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Cinquante ans après Mai 68, l’acharnement à détruire qui reste de ce monde est plus fort que jamais
©UPI / AFP

Bonnes feuilles

Henri Guaino vient de publier "Ils veulent tuer l'Occident" aux éditions Odile Jacob. Il évoque l’Occident engagé sur une pente qui pourrait bien lui être fatale à brève échéance. Extrait 1/2.

Henri Guaino

Henri Guaino

Henri Guaino est un haut fonctionnaire et homme politique français

Conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, président de la République française, du 16 mai 2007 au 15 mai 2012, il est l'auteur de ses principaux discours pendant tout le quinquennat. Il devient ensuite député de la 3e circonscription des Yvelines.

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Il y a eu certainement dans les événements de Mai 68 une dimension psychanalytique de révolte contre la figure du père qu’incarnait de Gaulle. Mais le mouvement étudiant était aussi le porteur à la fois conscient et inconscient de tous les rejets que nourrissait la répulsion de certains milieux pour ce monde de l’après-guerre. Cinquante ans après, cette répulsion est intacte et l’acharnement à détruire qui reste de ce monde est plus fort que jamais.

Crise de civilisation

Georges Pompidou avait bien vu que Mai 68 préfigurait une crise de civilisation. Le 14 mai 1968 il déclarait devant l’Assemblée nationale : « Quoi d’étonnant si le besoin de l’homme de croire à quelque chose, d’avoir solidement ancré en soi quelques principes fondamentaux, se trouve contrarié par la remise en cause constante de tout ce sur quoi l’humanité s’est appuyée pendant des siècles. […]

Dans ces conditions, la jeunesse, non pas tant peut-être la jeunesse ouvrière ou paysanne, qui connaît le prix du pain et la rude nécessité de l’effort, mais qui est plus inquiète que d’autres aussi pour son avenir professionnel, la jeunesse universitaire en tout cas, se trouve désemparée. Les meilleurs s’interrogent, cherchent, s’angoissent, réclament un but et des responsabilités. D’autres, et qui ne sont pas toujours les pires, se tournent vers la négation, le refus total et le goût de détruire. Détruire quoi ? Ce qu’ils ont sous la main d’abord, et, pour les étudiants, c’est l’université. Et puis la société, non pas la société capitaliste mais la société tout court, la société moderne, matérialiste et sans âme. Je ne vois de précédent dans notre histoire qu’en cette période désespérée que fut le XVe siècle, où s’effondraient les structures du Moyen Âge et où, déjà, les étudiants se révoltaient en Sorbonne. À ce stade, ce n’est plus, croyez-moi, le gouvernement qui est en cause, ni les institutions, ni même la France. C’est notre civilisation elle-même. » C’était voir loin. Mais ce que ne pouvait pas imaginer Georges Pompidou c’était que cette partie de la jeunesse d’alors et ses maîtres à penser construiraient une société bien plus matérialiste et sans âme et infiniment plus inégalitaire que celle qu’ils voulaient détruire. L’idéologie dominante des activistes de Mai 68 fut avant toute chose nihiliste. « Savoir ce que nous voulons, ce serait déjà commencer à s’embourgeoiser 1. » Mais dans les slogans nihilistes qui s’écrivaient sur les murs – « Il est interdit d’interdire », « Jouissons sans entrave » – il y avait déjà la suite d’une histoire qui n’aurait rien de l’accomplissement d’une utopie anarchiste. Après la manifestation du stade de Charléty ou les politiciens de la gauche avaient cru que le pouvoir était à portée de leurs mains, Malraux avait ironisé : « Que d’illusion lyrique, que de drapeaux noirs, quelle débauche de la générosité qu’il y a toujours dans des cœurs de 20 ans, pour aboutir à retrouver la IVe République ! » Mais ce n’était pas seulement le retour à la IVe République qui s’annonçait, c’était, nous le savons maintenant, la grande vague libérale libertaire qui allait submerger l’Occident et jeter à la rivière toutes les leçons tirées des grandes tragédies du passé. « Il est interdit d’interdire » : jamais slogan ne produisit autant d’effets et qui ne furent pas toujours ceux qui étaient attendus.

Ce ne fut pas un phénomène français, ni européen mais occidental. Tandis qu’elle n’avait eu à souffrir nulle part, la guerre du Vietnam mise à part, d’aucune des grandes épreuves que les générations précédentes avaient traversées, et que les jeunesses du reste du monde se révoltaient, à leurs risques et périls, contre le totalitarisme et la misère, la partie la plus favorisée de la jeunesse occidentale préparait la démolition méthodique de tout ce qui avait été créé depuis la guerre pour essayer de rendre la société plus humaine. Les chocs pétroliers et le déclin démographique qui s’amorça en Europe dès les années 1970 ne suffisent pas à expliquer la suite de l’histoire de l’Occident. Dans cette suite, l’idéologie a joué son rôle. Du nihilisme sortit une idéologie de la libération. Il fallait tout libérer : les mœurs, l’éducation, l’enfant, l’individu, la société, l’économie, la finance, l’appât du gain. Les libérer de quoi ? De la morale, chrétienne ou laïque, de la famille, de l’État, de la nation, de la politique, de l’Histoire, des héritages culturels, du sacré, des traditions, des rites, du patriotisme, de l’autorité sous toutes ses formes, mais aussi des solidarités, des devoirs. Cette idéologie allait faire ressurgir le grand courant de pensée, qui avait presque disparu, de ceux qui, de la gauche à la droite, croient que la recherche de l’intérêt et du plaisir personnels suffit à faire le bonheur de tous. Toutes les brides furent lâchées, toutes les digues furent rompues et le désordre s’installa partout. La logique du désordre prit le pas sur tout.

Extrait du livre d'Henri Guaino, "Ils veulent tuer l'Occident", publié aux éditions Odile Jacob.

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