qu’Amazon propose, entre autres, des livres à tarif réduit. En outre, on ne peut pas dire non plus que ces sociétés n’investissent pas dans de nouveaux produits : elles consacrent, toutes les trois, une part impressionnante de leur chiffre d’affaires à la recherche et au développement.En réalité, l’accès à Facebook et Google n’est pas vraiment gratuit : les consommateurs n’ont, certes, rien à débourser mais doivent accepter que leur activité en ligne soit constamment surveillée afin que des annonceurs commerciaux puissent personnaliser leurs messages.

C’est parce que les individus prennent conscience de ce pacte faustien que des voix s’élèvent pour appeler à une modification de la politique américaine, de manière à faciliter l’intervention de l’État.Pour cela, il faudrait un changement idéologique. En effet, les Américains considèrent que Facebook, Google, Apple et Amazon ne sont que les « enfants du capitalisme » où le plus fort rafle tout sur un marché - ils sont donc moins étonnés de les voir grandir en taille et en puissance - alors que les Européens considèrent que cette position est contraire à l’intérêt des consommateurs.

La France estime que les plateformess’exposent à des problèmes de transparence, d’asymétrie en matière de référencement, de frais d’intermédiation et de contrefaçon.En signant la Charte de bonne conduite, toutes ces « marketplaces » (Ebay, Cdiscount, Fnac-Darty, Rakuten, Le Bon Coin…), sauf Amazon et son alter-ego chinois Alibaba, s’engagent dans une démarche de changement non contraignante : formaliser les relations commerciales avec les PME et éclaircir les conditions de référencement.

En s’indignant du refusdes deux géants, le gouvernement appelle, à mot-couverts, à boycotter l’usage de ces plateformes. Il se défausse en faisant passer l’impératif d’action et la charge morale sur le consommateur. En d’autres termes, voyant que ce texte, à caractère pourtant purement indicatif, est rejeté par les véritables maîtres du secteur, il s’empresse de se tourner vers les consommateurs pour les convaincre du rôle clef qu’ils doivent jouer désormais. Ainsi, le gouvernement masque son impuissance par des vitupérations de bon aloi, et c’est au citoyen de sacrifier ses habitudes au bien-commun, d’opter pour un achat responsable.

En réalité, si la pratique du boycott peut, dans une certaine mesure, être utile et efficace, il est évident que ce n’est pas le changement des pratiques de quelques citoyens qui permettra d’améliorer le sort des PME françaises asphyxiées, mais bien une position ferme et contraignante de la part du gouvernement.

Quelles sont les leçons à tirer du passé de la lutte anti-trust ou autres situations oligopo ou monopolistiques ?

À la fin du XIXème siècle, les États-Unis ont été une des premières économies de marché à élaborer une législation anti-trust. A l’époque, ce pays donnait au monde une leçon dans la manière de protéger la concurrence sur son marché intérieur. Quelques décennies plus tard, des études consacrées au bilan de l’application de la loi anti-trust ont constaté qu’à la fin du siècle dernier, les pénalisations concernaient surtout des entreprises non américaines.

Ce retournement de situation s’est accentué avec l’émergence du monde immatériel au sein duquel les entreprises multinationales américaines occupent des positions quasi monopolistiques sans que l’Administration américaine n’en sanctionne le principe. Car, aujourd’hui, les données sont aussi essentielles pour l’économie que le pétrole il y a un siècle. Les GAFAM jouissent aujourd’hui du même type de monopole que la Standard Oil, autrefois. : Google et Facebook captent grosso modo les deux tiers des dépenses publicitaires en ligne aux États-Unis et Amazon, environ 75 % des ventes de livres sur l’Internet.

Certains, aux États-Unis, demandent un démantèlement de ces entreprises au motif qu’elles profitent de leur monopole et de leur puissance financière pour étouffer la concurrence. Saisie en 2010 pour statuer sur l’abus de position dominante de Google dans les moteurs de recherche, la Federal Trade Commission a déclaré : « not find any evidence to prove his guilt ».

Dans ces conditions que penser de l’intervention étatique pour maintenir la concurrence (sanction des ententes et abus de position dominante, contrôle des concentrations, contrôle des aides d’État…) ? Si les Autorités de la concurrence ont su montrer leur utilité et font, bon an mal an, un bon travail, la critique porte plus sur la règlementation économique : si les États ont montré qu’ils pouvaient entretenir la concurrence de la main droite, ils créent, de la gauche, des monopoles légaux qui sont bien plus difficiles à dévisser que les monopoles naturels.

Dans quelle mesure les géants du numérique peuvent-ils remplir les critères qui pourraient les caractériser comme oligopoles ou monopoles ?

Considérons Amazon. Un grand nombre de petites entreprises (librairies, commerçants de taille moyenne…) ont recours à ce qu’il est désormais convenu d’appeler un « marketplace », un espace de mise en relation des vendeurs et des clients, dont le plus puissant, en France et ailleurs, est Amazon. La plateforme de vente en ligne américaine leur offre une visibilité sans équivalent ainsi que ses capacités de stockage et d’acheminement.

Toutefois, en raison de sa position dominante, la société américaine impose des pratiques déloyales à ses partenaires commerciaux : insuffisance de la lutte contre les produits contrefaits vendus sur sa plateforme, frais d’intermédiation imposés, qui peuvent passer du simple au triple, et qui peut atteindre jusqu’à 35% de leur chiffre d’affaires, sans aucune possibilité pour les commerçants de négocier et/ou d’obtenir une compensation voire une simple explication à cette hausse vertigineuse.

Par ailleurs, il est compliqué pour les PME de se rebeller car Amazon dispose d’un moyen aussi simple qu’efficace dans sa mise en œuvre : le déréférencement du compte du commerçant et de ses produits associés. Par une décision univoque et autoritaire, Amazon peut ainsi condamner ces entreprises à l’exil numérique, à la disparition pure et simple des rayonnages virtuels de la firme.

En d’autres termes, une puissance excessive est mauvaise parce qu’elle entrave le progrès. Les entreprises solidement établies peuvent chasser du marché des concurrents potentiels, même si ces derniers proposent quelque chose de nouveau et de mieux.

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